La Gauche anticapitaliste répond positivement à l’invitation large de l’UPJB, EAJS et Shabbes 24/7 à les rejoindre pour former un large bloc anti-raciste au sein de la marche contre l’antisémitisme ce dimanche 10/12 à Bruxelles. Nous publions ci-dessous notre communiqué.

Le 7 octobre a marqué une nouvelle phase du conflit colonial en Israël-Palestine, qui a à son tour provoqué une montée des actes antisémites et antimusulman·e·s en Belgique et à travers le monde. En Belgique, le nombre de signalements pour agressions et discours antisémites a presque décuplé en octobre et novembre par rapport à 2022. 85 tombes juives ont été profanées à Marcinelle, le pire acte de ce genre depuis des décennies. L’antisémitisme est une réalité souvent minimisée voire niée y compris dans des milieux de gauche. Une réalité qui peut tuer, comme ce fut le cas au musée Juif de Belgique en 2014.

Les nombreux visages de l’antisémitisme

Contrairement à ce que l’on peut entendre parfois, l’antisémitisme contemporain ne se limite pas à des réactions à l’évolution des évènements en Palestine : les croyances antisémites se retrouvent facilement dans les obsessions conspirationnistes (depuis le 11 septembre 2001 jusqu’au Covid), souvent liées au dévoiement de la lutte contre le capitalisme (résumé à « Goldman Sachs et Georges Soros »). Des récits soutenus par des dirigeants de premier plan, de Viktor Orban à Vladimir Poutine, en passant par les groupes ultra-réactionnaires catholiques tels que Civitas, le régime des mollahs iraniens et nombre de prétendus « médias alternatifs ». Les classes populaires et les travailleur·euses ne sont pas naturellement immunisé·e·s contre ces idéologies, loin de là.

Ils sont liés à cette illusion selon laquelle « les Juifs » seraient une sorte de communauté (essentialisée) occulte et surpuissante qui dirigerait le monde. Avec le recul de la conscience de classe et de la compréhension de l’économie capitaliste et des rapports impérialistes, une grille de lecture complotiste et antisémite, qui a l’avantage d’être hyper-simpliste, se répand alors comme un poison dans les esprits.

Antisémitisme et islamophobie

L’antisémitisme a bien sûr ses sources et soutiens bourgeois bien blancs, les Renaud Camus et autres charlatans du « grand remplacement » : une vision délirante du monde selon laquelle les Juif·ve·s ouvriraient la porte aux immigré·e·s et notamment aux musulman·e·s pour « grand remplacer » les blancs. Le « judéo-bolchévisme » invoqué par les nazis, dans lequel les méchants Juifs sèment le désordre, ressuscite alors. On entend également parler d’« islamo-gauchisme » y compris chez les commentateurs de droite qui se retrouvent régulièrement dans les grands médias. Juif·ve·s, musulman·e·s : chez les réactionnaires, quand on dit du mal des un·e·s, on pense bien souvent aussi aux autres. Une caricature publiée le mois dernier sur Facebook par le Vlaams Belang montre ainsi un personnage barbu au grand nez et aux oreilles crochues, portant un couvre-chef ressemblant à s’y méprendre à une kippa mais tenant dans sa main une cage remplie de femmes portant un foulard islamique, faire alliance avec Raoul Hedebouw du PTB pour lui fournir des voix aux élections. Antisémitisme et islamophobie font bon ménage : on ne peut combattre efficacement le premier en laissant la porte ouverte au second.

Les pièges de l’après 7 octobre

Ces dernières semaines, on a vu le Hamas (1)Pour mieux comprendre l’évolution du Hamas, nous renvoyons à l’éclairante interview de Tareq Baconi sur notre site « Le Hamas dans le mouvement national palestinien : une mise en perspective historique » appliquer à l’extrême la maxime selon laquelle « la fin justifie les moyens » en utilisant et revendiquant des méthodes répugnantes de terreur ciblée sur les civil·e·s à une échelle inconnue jusque-là pour les mouvements palestiniens… En même temps, on a vu Israël, un régime d’apartheid gouverné par l’extrême-droite suprémaciste juive, mener de nouveaux massacres à Gaza (assassinant au passage des milliers d’enfants) et un nettoyage ethnique d’une telle ampleur que nombre de spécialistes évoquent ouvertement la dimension potentiellement génocidaire de ceux-ci. Dans ce contexte, on ne peut être surpris que les pétages de plomb se multiplient aux quatre coins du monde.

