Le Gouvernement wallon prépare actuellement une « modernisation » du Code minier qui permettra à terme la réouverture de mines en Wallonie, pour exploiter le zinc, le plomb, l’argent, et autres métaux associés (dans le cadre de la relance minière européenne). La Gauche anticapitaliste a récemment signé une carte blanche (1)Pour une démocratisation immédiate de la question minière en Belgique, Le Soir, 17/11/2022., aux côtés de plus d’une vingtaine d’associations et collectifs, demandant que toute avancée pour la mise en place du Plan de Relance minière appliqué à la Belgique soit stoppée. Nous reproduisons ci-dessous un article rédigé par Les DoMineurs, collectif d’opposition « lucide et réfléchie aux mines en Wallonie et au-delà ».
L’Europe est loin d’être autosuffisante en approvisionnement de métaux. Malgré des taux de recyclabilité et d’efficacité en augmentation (bien que marginaux) et quelques technologies de substitution, les pays membres de l’Union européenne (UE) comptent parmi les plus gourmands en ressources naturelles métalliques (20-30% des métaux produits dans le monde, tandis que l’exploitation minière au sein de l’UE ne représente que 3% de la production mondiale).
D’ici 2030, la demande annuelle mondiale en gallium, indium, sélénium, tellure et autres métaux de spécialités (également appelés, à tort, « terres rares », tous les métaux étant des ressources rares) pour les panneaux photovoltaïques et les éoliennes va augmenter jusqu’à 230% par rapport à 2010. D’autres prévisions bien plus élevées sont aussi annoncées, de l’ordre de jusqu’à 500 % selon les métaux. Par ailleurs, vu la difficulté croissante à trouver et à extraire de manière économiquement rentable toutes les matières nécessaires aux projections des besoins futurs depuis la croûte terrestre, les grandes mines à ciel ouvert peuvent rarement être évitées.
De larges bases de données reprenant les ressources connues ainsi que la géologie de potentiels minerais par région (des projets financés par l’UE tels que ProMine et Minerals4EU) sont en cours de constitution, fruits de l’Initiative Matières Premières lancée par la Commission européenne dès 2008 et formalisée dès 2012. En Belgique, il s’agit de « l’observatoire sur les matériaux critiques rares » annoncé par la ministre écologiste Zakia Khattabi pour 2023.
La relance minière européenne est accompagnée d’une campagne basée sur le concept de « Mines Vertes » (Green Mining) permettant d’édulcorer la réalité des impacts environnementaux, sociaux et sanitaires induits inévitablement par les activités minières. Elle vise à construire l’acceptabilité sociale en même temps que la Commission évalue les régions du continent qui se verraient sacrifiées écologiquement et socialement pour un intérêt économique. Souvent accompagnées de l’argument fallacieux de « création d’emplois » (bien réels, mais pour qui et au prix de combien d’autres perdus ?) ou encore d’un hypothétique ruissellement pour éponger la « dette publique » (ruissellement bien dérisoire en comparaison des bénéfices gigantesques que ce pillage organisé de nos ressources permettrait aux exploitants… et à quel prix pour le patrimoine naturel et ses habitant·e·s ?)
Une exploitation des minerais pour répondre à des besoins économiques à court terme ne fait que reporter à plus tard l’indispensable débat de la finitude des ressources.
Une exploitation des minerais pour répondre à des besoins économiques à court terme ne fait que reporter à plus tard l’indispensable débat de la finitude des ressources, de l’impact réel de leur exploitation, de la finalité des usages et, in fine, de la définition du modèle de développement le plus raisonnable et réaliste permettant un avenir véritablement durable et soutenable pour le présent et les générations futures. L’argument du développement économique d’une région et de l’enrichissement de la collectivité ne pallie absolument pas les nombreux et importants impacts négatifs que l’ouverture de nouvelles mines sur notre territoire impliquerait.
Dans les années 80, de premiers travaux d’exploration dans la concession de Plombières (à l’est de la Belgique) ont permis de démontrer l’existence d’une minéralisation d’une longueur de plus de 3,5 km. Il a été estimé que la ressource explorée est de l’ordre de 1,7 Mégatonne de minerais ayant des teneurs en métaux avoisinant les 187.000 T de zinc, 34.000 T de plomb et 51 T d’argent, ajoutées aux différents minerais de « métaux de spécialités » associés. Sachant que le potentiel total pourrait être bien supérieur à ces premières estimations… pour une valeur estimée en (dizaines/centaines de ?) milliards d’euros.
