Dans son rapport d’activité sur 2022, l’organisation socialiste Sotsialnyi Rukh (Mouvement social) soulignait que « la mobilisation du peuple sur la base de la guerre de libération nationale a renforcé le sentiment d’implication populaire dans une cause commune […] la guerre a radicalement changé la vie sociale et politique en Ukraine, et nous ne devons pas permettre la destruction de ces nouvelles formes d’organisation sociale, mais les développer ».

Ces derniers mois de nombreuses mobilisations sociales confirment ces appréciations. « L’auto-organisation ne disparaîtra pas sans laisser de traces » : c’est ce que nous déclarait récemment une militante du groupe féministe de Lviv Bilkis et elle ajoutait « La société ukrainienne d’aujourd’hui est un exemple de la façon dont les gens peuvent s’organiser dans un but précis. Nous pensons que oui, la société civile peut faire (ou même fait) plus que l’État » (1)https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article66075.

Dans de nombreuses villes la gestion opaque, souvent objet de soupçon de corruption, des budgets municipaux fait l’objet d’une contestation. À Kyiv, Lviv, Odessa, Loutsk… des habitantEs se rassemblent, en dépit de la loi martiale qui l’interdit, sous le mot d’ordre « D’abord des drones puis des stades » pour exiger que des fonds soient alloués aux forces armées et non à des dépenses inutiles comme la réfection d’un stade ou d’un boulevard. À Mykolaïv, le 4 novembre dernier, ce sont 1 000 personnes qui ont manifesté dans les rues de la ville. Pour Andriana Kostenko de l’université d’État de Soumy, ces mobilisations « apparaissent d’abord au niveau local, à la base, puis s’uniront et tenteront réellement d’influencer les autorités locales. Nous verrons plus tard qu’un tel réseau aura un caractère national ».

Dans les hôpitaux : « Sois comme Nina »

Dans le secteur de la santé la contestation de la politique néolibérale du gouvernement Zelensky n’est pas en reste. Les salaires non payés et les licenciements abusifs font monter la colère des personnels soignants et particulièrement des infirmières. Le 15 juillet dernier, dans la ville ouvrière de Kryvyï Rih, elles ont été plusieurs centaines venues de quatre hôpitaux à manifester sous leurs propres banderoles, pour exiger le paiement de leurs salaires. Près de Lviv, leur syndicat Sois comme Nina a exigé l’ouverture des livres de compte de l’hôpital, pour vérifier si la baisse de leurs salaires était justifiée. Face à cette situation de crise, accentuée par la guerre (plus de 1 000 structures de santé détruites ou endommagés par les tirs russes), Oksana Slobodiana, membre du syndicat indépendant Sois comme Nina, explique que « le moyen le plus efficace est de créer des syndicats indépendants qui peuvent et pourront comprendre clairement la situation et contrôler tout de l’intérieur. En effet, qui connaît mieux la situation de son hôpital, ses capacités, son administration que les employéEs eux-elles-mêmes. Ainsi, gérer et contrôler les hôpitaux est possible si nous commençons par faire élire le directeur par le personnel lui-même. » (2)https://laboursolidarity.org/fr/europe/n/2800/gerer-et–controler-les-hopitaux-est-possible

Auto-organisation et mouvement étudiant

Le tout nouveau syndicat étudiant ukrainien Priama Diia, refondé en février 2023, déborde d’activités et s’inscrit dans cette dynamique autogestionnaire. Après avoir revendiqué la réquisition (sans succès) de l’ambassade russe à Kyiv pour en faire un centre auto-organisé pour les étudiantEs, il a mis en échec une opération de spéculation immobilière sur le terrain d’une université dans la capitale. Ces dernières semaines, il a imposé un comité de contrôle étudiant à l’université polytechnique de Lviv sur le déroulement des travaux en souffrance pour la réfection de dégâts provoqués par les tirs russes. Et, ces derniers jours, il a entamé un « audit » des abris dans les facultés avec compte rendu aux étudiantEs après chaque contrôle. (3)https://laboursolidarity.org/fr/europe/n/2922/priama-diia–action-directe-pour-le-controle-etudiant

La question est très sensible en Ukraine. Les abris peuvent être sales, peu accessibles… ou pire leurs portes peuvent être closes, des habitantEs en sont morts.

De janvier à août 2023, le ministère du Travail a recensé 7 644 conflits du travail qui ont touché 1,6 ­million de travailleurEs.

Pour gagner, les travailleurEs, les jeunes et le mouvement des femmes doivent lutter sur deux fronts : contre l’impérialisme russe et contre la politique antisociale du gouvernement. Gagner sur ces deux fronts est lié. C’est là l’enjeu majeur qui se joue en Ukraine.


Article initialement publié le vendredi 17 novembre 2023 sur le site de l’Hebdo L’Anticapitaliste.

Image: nouveau syndicat étudiant ukrainien Priama Diia (Action Directe); source: https://laboursolidarity.org/fr/europe/n/2922/priama-diia–action-directe-pour-le-controle-etudiant.