On voit alors réapparaître dans le mouvement antiguerre des raccourcis, des caricatures, des renvois incessants à l’Holocauste en parlant de la Palestine, les traits d’égalité entre drapeau israélien et croix gammée, les discours sur la prétendue toute-puissance israélienne (inversant la relation entre les USA et Israël, régime qui ne tiendrait pas sans le soutien états-unien qui en fait son chien de garde dépendant au Proche-Orient), ou sur le rôle « caché » du « lobby sioniste », voire le « lobby juif », etc. C’est ainsi qu’on arrive à certaines figures de l’extrême droite de la décennie passée, les Dieudonné et Soral qui ont manié le langage codé en utilisant « sioniste » comme synonyme de « Juif » dans leur propagande antisémite. Plus récemment, c’est le milliardaire d’extrême droite Elon Musk qui relayait des tweets antisémites… avant d’aller faire un city trip de soutien à Netanyahu.

Du côté du gouvernement israélien et de ses partisans, les outrances et la déshumanisation, à la fois des Palestinien·ne·s et des millions de personnes qui se mobilisent pour un cessez-le-feu permanent et la justice, ont également atteint leur paroxysme, avec des instrumentalisations du judéocide allant jusqu’à faire porter l’étoile jaune à l’ambassadeur israélien auprès de l’ONU. Israël, par sa propagande permanente selon laquelle ce serait l’État des Juif·ve·s, utilise les Juif·ve·s du monde comme otages de sa politique criminelle menée au nom de tou·te·s les Juif·ve·s et accentue la confusion, qui est là encore le véhicule de la réaction et du racisme. Cela ne peut masquer le malaise qui existe dans les communautés juives, en particulier aux USA où des voix juives de plus en plus nombreuses sont en première ligne des actions collectives contre les massacres et l’apartheid israéliens.

La situation actuelle est dangereuse et constitue une opportunité pour toutes les forces réactionnaires. Dans le contexte actuel de montée de l’antisémitisme, plusieurs organisations (CCOJB, Forum der Joodse Organisaties et LBCA), soutenues par de nombreuses personnalités du monde culturel notamment (comme les frères Dardenne), ont appelé à une marche contre l’antisémitisme le 10 décembre à Bruxelles. Avant elles, c’est Ecolo et le MR qui avaient avancé l’idée, rebondissant sur la marche contre l’antisémitisme en France. Des milliers de personnes sont attendues à l’évènement.

Contre les récupérations, pour la solidarité antiraciste

La Belgique n’étant pas la France, c’est dans notre contexte spécifique que le positionnement face à l’appel du 10/12 doit être pensé. Ainsi, dans le cas présent, l’appel n’émane pas d’un gouvernement mais bien d’organisations juives elles-mêmes. L’appel, s’il évoque un « pogrom » pour parler du 7 octobre (un qualificatif contesté y compris au sein des communautés juives, au vu du contexte colonial en Israël-Palestine) ne contient pas de soutien aux massacres de masse commis actuellement par Israël ni, par exemple, la fréquente condamnation de la campagne BDS (Boycott-Désinvestissement-Sanctions pour faire pression sur Israël et forcer le respect du droit international) dans les milieux pro-israéliens. Il s’agit d’un appel large, court, inscrit dans le contexte belge, assez vague et centré sur la dénonciation de la hausse de l’antisémitisme, dont il offre peu d’éléments d’analyse.

On l’a dit, antisémitisme et islamophobie sont deux approches complémentaires pour l’extrême droite, qui peuvent se retrouver tant dans les théories qui dominent ces milieux que dans leurs symboles, leur langage, etc. L’extrême droite (ouvertement) antisémite et l’extrême droite pro-Netanyahu sont les deux revers d’une même médaille. En Belgique, elles s’incarnent pour la première chez Schild en Vrienden par exemple, et pour la seconde dans le nouveau prétendant d’extrême droite francophone, « Chez Nous », qui suit la com’ de son sponsor le RN français… Et qui appelle à la marche de dimanche ! Pour ces petits fachos, lutter « contre l’antisémitisme » c’est avant tout lutter contre les musulman·e·s et se réjouir qu’un modèle suprémaciste au service de l’Occident puisse continuer à tuer impunément.