En Belgique, la compétition avec d’autres aménagements du territoire, tels que l’agriculture, les habitats ou la conservation de la nature sont autant d’obstacles pour l’exploration minière.
En Belgique, la compétition avec d’autres aménagements du territoire, tels que l’agriculture, les habitats ou la conservation de la nature sont autant d’obstacles pour l’exploration minière. De plus, les licences des principales concessions belges, Plombières et Vieille Montagne, furent transférées au Gouvernement wallon qui, jusqu’ici, bloquait toute entreprise souhaitant démarrer une phase d’exploration dans cette partie de la Belgique. C’est pourquoi les géologues du secteur minier sont actifs auprès de la Région wallonne depuis des années afin de stimuler l’intérêt pour des phases d’exploration approfondies (cartographie géologique à des fins scientifiques) et pour que le Gouvernement wallon renonce officiellement à ces concessions, tout en poussant à la modernisation du Code minier. Notons que les recommandations du secteur minier auprès du Gouvernement wallon depuis 2014 sont :
1. La Région wallonne devrait rapidement renoncer aux deux concessions ;
2. La Région wallonne devrait soutenir financièrement les efforts des universités pour définir les ressources minérales et la présence de métaux rares les accompagnant ;
3. La Région wallonne devrait donner une mission claire à son département de sondage géologique pour évaluer les ressources minérales régionales et pour donner des permis d’exploration et référencer les programmes d’exploration ;
4. La Région wallonne devrait moderniser le Code minier actuel.
C’est dans ce contexte que l’actualisation du Code de gestion des ressources du sous-sol par les Cabinets ministériels de Mme Tellier, M. Henry et M. Di Rupo prend forme. Ils reprennent ainsi le travail initié en 2018 par les Ministres Borsus et Di Antonio. En conséquence, nous remarquons que, en ce moment-même, le nouveau « Code minier » risque de passer en seconde lecture dans la plus grande discrétion, et donc à l’insu d’une grande partie de la population.
La rédaction du nouveau Code de gestion des ressources du sous-sol s’inscrit donc dans l’Initiative Matières Premières lancée par la Commission européenne dès 2008 (formalisé dès 2012) et contribue, selon le secteur minier lui-même, à la « ruée vers l’or européenne des 21, 22 et 23ème siècles ». La mise à jour de ce document va conditionner les décennies à venir en Belgique, ce qui fait de toute participation à sa mise en œuvre une contribution directe à l’accessibilité future de nos sous-sols par l’industrie minière, jusque-là préservés par nos pouvoirs publics, refusant de renoncer aux concessions en leur possession, nous protégeant ainsi de tout tentative d’exploration/exploitation de ces gisements minéraux.
Nous sommes conscient·e·s de l’urgence à mettre en œuvre des solutions efficaces, réalistes et à la hauteur des enjeux climatiques et socio-environnementaux auxquels nos sociétés humaines sont confrontées. Il apparaît que le maintien d’une trajectoire idéologique entretenant la croyance d’une fuite en avant technologique salvatrice est une vision irresponsable, dangereuse et suicidaire.
La relance minière au sein de l’Union européenne ne sera proportionnée que si les citoyen·ne·s ont la capacité de remettre en question ce système d’exploitation dans lequel chacun·e se retrouve mis·e en position de complicité forcée, tout autant que la cohérence de cette direction remplie de paradoxes prise par les États-membres de l’UE : la double Transition, « verte » et numérique. Sans oublier de questionner l’influence du complexe militaro-industriel dans les directions imposées à l’entièreté du continent. Ce renouveau minier se voit justifié de cette manière dans les textes de la Commission européenne et du Parlement européen :
« Les actions (qui) favoriseront notre transition vers une économie verte et numérique et renforceront la résilience de l’Europe et l’autonomie stratégique dans les technologies clés nécessaires à cette transition » et à « atteindre les objectifs du Pacte vert pour l’Europe, de la stratégie industrielle de l’UE et de la double transition et pour garantir sa future compétitivité industrielle et capacité d’innovation. »
Nous affirmons qu’une compréhension des impacts de l’essor de nos sociétés technologiques sur les écosystèmes et les populations humaines ne peut pas se limiter à la seule prise en compte des émissions de gaz à effets de serre. Elle devrait en effet inclure l’entièreté des enjeux induits, dans tous les pays impactés par ce modèle de développement, au nord comme au sud : réalités de l’extractivisme, exploitations sociales, répressions, pollutions diverses et irréversibles, technocratie, militarisme, dépossession politique, destruction de la biodiversité, finitude des ressources, contradictions entre démocratie et capitalisme, etc.
