Pour que la révolution renoue avec les succès au Venezuela, ses partisans, dans le pays et à l’étranger, doivent d’abord reconnaître qu’ils ont perdu.

Au premier coup d’œil, la situation semble par trop familière. Une nouvelle élection âprement disputée au Venezuela, une nouvelle victoire du gouvernement chaviste assiégé depuis longtemps, une nouvelle série d’allégations de fraude de la part de l’opposition soutenue par les États-Unis.

Il s’agit d’un scénario bien rodé qui se répète depuis près de 25 ans. C’est ce qui s’est passé en 2004 lorsque, à la suite d’une tentative de coup d’État, d’une grève de l’industrie pétrolière et de violentes manifestations visant à évincer Hugo Chávez, les opposants ont tenté de renverser le président pour ensuite prétendre à tort qu’il y avait eu fraude alors qu’il l’avait emporté haut la main. C’est ce qui s’est passé en 2012, lorsque Chávez, rongé par le cancer, s’est assuré une nouvelle victoire éclatante alors que les sondages préélectoraux annonçaient une victoire de l’opposition, ce qui a donné lieu à de nouvelles allégations non prouvées de fraude électorale. Et c’est ce qui s’est passé en 2013 lorsque, un mois après la mort de Chávez, son successeur désigné, Nicolás Maduro, a obtenu une courte majorité pour s’emparer de la présidence, ce qui a donné lieu à des manifestations et à de nouvelles allégations de fraude, une fois de plus sans fondement.

Dans ce contexte, il peut être tentant pour ceux qui ont soutenu ou soutiennent encore ce que Chávez appelait une révolution bolivarienne – un mouvement qui vise à rendre le Venezuela, et ensuite le reste de l’Amérique latine, plus réceptif aux besoins populaires – de rejeter les affirmations de l’opposition selon lesquelles Maduro a falsifié les élections pour obtenir un nouveau mandat de six ans. D’autant plus que le gouvernement américain a annoncé qu’il reconnaîtrait la victoire de l’opposition, alors que la plupart des pays de la région se gardent bien de le faire. (Les efforts déployés par les États-Unis pour évincer Chávez, puis Maduro, sont allés des sanctions ciblées au financement d’un gouvernement fictif en exil, en passant par le lancement d’une campagne de « pression maximale » visant à isoler le Venezuela et à étrangler son économie).

Des fraudes avérées

Mais la réalité, c’est que cette fois-ci, c’est différent. Dix jours après le scrutin, il ne fait plus guère de doute que M. Maduro a perdu sa tentative de réélection et que son gouvernement a l’intention de rester au pouvoir, défiant ainsi la volonté des électeurs vénézuéliens. La preuve en est fournie en partie par le refus persistant des autorités électorales de rendre publiques les données relatives aux circonscriptions, comme elles l’ont fait rapidement lors des élections précédentes et comme la loi l’exige, ou de produire des données prouvant ce qu’elles affirment être une « campagne de piratage brutale » ayant ciblé leur systeme de vote. Des preuves sont également disponibles sur la plateforme en ligne de l’opposition, qui héberge des copies de ce qui paraît constituer plus de 80 % des résultats des circonscriptions, donnant au candidat de l’opposition, Edmundo Gonzalez, une marge de victoire de deux contre un. Elles résident également dans les déclarations publiques de gouvernements par ailleurs favorables au chavisme – au Brésil, en Colombie et au Mexique – qui conditionnent la reconnaissance des résultats à une vérification indépendante des résultats annoncés par le Conseil national électoral.

Mais la preuve la plus solide se trouve probablement dans les rues. Dans les jours qui ont suivi la victoire supposée de M. Maduro, des manifestations parfois violentes, mais le plus souvent pacifiques, ont éclaté dans tout le Venezuela. Contrairement aux précédentes vagues d’agitation post-électorale, qui impliquaient principalement les plus fervents partisans de l’opposition parmi les classes moyennes du pays, ces manifestations ont commencé dans des zones où le chavisme a longtemps tenu le haut du pavé, dans les barrios et les secteurs populaires au cœur du projet politique de M. Chávez. À ce jour, les affrontements avec les forces de l’ordre ont provoqué près de deux douzaines de morts et plus d’un millier d’arrestations.

Les autorités accusent des agitateurs extérieurs formés au Texas. Mais le croire, c’est ignorer délibérément ce que la dernière décennie a fait comme mal au Venezuela et tout ce qu’elle a fait perdre d’attrait au chavisme, autrefois puissant et majoritairement populaire. Depuis son arrivée au pouvoir, M. Maduro a détourné les ressources, qui s’amenuisent en raison de la baisse des prix du pétrole, vers un cercle étroit de ses partisans, surtout au sein de l’armée et de l’appareil de sécurité, afin de consolider le contrôle exercé par le gouvernement. Cela a signifié la réduction ou l’élimination pure et simple des programmes sociaux et des dispositifs de participation qui caractérisaient le chavisme.