Parmi les organisateurs en vue de cette manifestation, on retrouve Joël Rubinfeld, de la LBCA (Ligue belge contre l’antisémitisme), virulent pro-Israël (il qualifie la campagne BDS d’antisémite), ancien président du CCOJB (Comité consultatif des organisations juives de Belgique), co-fondateur de l’Atlantis Institute, un think tank néoconservateur… et qui fut membre et vice-président au début du Parti Populaire de Modrikamen, un gloubi boulga démagogique rapidement passé à l’extrême droite… À noter que Rubinfeld a dénoncé publiquement Chez Nous et appelé à les faire sortir par la police du cortège. Officiellement donc, et c’est une autre différence majeure avec le contexte français, l’extrême droite n’est pas la bienvenue.

Mais… dans le même message, Rubinfeld avait mis Ecolo, le PS et le PTB dans le même sac que l’extrême droite, avant de rétropédaler en affirmant que la manifestation devait être « citoyenne » et « pas politique ». Les drapeaux d’organisations y seront donc bannis par les organisateurs. Le PS et les Verts, tout en prenant leurs distances avec Rubinfeld, appellent à y aller et y seront représentés par leurs dirigeant·e·s. Le PTB n’ira pas, prétextant des attaques de Rubinfeld pour justifier son absence. Le MR laisse la liberté à ses membres d’y participer.

Participer le 10/12 aux côtés des Juif·ve·s progressistes

Face à cette tentative de dépolitisation de la lutte antiraciste, les Juif·ves de gauche, autour de l’UPJB (Union des Progressistes Juifs de Belgique), Een andere joodse stem, et Shabbes 24/7 ont lancé un appel commun (2)https://upjb.be/communique-lupjb-appelle-a-se-joindre-a-la-marche-nationale-contre-lantisemitisme/ à participer à la manifestation du 10/12 dans une perspective progressiste, antiraciste et internationaliste, qui refusent toute instrumentalisation. Ces organisations demandent du soutien pour faire exister d’autres voix, juives et aussi de gauche contre l’antisémitisme et tous les racismes. Elles précisent :

« Aujourd’hui comme hier, nous nous insurgeons contre la stratégie intentionnelle d’Israël et de ses soutiens inconditionnels d’associer antisémitisme et critiques de la politique coloniale de son gouvernement pour faire taire les voix solidaires avec le peuple palestinien. »

Nous partageons l’opinion des organisations juives de gauche contre les théories mensongères et injurieuses affirmant ou sous-entendant que l’antisémitisme serait principalement un problème alimenté par la gauche et les musulman·e·s, en particulier dans le mouvement de solidarité avec la libération de la Palestine. Celles et ceux qui défendent ces théories sont de faux ami·e·s des Juif·ve·s et de toutes les personnes racisées et opprimées.

Contre les tentatives d’enfumage et d’instrumentalisation racistes et/ou coloniales, nous avons besoin de clarté et de solidarité : la lutte contre l’antisémitisme (réellement existant) est une lutte née dans les mouvements d’émancipation de gauche et les mouvements antiracistes. C’est aussi la lutte contre les politiques qui alimentent l’antisémitisme, en premier lieu l’extrême droite et la droite qui lui court derrière ! C’est être solidaire des juif·ve·s, autant que de toutes les minorités racisées et opprimées ici. Et c’est, en outre, défendre une paix juste et durable respectant l’ensemble des droits historiques du peuple palestinien là-bas. Car la propagande israélienne a pris un nouveau coup ces dernières semaines : non, Israël en tant que projet ethno-nationaliste, n’offre pas et ne peut offrir de garantie de sécurité aux Juif·ve·s, son gouvernement est dirigé par des corrompus, des ultraconservateurs, des suprémacistes et des fascistes. Aucun système profondément injuste ne peut nourrir la paix et le système d’apartheid israélien ronge la société israélienne de l’intérieur. Lutter résolument contre l’antisémitisme ici et lutter pour la justice en Palestine, cela ne peut fonctionner que de concert !

C’est pourquoi la Gauche anticapitaliste répond donc positivement à l’invitation large de l’UPJB, EAJS et Shabbes 24/7 à les « rejoindre pour former un large bloc anti-raciste au sein de cette manifestation » et soutient leur conclusion : « les alliances sont à tisser et à consolider contre la déshumanisation de toutes nos existences ».

« Never again, for anyone, is now – Plus jamais ça, à l’égard de qui que ce soit, c’est maintenant ».

Gauche anticapitaliste, le 9 décembre 2023.

Photo : Manifestation contre le racisme à Bruxelles, le 20 mars 2022. (Dominique Botte / Gauche anticapitaliste / CC BY-NC-SA 4.0)

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