L’intimidation continue !

Hier, je me suis rendue à la manifestation « Stop à la Justice de classe, stop à la Justice raciste » organisée par la gauche radicale et anti-raciste.

Cette manifestation entendait dénoncer le double standard appliqué par la Justice entre, d’un côté, la condamnation de syndicalistes à une peine de prison avec sursis pour avoir bloqué une route dans le cadre d’une grève générale pour défendre les droits des travailleuses et des travailleurs et, de l’autre, l’impunité à l’égard de policiers meurtriers. À savoir : la déresponsabilisation du policier ayant tiré sur la petite Mawda (deux ans) et provoqué sa mort, le non-lieu du policier ayant percuté mortellement le jeune Adil, 19 ans, lors du premier confinement et d’autres faits du même acabit. On pense notamment à la mort de Mehdi (17 ans), également percuté mortellement par la police et la mort récente, au commissariat, du jeune Ibrahima arrêté pour « non-respect » du couvre-feu alors qu’il a été arrêté aux alentours de 20h, donc bien avant le couvre-feu. Et bien d’autres… Les cas de personnes innocentes, migrantes et racisées ayant perdu la vie des suites d’une intervention policière ne fait que s’allonger de manière inquiétante.

Cette manifestation avait été interdite pour la seconde fois, sous prétexte de respect de mesures covid. Mais les organisateurs, dénonçant que les vraies raisons étaient politiques, au vu d’autres rassemblements ayant pu avoir lieu, avaient décidé de la maintenir. Il s’agissait dans le chef des autorités de court-circuiter toute possibilité d’alliance entre les militant.e.s de gauches, les syndicalistes et des jeunes racisé.e.s et migrant.e.s.

Lorsque je suis arrivée aux alentours de la gare centrale, le déploiement policier était très impressionnant, de quoi en dissuader plus d’un.e de se rendre jusqu’au point de rassemblement, place de l’Albertine. Les policiers filtraient d’ailleurs le passage en demandant aux gens où ils allaient et en leur précisant que le rassemblement n’était pas autorisé.

Sur place, il y avait déjà une cinquantaine de personnes. Les organisateurs/rices nous ont rapidement prévenu que la police tolérait le rassemblement pendant 45 minutes. Au final, ce sont plus de 150 personnes qui se sont retrouvées sur la place pour braver l’interdiction et dénoncer la répression et le racisme d’Etat. Le rassemblement s’est déroulé dans le calme et s’est dispersée après 45 minutes comme convenu…

C’est à ce moment que la police cherchant le prétexte pour justifier son déploiement démesuré a décidé d’envoyer ses robocops sur un petit groupe de jeunes racisé.e.s, à peine 10 (visiblement mineur.e.s), qui descendait en direction de la Grande Place. Ils/Elles ont été directement nassé.e.s, plaqué.e.s aux sol, colçonné.e.s et ensuite arrêté.e.s. Plusieurs personnes présentes dans le quartier, dont beaucoup n’ayant rien à voir avec la manifestation, interpellées par le déploiement de forces complètement disproportionné (policiers anti-émeutes, une dizaine de combi, des chevaux) pour arrêter un petit groupe de gosses, se sont rapprochées pour tenter de comprendre ce qu’il se passait, de filmer et prendre des photos au-delà des rangées de flics et de combis derrière lesquelles se trouvaient ces gamins. C’est alors que l’effectif policier s’est encore renforcé, des policiers sont arrivés avec des chiens et ont demandé aux personnes présentes de reculer vers la gare centrale pour ensuite les nasser.

De mon côté, je ne suis pas allée en direction de la gare où nous repoussait la police mais je me suis plutôt reculée vers la Grand Place… C’est alors que j’ai aperçu trois, quatre gamins cachés derrière un combi, colçonnés, au sol, les uns derrière les autres. Je me suis alors approchée pour prendre des photos et regarder ce qu’il se passait. Un policier est alors venu vers moi et m’a demandé ce que je faisais là, pourquoi j’étais là. Je lui ai répondu que j’étais comme tou.te.s les passant.e.s ici, que c’était mon droit d’être dans l’espace public et que j’étais interpellée de voir des gosses assi.se.s par terre et colçonné.e.s. Que j’avais le droit d’observer ce qu’il se passait et de veiller à l’intégrité de ce qu’il me semblait être des mineur.e.s. J’ai insisté sur le fait qu’ils/elles avaient l’air très jeunes et j’ai demandé pour quelle raison ils/elles étaient arrêté.e.s. Ils m’ont alors répondu que ça ne me regardait pas. À ce moment, d’autres jeunes femmes qui étaient sur le trottoir d’en face se sont rapprochées de moi et ont également pris des photos et posé des questions sur les raisons de l’arrestation de ces mineurs. Un des policiers nous a alors demandé notre carte d’identité en disant qu’il allait nous coller une amende covid. Dans un premier temps, j’ai refusé de donner ma carte en disant que j’étais seule et que j’étais à distance des autres, qu’il n’avait pas à me mettre d’amende. Il a ensuite menacé de m’arrêter pour refus d’obtempérer si je ne lui donnais pas ma carte. Je me suis ensuite dirigée vers la gare pour prendre mon bus mais entretemps, le dispositif était devenu complètement hallucinant, digne d’un attentat terroriste. La gare et ses alentours étaient bouclés, la police occupait tout l’espace avec tout son attirail répressif (une trentaine de combis peut-être plus, chiens, la cavalerie, autopompes, drone et hélicoptère… ). Ça en était presque devenu irréel. Tout ça pour dix jeunes mineures qui n’avaient rien à se reprocher, si ce n’est d’être jeunes, racisé.e.s et en groupe. Ok les mesures covid interdisent d’être à plus de quatre mais suite au rassemblement, ils/elles n’étaient pas les seules à être regroupé.e.s … Et vraiment, cela justifie-il la mise en place d’une véritable zone de guerre ?

Ce déploiement de force complètement démesuré est sans doute à comprendre de plusieurs manières…Tout d’abord, il s’agissait d’intimider celles et ceux qui avaient décidé de braver l’interdiction. Ensuite, il s’agissait sans doute de réaffirmer la puissance de l’appareil répressif – à la suite des expressions de colère qui ont suivi la mort d’Ibrahima – en provoquant les jeunes racisé.e.s et en les réprimant ensuite. Qu’ils/elles aient été dans le cadre de la manifestation ou non, tou.te.s les jeunes racisé.e.s présents sur place ont été arrêté.e.s. Il fallait leur faire comprendre qu’ils/elles n’avaient pas le droit de protester parce qu’on les tue en rue ou dans les commissariats, qu’ils/elles n’avaient pas le droit de s’exprimer ni même d’être visibles dans l’espace public. En somme, leur rappeler qu’on leur refuse tout simplement le droit d’exister. Il s’agissait aussi, comme pour le rassemblement devant le commissariat de Schaerbeek à la suite de la mort d’Ibrahima, de changer la focale… De détourner l’attention du sujet pour lequel la manifestation – qui s’est déroulée pacifiquement, rappelons-le – avait été organisée. Ce déploiement spectaculaire visait à invisibiliser le fait que l’Etat (par l’intermédiaire de ses appareils répressif et judiciaire) réprime et tue, et à faire apparaître comme dangereu.x.ses ces jeunes desquels il faudrait protéger le reste de la population. Et par là, de transformer les victimes en criminels.

Une participante à la manifestation du 24 janvier.