Il est courant d’entendre que Marx ne fut pas un théoricien du parti. Résumant son apport sur la question d’une part à son implication dans la Ligue des Communistes, et d’autre part à son rôle au sein de la Première Internationale, on néglige souvent de nombreux textes écrits par Marx sur le sujet.
Auparavant, seule l’édition en quatre volumes, publiée par Maspero dans les années 1970 sous le titre Le Parti de classe, permettait au lecteur et à la lectrice francophone de se confronter à la conception du parti chez Marx et Engels. L’ouvrage est aujourd’hui pratiquement introuvable, et l’oubli de la question du parti a largement contribué à cette « éclipse de la raison stratégique » dont parlait Daniel Bensaïd ; or, il est crucial de la faire réémerger, car le marxisme n’est pas qu’une théorie pour comprendre le capitalisme, il est aussi une pratique pour en sortir.
C’est à ce manque que l’anthologie éditée en 2023 par Jean Quétier aux Éditions sociales (1)Marx, Karl, Sur le parti révolutionnaire, Paris, Éditions sociales, 2023 tente de répondre. Sur le parti révolutionnaire rassemble en un seul tome l’ensemble des documents écrits par Marx sur la question du parti, le plus souvent dans une traduction nouvelle et avec un appareil critique remanié, correspondant aux exigences scientifiques de notre époque. Avec des textes présentés de façon chronologique, l’ouvrage permet d’observer la pensée marxiste en mouvement, et de voir comment Marx passe progressivement d’une théorie du « parti dans le parti » (dans le Manifeste du parti communiste) à la logique d’un parti de classe, à partir des années 1850. La présentation de l’ouvrage permet ainsi d’observer que, comme souvent, la pensée marxiste est en permanente tension et opère par ruptures et discontinuités.
Bien loin d’une simple « crise de la forme parti », notre époque est celle d’un retour à la question stratégique des modalités d’organisation…
La force de cette anthologie, c’est évidemment la longue introduction de Jean Quétier, d’une centaine de pages, qui permet de retisser un fil conceptuel entre les textes de Marx, aux statuts très divers (extraits, manuscrit, correspondance, procès-verbaux de réunion, etc.), et de revenir sur quelques-uns des enjeux majeurs de la théorie marxienne du parti : l’importance d’une logique non-sectaire, le rapport du parti aux syndicats et aux élections, et la nécessité d’une coordination internationale afin d’organiser l’ensemble du prolétariat dans sa lutte contre un capital lui aussi planétaire.
Bien loin d’une simple « crise de la forme parti », notre époque est celle d’un retour à la question stratégique des modalités d’organisation, et il est certain que le parti n’a pas dit son dernier mot. Le retour aux textes de Marx ne doit pas sonner comme un appel nostalgique et dogmatique à un grand penseur du passé, mais bien comme un apport fécond à une question cruciale : comment s’organiser pour mettre fin au capitalisme ?
Notes