Publié par lecourrier.ch

Incarnation de la gauche radicale en France durant les années 2000, le militant anticapitaliste a pris un peu de recul mais garde un regard acéré sur le champ politique et social.

Est-ce parce qu’Olivier Besancenot n’était jamais venu à Lausanne? La foule des grands soirs attendait le porte-parole du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) lundi 13 novembre pour une fructueuse soirée d’échanges à l’Espace Dickens. Les quelque 200 personnes agglutinées dans la petite salle lausannoise contrastaient avec la désaffection dont souffre, de l’autre côté de la frontière, le mouvement qui a succédé à la Ligue communiste révolutionnaire. Il faut dire que l’ex-facteur de Neuilly, deux fois candidat à la présidence française en 2002 et 2007 (avec plus de 4% des voix à chaque fois), désormais passé derrière le guichet à La Poste, et dans l’ombre de Philippe Poutou au NPA, n’a rien perdu de sa verve et de son sens de la formule. Durant deux heures, il a captivé son auditoire, regonflant les morals chancelants, dégonflant les illusions sans avenir. De bonne grâce, il s’est même prêté à la petite provocation de ses hôtes(1)Les cercles La Brèche et Rosa Luxembourg, le journal A l’encontre, les éditions Page 2 et les partis Gauche anticapitaliste et Mouvement pour le socialisme.: phosphorer sur le succès de la France Insoumise (là où le NPA avait échoué, lire en page 14), dans le rassemblement d’une bonne partie de la gauche derrière le panache unique de Jean-Luc Mélenchon. Echos.

Être insoumis aujourd’hui en France ?

Olivier Besancenot : Etre insoumis, c’est refuser d’obéir à l’oligarchie économique et à la classe politique et culturelle qui imposent la situation insoutenable dans laquelle se trouve la France et plus largement l’Europe. C’est refuser que l’on vide les caisses publiques en défiscalisant les plus riches et les entreprises pour justifier ensuite les sacrifices imposés à l’ultramajorité de la population. Depuis trente ans, cette politique permet au capital de prendre toujours plus au travail. Cette situation ne s’arrêtera pas d’elle-même. Après s’être attaqués à la fiscalité et aux services publics, ils affaiblissent maintenant le droit du travail et la sécurité sociale, demain ils dénonceront les trop nombreux congés payés. Ils auront toujours quelque chose à arracher au travail pour le donner au capital. Ils ne le font pas pour nous embêter – même si à en entendre certains, on mesure leur mépris: ils ont un projet politique, une idéologie et une base sociale.

Où va Emmanuel Macron ?

O.B. : Emmanuel Macron et les siens savent parfaitement la fragilité de leur légitimité politique. Ils savent qu’ils ont profité des crises simultanées de la droite et de la gauche. C’est la raison pour laquelle ils agissent par ordonnances. Et vite. Macron a parfaitement compris que les questions sociales et sécuritaires sont liées. L’inscription de l’état d’urgence dans la loi et l’adoption au pas de course de la réforme du code du travail sont les revers d’une même médaille. Quand on mène une politique sociale impopulaire, on sait qu’il va y avoir du grabuge et on s’apprête à faire de la répression.

Macron et les forces sociales qu’il représente ont décidé de passer la seconde. Pour eux, l’heure des réformes libérales conjoncturelles est passée, il s’agit désormais de s’attaquer aux structures. La crise du capitalisme, qu’on a vu exploser en 2008 mais qui perdure, exige des réformes urgentes et plus profondes. On vit toujours une crise de surproduction et de suraccumulation. Leur solution, qui bien sûr n’en est pas une, passe par une optimisation du rapport de force entre capital et travail. Depuis Sarkozy, tous les présidents ont fait de cette contradiction leur politique: « La France est au bord du gouffre. Il est urgent d’aller de l’avant »!

Evidemment, ils s’aperçoivent bien que leurs promesses ne se sont pas réalisées, que les gains de productivité que les réformes libérales devaient apporter ne sont pas au rendez-vous. Mais ils ont leur explication: c’est la faute au « capital zombie », ce petit nom charmant qu’ils donnent aux secteurs économiques jugés non performants. Là où les réformes n’auraient pas encore apporté leurs bienfaits contrairement aux autres. D’où la nécessité de continuer les privatisations, etc., etc.

Le risque FN ?

