Cette semaine, le parlement va voter une loi mettant en danger notre droit à la confidentialité en ligne. Comme toujours, le mirage sécuritaire est invoqué pour justifier cette attaque contre cette liberté, cruciale pour de nombreu·x·ses militant·e·s, journalistes, … Il est urgent de dénoncer cette offensive et de nous mobiliser pour faire en sorte que cette loi soit abandonnée.

Un contexte global de surveillance de masse

La volonté des gouvernements de poser un regard indiscret sur des communications privées ne date pas d’hier. L’espionnage n’est pas une pratique nouvelle et il n’a fait que s’intensifier, particulièrement depuis le siècle passé. Avec l’apparition de systèmes de communications avancés, dont l’incarnation la plus notable est l’internet, il a pris une tout autre dimension. En effet, espionner une, mille, ou un million de personnes ne demande pas des moyens logistiques et des ressources significativement différentes, ce qui ouvre la porte à la surveillance de masse. Pour justifier ces mesures intrusives et liberticides, le chiffon rouge sécuritaire de la lutte contre le terrorisme et le grand banditisme est agité, même si dans les faits, les pouvoirs de nombreux états instrumentalisent un cadre légal plus ou moins rigide entourant l’usage de ces technologies afin d’espionner des journalistes, des militant·e·s, des avocat·e·s, ou de façon générale toute personne portant un parole dissidente.

Les exemples marquants ne manquent pas depuis le début du siècle. On peut penser aux révélations de 2013 d’Edward Snowden quant à l’ampleur de l’espionnage réalisé par la National Security Agency (NSA) étatsunienne en collaboration avec de nombreux états du Nord global, qui lui a valu une lourde condamnation, le poussant à vivre reclus en Russie depuis. On peut également penser à l’enquête de Forbidden Stories, consortium international de journalistes piloté par Amnesty International, qui a montré par un travail minutieux comment de nombreux gouvernements ont utilisé le logiciel espion Pegasus de la société israélienne NSO Group pour infecter et espionner les téléphones portables de milliers de journalistes, activistes, avocate·e·s et politicien·ne·s(1)https://forbiddenstories.org/fr/case/le-pegasus-project/.

Cette fois, c’est à la Ligue des Droits Humains (LDH) de nous alerter en dénonçant le projet de loi data retention qui est sur la table des négocitions du parlement fédéral(2)https://www.liguedh.be/retention-des-donnees-la-ligue-des-droits-humains-appelle-le-parlement-a-ne-pas-voter-ce-projet-permettant-la-collecte-systematique-des-metadonnees/. Celui-ci a pour but de fournir un cadre légal très permissif à la collecte de métadonnées et de rendre illégales les applications sécurisées, et donc impossible à espionner.

Rendre légal l’illégal

La data retention vise à faire entrer dans la légalité un ensemble de pratiques d’investigation basées sur la captation de données prisées par les enquêt·eur·trice·s depuis l’état d’urgence qui a suivi les attentats de Paris et de Bruxelles, et globalement à leur donner un cadre légal permissif. Comme l’indique la LDH, ce n’est pas la première fois que l’état tente de régulariser cette situation, vu qu’une première loi similaire a été votée en 2016, mais a été bloquée suite à plusieurs décisions de justice. En effet, ces mesures sont difficilement justifiables, à la fois vis-à-vis de la constitution belge et du droit européen régissant la protection des données, le Règlement Général pour la Protection des Données (RGPD).

Ce qui est en jeu

Le projet de loi vise en premier lieu à autoriser la collecte massive de métadonnées par l’intermédiaire des opérateurs et des fournisseurs internet. Les métadonnées sont des données au sujet des données envoyées. Par exemple, si on considère l’envoi d’un message entre deux personnes, les métadonnées pourraient être composées de l’heure d’envoi, de leur adresse IP (adresse qui permet de trouver des appareils sur le réseau internet), leur localisation,… En considérant une grande quantité de ces données et en les recoupant, il est possible d’obtenir beaucoup d’informations.

Dans le cadre de la réglementation de l’Union Européenne, il est permis de collecter les adresses IP de toutes les communications. Mais la data retention va plus loin en octroyant le droit de collecter les autres métadonnées sur base d’un critère géographique suffisamment flou pour pouvoir recouvrir l’entièreté du territoire. En effet, les enquêt·eur·trice·s pourront décider de contrôler une zone sur base d’un risque de criminalité. Il est clair que c’est un prétexte pour pouvoir espionner toute la population, comme l’indique Nabil Boukili du PTB(3)https://www.lesoir.be/442838/article/2022-05-17/vie-privee-le-projet-de-loi-sur-la-conservation-des-metadonnees-menace-nos  :

« Cela revient à mettre sous surveillance des collectivités entières sur base de données peu fiables. À ce stade, le ministre Vincent van Quickenborne ne sait d’ailleurs pas nous indiquer quel pourcentage du territoire serait concerné par cette surveillance. Il indique juste que ce pourcentage pourrait être de 100% … »

Le dernier volet de ce projet de loi, qui est une conséquence des précédents, vise à interdire les applications qui, grâce à une conception vertueuse, ne permettent pas de récolter et d’extraire de métadonnées. C’est par exemple le cas de Signal, une application de messagerie anonyme et chiffrée bien connue des militant·e·s, ou de the Tor, un réseau d’anonymisation qui permet d’aller sur internet sans révéler son identité via son adresse IP. En interdisant l’utilisation de ces outils, l’état souhaite rendre totalement impossible le fait de lui dissimuler quoi que ce soit, ce qui est une atteinte très grave aux libertés fondamentales.

Ce qu’il reste à faire

Le tableau présenté n’est pas réjouissant. L’État et la police veulent avoir des yeux et des oreilles partout. Si cette loi est adoptée, çe sera comme avoir en permanence un regard indiscret au-dessus de son épaule et une oreille intrusive collée contre la porte de sa chambre. Ce sera l’incapacité pour les groupes radicaux, dissidents, anticapitalistes de s’organiser et de former des forces en capacité d’agir pour changer la société. Ce sera la porte ouverte à des scénarios dystopiques si un tel appareil judiciaire tombe dans les mains d’un gouvernement fasciste, ce qui n’est pas une hypothèse à exclure dans le contexte politique actuel du Nord du pays.

Le PTB joue son rôle d’opposition au parlement et témoigne son intention de bloquer cette loi. Cependant ce travail de contestation ne touchera pas au but sans que différentes parties de la société ne se mobilisent pour mettre le parlement sous pression. On voit avec quelle insistance le pouvoir s’obstine à vouloir entériner ces lois liberticides, il faudra donc que la réponse de notre camp social soit à la hauteur si nous voulons préserver notre droit à la vie privée.

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