Les gouvernements de ces dernières années ont enchaîné les attaques contre la majorité de la population : ils ont durci les conditions et repoussé de plus en plus tard la possibilité de prendre un crédit-temps, de partir à la prépension et à la pension tout en verrouillant les négociations salariales avec une nouvelle loi sur la compétitivité, ils ont harcelé les travailleur.se.s sans emploi ou en maladie, les personnes sans-papiers, les femmes et les quartiers populaires. Résultat de cette politique : les dividendes des actionnaires explosent, les travailleur.se.s craquent, les femmes sont doublement frappées, les jobs précaires et mal payés se multiplient…Et les patrons se moquent du monde en proposant une misérable hausse de salaire maximale de…0,8% ! Il y a vraiment de quoi se révolter, particulièrement dans le contexte social et politique actuel. Ce 13 février, beaucoup d’entre nous sommes en grève : travailleur.se.s du secteur public et du secteur privé, de Flandre, de Wallonie et de Bruxelles, FGTB ou CSC…Avec ce slogan : « la coupe est pleine, les travailleur.se.s méritent le respect ».
Tirer les leçons des dernières années
Les directions syndicales ont raison de refuser les miettes proposées par le patronat, mais comment en est-on arrivé.e.s là ? La loi qui gèle les salaires et celles qui ont repoussé et durci les fins de carrière ont été votées il y a déjà plusieurs années ! Qui se souvient d’un mouvement solide et durable pour les retirer de l’agenda gouvernemental ? En vérité, depuis le plan d’actions de l’automne 2014, avec ses vagues de grèves et de manifestations qui avaient mis en difficulté la coalition Michel-De Wever, plus aucun plan sérieux n’a émergé des directions syndicales. Celles-ci persistent contre toute évidence à courir derrière un prétendu modèle de « concertation » sociale mort et enterré, autant par le patronat que par les partis politiques à son service. À force de vouloir à tout prix jouer le rôle de « gestionnaires responsables », partenaires de l’Etat et des patrons, au service d’une pacification de la lutte des classes, les directions scient la branche sur laquelle elles sont assises. Kris Peeters (CD&V) l’a encore dit à sa manière : « les partis gouvernementaux attendent des syndicats qu’ils acceptent au mieux des miettes, au pire des reculs, et qu’ils les fassent digérer au monde du travail. »
Le patronat en veut toujours plus
La droite, N-VA en tête, et le patronat font entendre une petite musique de campagne qui doit nous alerter sur la suite de leurs projets : supprimer l’indexation (déjà limitée) des salaires (sous prétexte de sauvetage du climat: c’est un comble!), diviser les négociations salariales sur les trois Régions pour casser la solidarité de classe à l’échelle du pays, supprimer la liberté de négociation en durcissant encore plus la loi sur la compétitivité des salaires, supprimer les barèmes, aggraver la flexibilité, limiter le droit de grève et le droit de s’organiser syndicalement, faciliter les licenciements collectifs, couper dans le chômage, les services publics, faire de nouveaux cadeaux fiscaux aux patrons, etc. À chaque élection, le programme de la FEB (l’organisation du patronat belge) est de plus en plus outrancier. La N-VA y ajoute la couche supplémentaire de racisme et de repli communautaire pour briser la force de la classe travailleuse de Belgique et ses syndicats. Le rapport de forces s’est tellement dégradé à l’échelle nationale et européenne, la soif de profits est tellement grande que le patronat devient de plus en plus agressif. Il faudra bien plus qu’une journée de grève interprofessionnelle pour le renverser : si nous voulons gagner, il faudra à la fois frapper fort et dans la durée.