O.B. : Dans leur grande majorité, les Français sont mécontents de la politique menée. Mais faute d’alternative, faute de mieux, leur colère ne s’exprime pas, elle macère. Ou, quand elle s’exprime, elle s’exprime mal. Le pays d’où je viens est en train de vivre une situation politique, sociale et morale terrible, extrêmement tendue. La crise de leadership au sein du FN n’écarte pas le risque de l’extrême droite, car ses idées, faute d’alternative, se sont enracinées. Malgré une mauvaise campagne, le FN a fait 11 millions et demi de voix!

L’insoumission, dans ce contexte, c’est également d’oser lutter contre cet air du temps nauséabond. Etre clair sur nos valeurs. Afficher notre soutien à la régularisation massive des sans papiers et expliquer pourquoi. Au risque de perdre des voix dans un premier temps.

Crise de la gauche ?

O.B. : L’affaiblissement de la gauche et du mouvement social, c’est plus un problème de confiance collective que de conscience collective. Une partie de la gauche radicale pense que les exploités n’ont pas compris leur situation et qu’il faut la leur expliquer. Pour moi, c’est l’inverse. Ils n’ont pas besoin de professeurs rouge ou rose, vert ou noir: ils sont mieux placés que n’importe qui pour voir que le système est dingue, inégalitaire et repose sur l’exploitation et la discrimination. Le problème est d’avoir ou non la conviction qu’autre chose est possible. En France, nous n’avons plus eu de lutte sociale victorieuse d’envergure depuis 2006 et le contrat de première embauche. On a été des millions dans les rues, tenté des grèves reconductibles, on a perdu ! Plus que tout, nous avons besoin de victoires pour retrouver la confiance dans l’action collective.

Reste que la crise dépasse largement la France, partout le mouvement syndical se délite, partout les rapports de force se détériorent et les mouvements populistes et d’extrême droite progressent. Pour la gauche, la Grèce a été le grand rendez-vous manqué. Nous devons en tirer un bilan. Pourquoi, alors que Syriza avait modéré ses revendications, a-t-il été écrasé pour l’exemple ?

Vers l’unité d’action

O.B. : L’insoumission ne peut se penser sans l’émancipation. On ne se soulève pas contre un pouvoir pour se soumettre à un chef. La seule forme d’autorité que nous devrions reconnaître est collective et pluraliste. Nous avons essayé de le faire comprendre à la direction de la France Insoumise (FI). Il y a des signes indiquant qu’elle commence à le percevoir. Au vu de la situation du mouvement social, l’urgence pour les organisations de la gauche radicale, du mouvement de Benoît Hamon (l’ex-frondeur et candidat socialiste à la présidentielle, ndlr) à Mélenchon, au Parti communiste, à Lutte ouvrière et j’en oublie, est de se réunir très vite et de formaliser notre accord unitaire pour le retrait de la loi Travail et des ordonnances. (lire ci-dessous)

La FI a une responsabilité particulière car elle a fait 19% et réuni des foules considérables, dont énormément de militants prêts à en découdre. Une nouvelle radicalité est en train de surgir du mouvement social. On le voit dans l’écologie, dans les luttes des migrants, des antinucléaire, même dans le milieu syndical. Mais la FI ne pourra pas tous les représenter. Impossible. Moi, je ne pourrais jamais. Chanter la Marseillaise ? Faut pas me le demander, je pourrais pas ! Mais c’est pas grave, on pourra quand même faire de grandes choses ensemble!

L’islamophobie

O.B. : Pour part, la stigmatisation de la communauté musulmane en France n’est pas surprenante. Ce pays a été incapable de faire son travail de mémoire face à son histoire coloniale et à la Révolution algérienne. D’une autre part, on doit constater qu’une partie de la gauche est en train de basculer dans cette stigmatisation d’une communauté. Ça en dit long sur le degré de régression du débat public en France !

Cela dit, le débat n’est pas simple: quel équilibre entre la défense de la laïcité, les droits des femmes et la lutte contre l’islamophobie ? La discussion traverse toute la gauche et même le NPA.

Vouloir gouverner

O.B. : Bien que nous la décrivions depuis des années, nous n’avons pas assez cru dans la profondeur de la crise du système. Si une alternative est nécessaire, nous devons alors prétendre à gouverner. Et réfléchir sérieusement à la politique que nous mènerions face à nos deux ennemis: l’appareil d’Etat et le capital. Prenons ce dernier: il ne faut pas se raconter d’histoires, il ne se laissera pas dépouiller pour qu’on puisse financer le beau programme social sur lequel nous serions élus. Si on ne pose pas la question de la propriété accumulée par les financiers, on ne les fera jamais plier. Et il ne suffira pas de créer un pôle bancaire public qui resterait soumis à la concurrence privée: il ne pourra jamais raisonner en service public. Cela implique bel et bien une expropriation des banques et la création d’un monopole. Pareil sur d’autres secteurs stratégiques comme l’énergie.

