C’est chaque année non sans un certain recul que nous investissons l’espace de la Belgian Pride pour y porter notre discours et nos revendications (1)Lire le tract que nous y avons distribué : « Pour une Pride de lutte ». : d’un côté, la Pride est depuis longtemps devenue un événement très dépolitisé qui, sous couvert d’un légitime désir de fêter les identités queer, se trouve entaché par les pratiques de pinkwashing des partis politiques et des entreprises, soucieuses d’instrumentaliser nos existences afin de redorer leur image ; d’un autre côté, c’est la seule mobilisation LGBTI massive en Belgique, parvenant à réunir dans la rue plusieurs dizaines de milliers de personnes, et il est donc crucial pour nous d’y porter un message politique radical qui dénonce toutes les oppressions systémiques et qui pointe la responsabilité du capitalisme et du patriarcat dans les LGBTIphobies.

C’est pour cette raison que, bien que nous partageons un grand nombre de revendications avec la Pride VNR, rassemblement alternatif organisé par des militant·e·s LGBTI qui refusent de marcher avec les entreprises et les partis, nous avons décidé de placer nos forces au sein de la Pride « officielle » : notre objectif est bien de convaincre un maximum de personne de la nécessité de s’organiser politiquement autour de luttes contre la domination du cis-tème hétérosexuel ; car si les droits LGBTI ont effectivement progressé ces dernières années (2)Une progression dont on aurait tort de penser qu’elle tiendrait d’un inéluctable processus historique : ces droits peuvent nous être enlevés à tout moment à cause d’un backlash réactionnaire, comme celui que subissent actuellement les personnes trans aux États-Unis, par exemple., ce n’est pas grâce à la charité d’une élite politique acquise à notre cause, mais bien à travers à la mobilisation de collectifs LGBTI qui sont parvenus à imposer un rapport de force suffisant pour donner corps à leurs revendications. Il importait également pour nous de rappeler que les Prides ne sont pas simplement l’occasion de fêter la diversité de nos identités, mais surtout de commémorer les émeutes de Stonewall en 1969, durant lesquels des personnes LGBTI, en particulier des femmes trans racisées et travailleuses du sexe, se sont révoltées contre les assauts de la police.

Un héritage que ne semble « curieusement » pas revendiquer la police belge, présente en masse lors de la Pride, et dont une équipe a suivi notre bloc durant toute la marche, peut-être parce que le hasard a fait qu’en début de manifestation, nous nous trouvions non loin du cortège de la N-VA, et qu’iels craignaient un éventuel désordre ? Difficile de savoir. Toujours est-il que leur surveillance prolongée avait clairement pour fonction de nous intimider et de nous faire comprendre que notre discours n’était pas le bienvenu. Si cet événement ne nous a pas empêché de porter haut et fort nos revendications, il est l’occasion pour nous de rappeler ici, comme nous l’avons fait durant la Pride, que la police n’est pas et ne sera jamais l’alliée des personnes LGBTI : alors que les violences LGBTIphobes fleurissent de façon inquiétante partout dans le monde (3)En 2022 en Belgique, Unia a clôturé 137 dossiers relatifs à l’orientation sexuelle, ce qui ne représente pourtant que la face émergée de l’iceberg ; du côté français, SOS homophobie recensait 1 138 situations LGBTIphobes en France en 2022, ce qui n’est ici aussi qu’une sous-estimation, la plupart des manifestations LGBTIphobes n’étant pas signalées., le plus souvent avec le concours de l’extrême droite (4)Lire notre article : « Fascisme, fémonationalisme et transphobie : de quoi l’invitation de Marguerite Stern à Bruxelles est-elle le symptôme ? », et alors que la NV-A instrumentalise largement nos luttes à des fins racistes (5)Comme le dénoncent les collectifs féministes et LGBTI depuis des années. Voir par exemple ici : https://www.rtbf.be/article/la-n-va-veut-bien-proteger-les-homos-qui-lui-conviennent-pas-les-autres-9921219, la police a ici clairement montré son camp.

La surveillance prolongée de la police avait clairement pour fonction de nous intimider et de nous faire comprendre que notre discours n’était pas le bienvenu à la Pride.

Évidemment, porter des revendications radicales dans un océan bruyant et dépolitisé comme la Pride peut parfois donner l’impression de parler dans le vide. Heureusement, nous marchions non loin des blocs de l’Union syndicale étudiante (USE) et de Femme, Vie, Liberté, collectifs avec lesquels nous partageons de nombreuses revendications : ensemble nous avons pu faire l’expérience essentielle de la lutte commune, notamment en renforçant mutuellement nos slogans, et en formant ainsi un salutaire îlot combatif au sein de la Pride. Nous avons pu nommer nos ennemis communs, le capitalisme et le patriarcat, et rappeler notre soutien aux luttes de tou·te·s les opprimé·e·s : par exemple des delhaiziens et delhaiziennes (« bravo les lesbiennes, et les delhaiziennes ») ou encore des personnes sans-papiers (« les pédés contre les centres fermés »).

Alors que l’extrême droite se fait de plus en plus inquiétante partout dans le monde et introduit une rhétorique ouvertement LGBTIphobe dans son agenda réactionnaire, les gouvernements libéraux et bourgeois témoignent au mieux de leur impuissance à contrer la croissance des discours et des actes haineux envers les LGBTI ; au pire de leur complaisance à l’égard de ces idéologies nauséabondes qui s’appuient de plus en plus sur la stigmatisation et la violence à l’encontre de nos communautés.

Plus que jamais, donc, il est essentiel pour nous de construire un mouvement LGBTI massif et combatif qui puisse exister en dehors des mois de mai et juin et qui impose un véritable rapport de force face à ces puissances menaçantes qui s’organisent contre nous. C’est le message que nous portions ce 20 mai et que nous continuerons à défendre avec la même force le reste de l’année.

Photo : Pride 2023 à Bruxelles (Dominique Botte, Gauche anticapitaliste, CC BY-NC-SA 4.0).

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