Ce, afin de pouvoir apporter les solutions les plus efficaces possibles aux défis majeurs auxquels les sociétés humaines sont actuellement confrontées, en ayant une lecture la plus exhaustive possible de la situation réelle. Sachant également que l’optimisation des techniques de recyclage des matières minérales en circulation (mines urbaines) ne suffira pas. À titre d’exemple, comme nous le rappelle M. Eric Pirard :
Les énergies solaire et éolienne fournissent seulement 2 à 3% de l’énergie mondiale, mais la contribution des éoliennes et des panneaux photovoltaïques pourraient passer de l’actuel 400 terrawatts/heure à 25.000 Tw/h en 2050. Étant donné que la plupart des sources d’énergies renouvelables sont diffuses et intermittentes, capter cette énergie exige l’étalement d’une infrastructure complexe s’étendant sur de vastes zones, aussi bien sur les terres qu’en mers, et ces installations consommeront de grandes quantités de métaux et d’autres produits minéraux. Ces matériaux, une fois utilisés, seront immobilisés pour plusieurs dizaines d’années et ne pourront pas immédiatement être recyclés. En 2050, approximativement 3.200 millions de tonnes d’acier, 310 millions de tonnes d’aluminium et 40 millions de tonnes de cuivre seront nécessaires à la construction des infrastructures qui généreront les 25.000 Tw/h prévus dans le scénario Ecofys.
À cette lecture, certain·e·s y verront la nécessité de cesser le délire pour des raisons évidentes de non-soutenabilité du modèle de développement, quand d’autres y liront les raisons d’ouvrir de nouvelles mines et de continuer le désastre du déploiement du capitalisme industriel. Aujourd’hui encore et depuis des années (!), la stratégie de développement voulue par les secteurs industriels et la Commission européenne n’offre que trop peu d’informations publiques sur son implémentation et ce, jusqu’aux phases d’exploration et d’exploitation. L’adoption du nouveau « Code minier » semble être prévue pour 2023 et nous nous interrogeons quant à la place laissée à la société civile, tant dans le choix du modèle de société que dans les décisions et la rédaction de textes qui impacteront inévitablement le territoire pour des décennies. Nous nous interrogeons aussi quant au rôle joué aujourd’hui par notre Gouvernement en tant qu’organe décisionnel public orientant le devenir du patrimoine commun que sont les ressources de nos sous-sols dont la gestion et l’exploitation sont d’intérêt général.
Enfin, nous nous interrogeons sur le rôle joué par le parti écologiste qui se retrouve donc à la manœuvre pour mettre sur les rails le plan de relance minière de la Commission européenne appliqué à la Wallonie… au nom de l’écologie !?
Comment se définit l’intérêt général ? Que signifie « être écologiste » en 2022 ?
Sur la question de la relocalisation européenne des activités minières vers l’Europe pour des raisons éthiques, il est à noter que nous évoluons dans d’un marché mondialisé de l’énergie et des matières premières au sein duquel l’un et l’autre secteurs sont interdépendants, avec des entités industrielles multinationales omnipotentes et aux succursales multiples. Il est donc totalement illusoire de croire que le fait d’ouvrir des mines « ici » va en fermer « là-bas ». Ce seront simplement plus de mines exploitées partout, pour les besoins exponentiels et les intérêts du déploiement ininterrompu de la civilisation industrielle, en même temps que l’enrichissement des actionnaires et autres détenteurs des capitaux en jeu.
Sans oublier de mentionner qu’il n’existe et n’a jamais existé aucune « transition énergétique », mais qu’il s’agit toujours « d’accumulation de sources d’énergies » (la consommation de toutes sources d’énergies confondues n’a en effet jamais été aussi importante qu’à l’heure de la « transition énergétique ») et que plus de production d’énergie industrielle est majoritairement utilisée pour faire ce que fait toujours l’économie industrielle : convertir le vivant en inerte (les forêts vivantes en planches de bois, les montagnes vivantes en composants minéraux), amplifiant par là les désastres en cours.