L’appareil d’Etat, lui non plus, ne se laissera pas faire. C’est pourquoi nous mettons sur la table l’idée d’une déprofessionnalisation de la politique (limitation et révocation des mandats, plafonnement des revenus). Le changement ne se fera pas juste en changeant les têtes au sommet de l’Etat. Il ne se fera qu’en impliquant chacun.

Si l’on ne veut pas que le corps bureaucratique se sépare du reste de la société, il faut être conscient de son caractère totalisant, qui prend racine dans des phénomènes profonds comme la division du travail, la séparation de tâches manuelles et intellectuelles ou comme la professionnalisation du pouvoir. La plupart des gens ont intériorisé qu’ils ne pouvaient se représenter eux-mêmes. Qu’il fallait des intermédiaires. Que la politique est affaire de gens sérieux. Quand nous présentons un facteur ou un ouvrier de l’automobile à la présidentielle, ils disent que c’est formidable… mais pas crédible. Nous devons casser ce carcan. Prendre la parole, aujourd’hui, est le premier acte de résistance. Refuser que d’autres la prenne pour nous, c’est le premier geste d’émancipation.

Le NPA toujours vivant et « indispensable »

Le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) est l’héritier direct de la fameuse Ligue communiste, qui sera interdite dans la foulée de Mai 68, puis de la Ligue communiste révolutionnaire. La formation fondée par Alain Krivine et Daniel Bensaïd, membre de la Quatrième Internationale (trotskiste), avait connu, après le reflux des années 1980, un certain succès dès le milieu des années 1990, portée par l’émergence du mouvement altermondialiste et des grands mouvements de grèves (1995-2006) en France contre la réforme de la Sécu ou le SMIC-jeunes.

Sabordage

Après le succès, en 2005, de la campagne unitaire de la gauche contre le Traité constitutionnel européen et deux candidatures plutôt réussies d’Olivier Besancenot à la présidentielle (2002 et 2007), la LCR choisit pourtant de se saborder pour donner naissance, en février 2009, à un Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), censé rompre les barrières organisationnelles entre les diverses traditions de la gauche radicale. Mais après des débuts prometteurs, la LCR/NPA passant de 4000 à 10 000 membres, le jeune parti reflue rapidement.

« Nous avons fait l’erreur de croire que nous pouvions rassembler seuls toute la gauche de la gauche française. Or celle-ci est bien trop diverse et attachée à ses bannières pour se rassembler de cette façon » admet aujourd’hui Olivier Besancenot.

Divisée sur les questions stratégiques mais aussi sur des thèmes politiques comme la laïcité, la nouvelle formation voit des pans entiers la quitter, en particulier vers le Front de gauche, où les transfuges formeront la composante « Ensemble! » « Le NPA était à deux doigts de mettre la clé sous la porte », témoigne M. Besancenot. D’autant que le parti en vogue dans les années 2000 se laisse marginaliser aux présidentielles de 2012 et 2017, où son candidat ouvrier Philippe Poutou ne récolte qu’un petit pourcent des voix, tandis que l’insoumis Jean-Luc Mélenchon flirte avec le second tour.

Un nouvel élan

Reste que la campagne relativement réussie du travailleur de chez Ford aurait redonné un élan au mouvement. « Je suis fier d’avoir mené campagne pour Philippe », affirme l’ancien candidat. « J’ai pris mon pied quand il a fait transpirer les gros candidats sur le plateau de télévision, nous étions les seuls à pouvoir leur dire ce que les gens rêvaient de leur envoyer en face, car nous ne sommes pas des professionnels de la politique. Rien que pour ça, le NPA doit continuer d’exister! »

Et l’après campagne a encore renforcé cette certitude. « La France Insoumise est en train de réaliser à son tour qu’elle est incapable d’unifier la gauche. De plus, son comportement très directif sur le mouvement social a été catastrophique. Au NPA, nous nous refusons à hiérarchiser le politique et le social, nous aspirons à une fusion de ces thématiques mais dans le respect de la liberté syndicale », défend son porte-parole.

L’avenir de la gauche de la gauche

Mais le postier du XVIIIe arrondissement de Paris insiste: l’avenir de la gauche de la gauche dépassera le cadre de son mouvement. « Nous devons trouver un espace commun d’action, alliant démocratie et maintien de notre autonomie, de nos identités. Ni la France Insoumise ni le NPA ne peuvent réaliser cela, il va falloir inventer autre chose », conclut Olivier Besancenot.

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