Du mécontentement aux manifestations

Lorsque le mécontentement des chavistes de base s’est transformé en mouvement de protestation, Maduro a réagi en lançant des opérations de police spéciales visant officiellement à lutter contre la criminalité mais qui ont pris pour cible la jeunesse urbaine, ce qui a donné lieu à des milliers d’exécutions extrajudiciaires destinées à empêcher les barrios de bouger. Plus récemment, afin de lutter contre l’hyperinflation et de tirer profit des envois de fonds effectués par les plus de 7 millions de migrants vénézuéliens vivant à l’étranger, Maduro a dollarisé l’économie du pays, abandonnant à leur sort ceux qui ne disposent que d’un accès minimal aux maigres aides de l’État ou aux envois de fonds des émigrés.

Certes, les sanctions américaines ont exacerbé la crise vénézuélienne. Mais elles n’en sont pas la cause et n’expliquent pas non plus pourquoi des secteurs fidèles au gouvernement depuis 25 ans s’en sont détournés lors des élections. C’est plutôt la combinaison de l’austérité, de la corruption, de la répression et de la dollarisation sous Maduro, tout ceci frappant les bases historiques du soutien au chavisme, qui a pour la première fois permis de faire basculer la présidence vers l’opposition.

Mais déterminer s’il s’agit là de la fin du chavisme, c’est une autre question, dont la réponse reposera en grande partie sur la solidarité de la gauche. Même si l’opposition a finalement remporté la présidence, elle sera confrontée à des défis gigantesques une fois au pouvoir. Depuis qu’il a remodelé l’État, le chavisme contrôle toutes les institutions gouvernementales, y compris l’Assemblée nationale, la plupart des gouvernorats et des mairies, l’armée et la police. Si elle veut être, comme elle le prétend depuis longtemps, une alternative démocratique au chavisme, l’opposition devra œuvrer au sein de l’État chaviste et non le purger. En outre, même si elle a maintenu une unité notable pendant la campagne, l’opposition se compose sur le plan idéologique d’un large éventail de protagonistes. Les voix les plus fortes ont appelé à la mise en œuvre d’un programme néolibéral orthodoxe, à la privatisation de la compagnie pétrolière d’État et de l’enseignement public ainsi qu’au démantèlement de ce qui reste des filets de sécurité sociale, et ceci en faveur du secteur privé et des capitaux étrangers. Il reste à voir si ce programme l’emportera ou s’il fracturera la coalition de l’opposition.

Mais surtout, une opposition au pouvoir devra faire face à sa principale faiblesse : considérer les secteurs populaires comme acquis ou, pire, les rejeter purement et simplement. Oui, ces secteurs se sont retournés contre ce qu’est devenu le chavisme. Mais supposer qu’ils ont donné carte blanche à l’opposition est pour le moins exagéré. Il en va de même pour l’hypothèse selon laquelle ils se sont retournés contre tout ce que le chavisme incarnait autrefois. Aider à reconstruire les programmes sociaux et les mécanismes de participation plutôt qu’à les démanteler sera déterminant dans le processus politique qui suivra. Soutenir ce travail et défendre ceux et celles qui constituaient autrefois le noyau dur du chavisme devrait être la pierre angulaire de la solidarité de la gauche. Mais pour avoir une quelconque crédibilité, la gauche doit d’abord défendre la souveraineté populaire.

Pour la gauche

Pour la gauche, il s’agit de choisir entre soutenir une personne ou un processus, un choix que Chávez lui-même avait bien compris. Face à une réélection difficile en 2012, qui s’est avérée être sa dernière, il a parlé franchement à la presse de ses perspectives. « Si je perds […], je serai le premier à l’admettre et à céder le pouvoir, et j’appellerai mes partisans, civils et militaires, des plus modérés aux plus radicaux, à obéir à la volonté du peuple. Et c’est ce qu’il faut faire, car ce ne serait pas la fin du monde pour nous. Une révolution ne se fait pas en un jour, elle se fait tous les jours ».

Le 28 juillet, Maduro a perdu. Pour que la révolution gagne à nouveau au Venezuela, ses partisans, dans le pays et à l’étranger, doivent d’abord reconnaître la défaite et les nombreux dérapages qui l’ont entraînée, puis se mettre au travail pour soutenir le chavisme dans l’opposition, et non pas au pouvoir.


Article initialement publié le 8 aout sur le site d’Europe Solidaire sans Frontières

• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepL. Source : Anti*Capitalist Resistance. 09 août 2024 :

Cet article a été publié à l’origine dans The Nation

Photo : Nicolas Maduro, président du Venezuela. Crédit : Wikimedia Commons

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