Nous reproduisons ci-dessous la déclaration de nos camarades de Almounadil-a au Maroc, suite au tremblement de terre du 8 septembre. La Gauche anticapitaliste exprime toute sa solidarité politique avec le peuple marocain sinistré, face aux conséquences du tremblement de terre mais aussi face au despotisme du régime.
Les souffrances des travailleur·euses marocain·e·s se sont accrues à cause d’un fort tremblement de terre, dont l’étendue des dégâts n’a pas encore été révélée. Le tremblement de terre a frappé les montagnes de l’Atlas et entraîné la disparition de villages entiers dans les banlieues et les campagnes de Marrakech, Taroudant et Ouarzazate. Les pertes se limitent aux villes, et la catastrophe a touché particulièrement les villages, et les faits apparaîtront avec le temps…
Jusqu’à présent, le nombre de mort·e·s s’élève à [plus de 2 800], ainsi que les personnes blessées, dont la plupart sont qualifiées de graves. Bien sûr, cela est lié à un phénomène naturel, mais ses conséquences sont principalement liées au type de société dans lequel il se produit. Le nombre de victimes, tant tuées que blessées, est davantage lié à des facteurs sociaux, économiques et politiques qu’à l’ampleur et à la force du séisme. Ceci explique le nombre élevé de victimes des tremblements de terre dans les pays dépendants et semi-coloniaux, alors qu’il diminue dans les grands pays industrialisés. Il diffère également d’un pays industrialisé à l’autre, selon le type de politiques suivies, l’état des services publics, et la manière dont les besoins fondamentaux des gens sont satisfaits.
Le tremblement de terre a frappé les villages du Haut Atlas la nuit, et celles et ceux qui sont resté·e·s en vie dans les cercles et les petites villes y ont fait face avec les simples moyens dont iels disposaient pour sauver les blessé·e·s. L’État et ses services n’ont pas bougé, comme d’habitude, seulement tardivement. Il était plus conscient que tout le monde de la misère et des privations créées par sa politique, laissant les gens sans défense face à ce qui leur arrivait. Son action la plus importante a été la propagande, pour commercialiser l’image d’un État capable, mais le tremblement de terre a exposé la vérité au monde (que le Covid-19 avait déjà exposé).
Le Maroc, ce ne sont pas les quartiers huppés de Rabat, Marrakech et Casablanca
Marrakech n’est pas la ville des conférences internationales et des festivals d’extravagance. La Marrakech ornée n’est pas la vraie Marrakech. Le Maroc et Marrakech sont plutôt ce à quoi nous assistons actuellement, un pays très fragile face aux malheurs du capitalisme et aux catastrophes « naturelles ». Un pays épuisé par le despotisme, ses politiques de classe et des décennies d’un néolibéralisme rigoureux et dévastateur.
Le retard des équipes de secours, la faiblesse de leur matériel technique et de leur effectif humain, l’absence d’aide médicale, de transport des blessés et d’hôpitaux de campagne, et la difficulté des itinéraires du fait d’une négligence historique, etc., a fortement contribué au nombre élevé de morts, non pas directement à cause du tremblement de terre, mais plutôt à cause d’une politique de marginalisation sociale et de pauvreté dans une région spécifique, comme la région du Haut Atlas.
Nous nous souvenons du tremblement de terre d’Al Hoceima en 2004 et des centaines de victimes et de blessé·e·s et de la destruction de maisons qui ont suivi, ainsi que des promesses et de la propagande officielle dont la fausseté ont été révélées par le Hirak (mouvement de protestation populaire) du Rif, qui a éclaté après l’écrasement du martyr Mohcine Fikri en novembre 2016. Un mouvement qui a forcé l’État à admettre qu’il n’avait pas tenu ses promesses et ses plans annoncés après la catastrophe, parallèlement à une répression très forte et des peines sévères qui ont été infligées aux dirigeants du mouvement pour le délit de « révélation des secrets d’État ».
