Cent ans après Octobre 1917, la première révolution victorieuse de la classe ouvrière reste plus que jamais un champ de bataille historique et idéologique. En cette période de commémorations se mène une lutte médiatique à propos de son héritage, où l’on se passe allégrement de l’analyse pour se livrer à l’interprétation la plus fantaisiste ou la plus réactionnaire. Et paradoxalement, ce sont celles et ceux qui prétendent que la lutte des classes n’existe pas (ou plus) qui se font les fers de lance de cette lutte. Comme s’ils/elles voulaient s’assurer que l’idée de révolution était bel et bien enterrée pour les siècles à venir.

Chez nous, cela se traduit notamment par le dépoussiérage de la « peur du rouge », par les différents partis de droite et du centre. Cette mascarade pourrait faire sourire tellement elle est caricaturale, mais elle démontre néanmoins une véritable offensive idéologique, teintée malgré tout d’un arrière fond de peur : la révolution fout encore la pétoche aux dominants !

Tout l’enjeu pour eux est d’assimiler, aux yeux de l’opinion publique, les notions de communisme et marxisme à celles de stalinisme et totalitarisme. Et par là même discréditer toute idée de révolution future. Ainsi l’essayiste Thierry Wolton affirmait récemment, lors d’un débat sur Arte à propos de 1917, « tout était écrit par avance. Une des raisons principales de ce côté criminogène du communisme tient dans une phrase de Marx qui est la suivante : ‘la lutte des classes est le moteur de l’histoire’ ».

De la part de la droite c’est business as usual, serait-on tenté de dire… Et à gauche ? Certaines traditions, héritières du stalinisme ou du maoïsme, font elles aussi, à leur manière, le même amalgame. Pour elles, radicalité rime forcément avec autoritarisme, verticalisme et avec la conception indépassable d’un parti ou d’un mouvement unique (ou se revendiquant comme tel) articulé autour du culte du leader charismatique. On retrouve cette dernière tendance notamment au sein de la « nouvelle gauche populiste », pour qui les classes sociales n’existeraient plus et pour qui l’unique ciment capable d’agglutiner le peuple serait… le leader. C’est ce que nous abordons dans notre article sur la « révolution citoyenne » et son chef [pages 28-29].

Notre conception est radicalement différente. Culte du leader et autoritarisme ne sont pas pour nous des caractéristiques de la révolution, ils sont au contraire des caractéristiques évidentes des contre-révolutions ! La tragédie syrienne, sur laquelle nous nous entretenons avec l’écrivain et dissident Yassin Al-Haj Saleh [pages 22 à 27] nous le montre clairement.

Nous avons choisi de consacrer ce premier numéro thématique de La Gauche à l’idée de révolution, tout d’abord en revenant sur l’histoire de 1917 pour en disputer la légitimité [pages 5 à 19]. Octobre a été une révolution dans tous les sens du terme et a donc amené ses protagonistes à repenser l’organisation de la société dans tous les domaines. Dans la politique et dans l’économie, bien sûr ; mais aussi, on l’oublie souvent, en ce qui concerne les droits des femmes [pages 11 à 13], l’éducation [pages 17-18] et même l’écologie [pages 14 à 16]. Nous n’abordons cependant pas 1917 avec nostalgie. S’il est important de connaître l’histoire, il est indispensable de se tourner vers l’avenir et d’oser imaginer quelles formes concrètes pourrait prendre une révolution aujourd’hui dans un pays capitaliste avancé comme la Belgique. Quelles luttes, quels espaces, quels lieux de socialisation pourraient permettre de recréer un sentiment d’appartenance de classe ? C’est notamment sous ce prisme que nous abordons le débat avec les mouvements dits de la Transition [pages 33 à 35].

La marque de fabrique d’une véritable révolution est, selon nous, l’ouverture des possibles, la capacité à redonner à celles et ceux d’en bas les moyens de décider de leurs propres vies. Autrement dit, c’est l’auto-organisation de toutes et tous à travers l’autogestion des luttes [pages 36-37]. Parce que c’est bien là, en fin de compte, le seul moyen de faire « voler en éclats la continuité de l’Histoire », comme disait Walter Benjamin*. Pour nous, commémorer Octobre, c’est  revendiquer haut et clair notre tâche dialectique : « Rallumer la mèche du matériel explosif  déposé dans le passé » !

* Dans son ouvrage Sur le concept d’histoire.

 

Sommaire de La Gauche (automne 2017)

 

cahier 1 / passé (dé)composé

– La légitimité historique de la révolution d’Octobre / Par DAVID MANDEL

– Bolcheviks et revendications féministes : une relation tumultueuse / Par MARIJKE COLLE

– Les trop brèves rencontres de la révolution russe et de l’écologie scientifique / Par DANIEL TANURO

– Déscolariser la société, socialiser l’éducation ? / Par MATILDE DUGAUCQUIER

cahier 2 // impératif présent

– Vous parler d’elle… / Par FRANÇOIS HOUART

– Se réapproprier la politique : rencontre avec une figure de la révolution syrienne

/ Entretien avec YASSIN AL-HAJ SALEH

– La révolution citoyenne… et son chef / Par ALBERTO LAITANO

– Transmettre l’importance de la démocratie dans les révolutions / Entretien avec PETER VELTMANS

cahier 3 /// futur conditionnel

– Du potager à la barricade / Par SÉBASTIEN BRULEZ

– Éloge de l’autogestion soviétique / Par OLIVIER BESANCENOT

 

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