Gardons aussi à l’esprit que nous baignons dans une société de consommation qui, pour des raisons de croissance économique, a créé de nombreux besoins artificiels et usages non-essentiels, qui induisent un gaspillage outrancier de ces précieuses ressources finies. Il va falloir contenir ces besoins et usages urgemment pour s’en libérer, si tant est que cela soit notre volonté. En effet, la multiplication des outils technologiques constitue, de fait, une catastrophe pour l’environnement, ainsi que pour les générations présentes et futures. Promouvoir et déployer, « aveuglément » et sans analyse systémique comme c’est le cas depuis tant d’années, les technologies « vertes », la digitalisation de la société, la 5G, les « smart cities », « smart grid » et « smartphones » revient à encourager des pratiques extractivistes, toujours hautement nuisibles pour l’environnement, ce qui remet en cause les conditions de viabilité sur Terre.
De plus, ni une traçabilité des matières minérales étiquetée sur les biens de consommation contenant ces minerais, ni un système de « labels », ne peuvent constituer une mesure suffisante pour encadrer les usages finaux auxquels sont consacrées les matières minérales extraites. Conscient·e·s, en effet, qu’un étiquetage ne peut pas suffire à contre-balancer des décennies de propagande publicitaire ayant façonné les esprits au point d’avoir enraciné des comportements de techno-dépendance et d’habitudes consuméristes aliénantes.
Par ailleurs, il n’apparaît ni réaliste, ni pertinent de questionner la cohérence d’un Plan de relance minière en Europe sans questionner les conditions de viabilité du vaisseau Terre soumis au modèle de développement hyper-industrialisé et hyper-dépendant des matières minérales dans lequel nous avons été forcés à évoluer. Modèle économique capitaliste/productiviste/consumériste/extractiviste qui nous empêche d’imaginer un horizon possible vers un modèle de société véritablement durable, convivial et à taille humaine, en préservant et en prenant soin de nos territoires déjà suffisamment malmenés depuis le déploiement des industries minières, sidérurgiques et textiles des 18 et 19ème siècles, seuls résidus d’une richesse inestimable encore présente. Les activités minières sont de tous temps entrées en contradiction avec la capacité d’une population à disposer librement d’un territoire sain et de s’y développer de manière autonome et dans le respect des sols et sous-sols, dont le bon état s’avère indispensable pour la santé et la souveraineté alimentaire à moyen et à long terme.
De nouvelles technologies imposent l’usage de plus de ressources naturelles et des consommations d’énergies de plus en plus importantes, de nouveaux rapports au temps, à nous-mêmes, aux autres, à la nature, au réel, sans que cela n’ait été choisi par les populations qui en subissent l’imposition à marche forcée. Il est également à noter que le scénario d’ouverture de mines en Belgique ou ailleurs impliquerait nécessairement la destruction de nos précieux réseaux d’eau constituant le bien commun le plus précieux. La survie de l’espèce humaine dépendant de la disponibilité en eau potable. La pollution de ces ressources vitales pour des motifs politiques et/ou économiques pose fortement question.
Nous voulons que cesse la simplification des débats sur les questions minières et que débute une véritable réappropriation par la société civile de ces thématiques majeures et indissociables que sont « la production, les usages et les finalités des énergies produites » et « l’extraction, les filières de transformation/d’approvisionnement et les usages des matières premières ». Nous en appelons donc à une véritable réflexion systémique et sociétale laissant une place égale dans les débats et les prises de décisions à tous les scénarios de « Transition vers le développement d’une société durable », et entendons ici questionner de façon honnête la cohérence du « Capitalisme vert » et le « Mythes du Progrès » imprégnant notre société, ainsi que des termes tels que « énergie verte et propre » ou encore « développement durable ».
Nous demandons à ce que toute avancée pour la mise en place du Plan de relance minière appliqué à la Belgique soit stoppée, à commencer par l’actualisation menée par les autorités politiques du Code de gestion des ressources du sous-sol. Nous demandons aussi le maintien indéfini du moratoire décidé par l’ancien Ministre Di Antonio empêchant toute demande de permis (2)Nous bénéficions pour le moment d’un moratoire décidé par l’ancien ministre Di Antonio qui avait demandé à son administration en 2018/19 de ne pas traiter de dossier tant qu’un nouveau décret n’est pas voté. Les candidats exploitants sont au courant et attendent en fait impatiemment cette législation actualisée pour pouvoir faire de nouvelles demandes de permis d’exploration., aussi longtemps qu’une information transparente sur la question de la relance minière ainsi qu’une concertation citoyenne la plus large et médiatisée possible n’aura pas été menée et ce, avant la troisième lecture et le passage au Parlement du Code de gestion des ressources du sous-sol prévus début 2023 (!)
Photo : Vlad Chețan / Pexels.
Notes