On peut encore entendre aux détours des rues de Baltimore une mélodie poindre, sifflée nonchalamment, et l’ombre menaçante d’une silhouette s’étirer au sol. Un enfant hurle : « Omar ! It’s Omar ! ». Et aussitôt, les dealers occupés à jouer au craps quittent leur poste, les paliers sont désertés, les persiennes closes, et le silence a recouvert le quartier. Omar Little l’ange de la mort, empruntant aussi bien aux tragédies grecques qu’à l’impitoyable Pale Rider, s’avance canon scié en mains. Michael Kenneth Williams, célèbre pour son interprétation du justicier solitaire de Baltimore dans la série The Wire, a été retrouvé mort dans son appartement lundi 6 septembre.
Une appétence particulière pour les rôles d’hommes brisés
Michael Kenneth Williams a grandi dans les quartiers pauvres de Brooklyn, et il est très tôt happé par la drogue dont il ne parviendra jamais à se défaire. De ce passé tumultueux, il gardera toujours un stigmate sur sa chair, et qui fera sa signature : une grande balafre qui scinde son visage en deux. Toxicomane, avec pour seul gîte la rue, il parvient néanmoins à passer des castings et devient danseur à l’âge de 23 ans pour accompagner George Michael et Madonna en tournée. David LaChapelle, photographe américain, est saisi par l’aura du jeune homme, il immortalise son visage grâce à ses clichés et permet à Tupac Shakur de le repérer et lancer sa carrière.
En tant qu’acteur, Michael a toujours nourri une appétence particulière pour les anti-héros, les hommes brisés, et dont il déclarait vouloir explorer les failles. Ses interprétations envoûtantes, brutes et douces, à son image, devaient parvenir à saper les jugements des spectateurs/rices et susciter leur empathie.
Il ne s’est jamais dépris de ses racines en revanche, continuait à fréquenter son quartier d’enfance et produisait sur la fin de sa carrière des documentaires pour mettre en lumière les oubliés des États-Unis et la violence implacable d’un système indifférent au sort des pauvres.
Un combat qui se poursuit
En 2018, il participe à un documentaire, Raised by the System, sur la justice des mineur.e.s aux États-Unis, et terminait, au moment de sa disparition, la saison 2 de sa série documentaire Black Market sur le trafic d’armes.
Michael donnait corps à la peinture sociale d’un Balzac moderne prolifique et indissociable de son parcours, David Simon. Le showrunner de The Wire, mais également de la série Treme, fresque saisissante de la Nouvelle-Orléans post-Katrina, prépare actuellement plusieurs mini-séries. L’une d’entre elles, A Dry Run, portera sur les membres de la brigade américaine Abraham Lincoln débarquant en Espagne pour combattre le fascisme face à Franco. Une autre, We Own This City, se déroulera à nouveau à Baltimore, et traitera de la Gun Trace Task Force, une unité conçue pour lutter contre la forte hausse des meurtres dans la ville et qui fit scandale en 2017 car elle devint une organisation criminelle, corrompue, extorquant des sommes colossales, des bijoux et la drogue saisie. Inutile de faire preuve d’inspiration, l’actualité judiciaire et politique américaine regorge de synopsis que l’on n’aurait pas cru possibles s’ils avaient été inventés…
Un hommage pour Michael, et une manière aussi de continuer son combat. Il y aura toujours désormais un homme qui siffle au coin de la rue.
Publié par L’Anticapitaliste.