La question basque a beau avoir disparu de l’agenda médiatique en France depuis une dizaine d’années, les conséquences de ce conflit perdurent. A commencer par la problématique des prisonniers politiques au nombre de 190 actuellement. Si la grande majorité se trouve aujourd’hui incarcérée dans l’État espagnol avec des libérations au compte goutte, 18 militant.e.s basques sont toujours détenu.e.s dans les prisons françaises.
Et c’est le sort de deux d’entre eux qui a donné lieu ce 23 juillet à une vaste journée de blocage des voies de communication du Pays basque Nord. Annoncée depuis deux mois et préparée en lien avec les élus locaux, les entreprises et services publics pour informer largement la population, cette action des mouvements Artisans de la Paix et Bake Bidea, visait à protester contre le blocage de Paris vis à vis de la libération de Ion Parot et Jakes Esnal. Condamnés à la perpétuité pour des attentats perpétrés outre-Pyrénées durant la décennie 1980 par un commando de l’ETA composé exclusivement de militants de nationalité française, ces désormais septuagénaires ont déjà accompli plus de 32 ans de détention (tout comme Unai Parot – le frère de Ion – arrêté en même temps mais incarcéré en Espagne) et sont libérables en droit depuis plusieurs années. Mais le Parquet national antiterroriste (PNAT) s’échine à faire systématiquement appel de décisions qui leur sont favorables en première instance. Et le représentant du ministère s’est une nouvelle fois opposé à leur énième demande de libération conditionnelle lors de l’audience devant la Cour d’Appel ce jeudi 21 juillet (le délibéré sera rendu le 22 septembre).
L’annonce la veille par la Préfecture de l’interdiction de l’opération et la promesse d’arrestations et fichages pour celles et ceux qui participeraient aux actions n’y aura rien changé. Signe d’une certaine nervosité, les autorités avaient déployé un très grand nombre de gendarmes et CRS, notamment aux péages. Avec en prime la présence d’éléments de la police nationale espagnole et de la Guardia Civil.
Le jour J, 1 700 personnes ont pris part à ces actions de désobéissance civile sur les 13 points de barrages répartis sur l’ensemble du Pays basque, de la côte à l’intérieur. Occasionnant des arrêts conséquents de la circulation sur plusieurs axes routiers majeurs et des déviations multiples. Et contrairement aux annonces du Préfet, les organisateurs sont parvenus à atteindre trois lieux stratégiques en envahissant les pistes de l’aéroport de Biarritz, les voies ferrées de la ligne Paris Hendaye et l’autoroute A63, interrompant à chaque fois le trafic.
Les 26 « artisans de la paix » ayant participé à ces trois actions coup d’éclat ont été interpellés et placés en garde-à-vue. Parmi eux la porte-parole du mouvement indépendantiste EH Bai et deux syndicalistes abertzale. Relâchés au bout de quelques heures et le rassemblement de plusieurs centaines de personnes devant la sous-Préfecture de Bayonne, ils sont convoqués dans quelques mois au tribunal.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette journée et de la séquence politique qui s’ouvre.
D’une part le niveau important et composite de la mobilisation, au-delà des secteurs habituels, notamment de la gauche indépendantiste, doit être valorisé. C’est une nouvelle preuve du caractère majoritaire dans la population locale de la revendication sur les prisonniers basques et plus encore les cas de Ion Parot et Jakes Esnal.
Ensuite, l’attitude irresponsable du PNAT qui, s’inscrivant dans une logique de vengeance, apparaît décidé à vouloir condamner les deux détenus basques à mourir en prison, pousse le mouvement de soutien à élargir le répertoire d’actions et changer de braquet dans sa stratégie de confrontation avec Paris. Avec le sentiment chez plusieurs observateurs locaux que la situation est potentiellement inflammable tant l’immobilisme des gouvernements successifs depuis la fin de la lutte armée en 2011, le désarmement de l’ETA en 2017 et son auto-dissolution l’année suivante génère incompréhension et colère dans plusieurs secteurs de la société, à commencer par une partie de la jeunesse.
Cette non prise en compte par les gouvernements successifs du nouveau cycle politique et historique qui s’est ouvert au Pays basque après 2011 combiné à la puissance du logiciel sécuritaire gangrénant l’appareil judiciaire expliquent les blocages actuels.
Pour autant, il est évident que la solution viendra d’une manière ou d’une autre de Paris. Aujourd’hui le mouvement de solidarité est entré dans une nouvelle phase de la construction du nécessaire rapport de forces après les mobilisations des derniers mois. Il y aura un avant et un après 23 juillet. La détermination de larges secteurs de la société basque à obtenir rapidement la libération de Ion Parot et Jakes Esnal est indéniable.
La solidarité au niveau hexagonal est indispensable pour obtenir ce résultat. La gauche sociale et politique française devra prendre ses responsabilités, dans la rue comme sur les bancs de l’Assemblée, en répondant chaque fois présent et en nombre lors des prochaines initiatives des Artisans de la Paix.
Article paru initialement sur le site ensemble-insoumise.org.