Un pays épuisé par le despotisme, ses politiques de classe et des décennies d’un néolibéralisme rigoureux et dévastateur.
Ce qu’il faut souligner, c’est que les catastrophes naturelles, aujourd’hui plus violentes en raison des grandes destructions infligées par le capitalisme à l’environnement, peuvent provoquer des pertes matérielles et humaines, mais elles ne sont qu’une révélation de la réalité de la ruine économique et sociale ou d’une politique de classe qui détruit les services publics, base de toute véritable stratégie face aux catastrophes majeures.
La violence des catastrophes naturelles, telles que les tremblements de terre et autres, les sécheresses, les incendies, les inondations et les pandémies virales, est devenue un danger supplémentaire qui caractérise l’ère du capitalisme de crises extrêmes. Des crises insolubles et destructrices à la lumière de la poursuite de la politique de privatisation des services publics et de la subordination de la politique économique aux intérêts du capital privé. Cela n’est pas lié au retard des capacités techniques, des connaissances et de l’expertise, mais plutôt au fait que les crises elles-mêmes sont une source de profit de capitalistes qui s’enrichissent des catastrophes. Nous avons été témoins de l’effroyable échec des pays capitalistes riches face aux incendies massifs, à la pandémie de Covid-19 ou aux violents tremblements de terre…
Les institutions capitalistes saisiront ce tremblement de terre, comme elles l’ont fait pour d’autres catastrophes, et s’efforceront d’en faire une autre source de profits.
Les puissances impérialistes et réactionnaires qui soutiennent le despotisme s’efforceront également d’ajuster leur « soutien » au rythme du maintien de la gestion du pays selon la même perspective qui le maintient dépendant et arriéré et donc vulnérable aux catastrophes, quelles qu’elles soient, qu’il s’agisse d’une crise économique ou « naturelle ». Les institutions financières mondiales, de toutes leurs forces, se tiendront aux côtés de leur allié local, afin de faire du tremblement de terre un autre moyen de plonger le pays, déjà embourbé, dans le piège de la dette et de la dépendance.
Les couches populaires de différentes régions du pays ont pris l’initiative de manifester leur solidarité avec les victimes du tremblement de terre. Des convois humanitaires partent de toutes les directions vers Al Haouz et Taroudant, et c’est une chose qui doit être soutenue par chaque travailleur·euse et militant·e pour un avenir meilleur. Mais cette aide et cette solidarité matérielle populaire ne compenseront pas la solidarité politique requise.
Nous devons lutter pour faire tomber les politiques qui ont conduit notre pays à son état d’incapacité et de fragilité, et pour arrêter le transfert de nos richesses, en arrêtant le paiement du service de la dette comme mécanisme de ce transfert et aussi mettre fin à la soumission aux institutions mondiales de pillage. Il est également nécessaire d’orienter toutes les politiques vers la satisfaction de nos besoins humains… La solidarité politique avec les sinistré·e·s est aujourd’hui le devoir le plus important face aux appels incessants en faveur d’un consensus politique autour du despotisme, un consensus qui a été tenté à plusieurs reprises et qui n’a conduit qu’à la ruine.
Le tremblement de terre est une catastrophe naturelle ! Oui, mais l’incapacité à répondre aux besoins des populations est le résultat d’une politique consciente qui a conduit à l’isolement continu des victimes pendant des décennies : pas de routes, pas d’hôpitaux, pas d’équipes d’urgence… Pour le bien de notre sécurité, il n’y a pas d’échappatoire à une alternative sociale qui entre en conflit avec les intérêts du Capital, car il n’y a de salut qu’en éliminant son pouvoir et son autorité et en ouvrant la voie à une société libre de l’exploitation et du despotisme.
Almounadil-a, 11 septembre 2023
Article initialement publié en arabe sur le site almounadila.info
Photo : © UNICEF/UNI434157/Benkirane