La jeunesse, les gilets jaunes et les femmes* montrent la voie
C’est d’autant moins un hasard que la colère des directions syndicales soit si grande, que plusieurs vagues de mouvements combatifs détachés des structures syndicales sont venues radicalement changer l’atmosphère dans le pays. Les gilets jaunes d’abord, principalement chez les voisins de France, mais aussi chez nous, ont montré que la colère explose à la base de la société et qu’elle trouve toujours une voie pour s’exprimer. Leurs méthodes d’action, faites de barrages filtrants et de manifestations multiples et sans demande d’autorisation, ont déstabilisé la classe politique en France et ont marqué les esprits en Belgique. De notre côté justement, deux autres mouvements ont interpellé directement ou indirectement les syndicats : d’abord, les élèves de tout le pays qui font grève et sortent des écoles par dizaines de milliers chaque semaine, dans une mobilisation spontanée à portée radicale. Iels posent cette question fondamentale : à quoi sert d’aller en cours, si notre futur sur Terre est menacé de mort par le basculement climatique ? Posons-nous nous aussi la question : quel sens ça a de continuer à travailler, pourquoi suivre des cadences infernales et produire toujours plus pour le profit d’un patron…pour quel avenir ?
Il ne s’agit pas ici de culpabiliser sur nos consommations individuelles (dans un système fait de surproductions), comme tentent de le faire la plupart des politiciens ou éditorialistes, ni encore moins sur le besoin de toucher un salaire pour survivre, mais bien de suivre la logique des jeunes : puisqu’une bataille majeure pour le futur de l’humanité doit se jouer maintenant, organisons-nous et passons à l’action contre ce système capitaliste et productiviste mortel. La jeunesse a réussi en quelques semaines à obtenir des victoires partielles mais significatives : elle a changé complètement le thème du début de la campagne électorale, au départ minée par le racisme de la N-VA, elle a poussé une Loi climat(1)https://www.gaucheanticapitaliste.org/pour-le-climat-union-sacree-ou-convergence-des-combats/ (tout à fait inadéquate, mais les jeunes n’en sont pas responsables) au Parlement, elle a fait démissionner la ministre complotiste Joke Schauvliege (CD&V) et elle a remis au goût du jour les grèves des élèves avec une portée politique. La classe dirigeante préfère des jeunes obéissant.e.s et culpabilisé.e.s, qui ne perturbent pas la machine étatique et capitaliste qui démolit le climat et la biodiversité. Mais les jeunes sont en train d’apprendre tôt et dans l’urgence le sens de la désobéissance et la portée politique de la grève. Des dizaines de milliers d’entre elleux (en Belgique, en Suisse, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Australie, etc.) ont lancé un appel pour une grève internationale le 15 mars prochain : chacun.e d’entre nous doit maintenant se mobiliser pour lui donner le plus grand écho possible !
« Arrêtons-nous et le monde s’arrête », c’est aussi l’appel des femmes*(2) Nous utilisons le féminin neutre et nous parlons des femmes* pour les visibiliser en tant que telles face au système hétéropatriarcal. Mais comme nos identités dépassent les catégories de genre binaires imposées, la multiplicité de nos identités doit être respectée dans un espace de mixité politique choisie. Pour rappeler cet usage particulier du mot “femmes”, nous y ajoutons cette astérisque. du Collecti.e.f 8maars, rejointes par la CNE, la Centrale Générale FGTB et la CGSP Bruxelles notamment, pour une grève féministe des femmes* le 8 mars prochain(3)https://www.gaucheanticapitaliste.org/pourquoi-une-greve-des-femmes-le-8-mars/, en lien avec des mobilisations internationales, là aussi, de l’Argentine à l’Italie en passant par l’Etat espagnol et les USA. Ce mouvement, radical lui aussi, pose la question d’un changement profond de société et redonne une portée nettement politique à la grève. L’auto-organisation du mouvement constitue un exemple à suivre pour le mouvement syndical, comme antidote à la maladie bureaucratique. La grève des femmes* est doublement puissante : elles arrêtent à la fois le travail productif et le travail reproductif, ce travail nécessaire et gratuit pour que les travailleur.se.s soient notamment élevé.es, nourries, soigné.es, écouté.es pour avoir la force de continuer à produire de la valeur pour le capitalisme. Nous allons vers un 8 mars inédit et historique en Belgique à la fois par son ampleur et par son niveau politique.
Gagner par l’action directe, la convergence des combats et la solidarité
Nous sommes nombreux.se.s à se se poser cette question : après le 13 février, on fait quoi ? La réponse se trouve dans le mouvement réel qui émerge dans la jeunesse, les gilets jaunes et le mouvement féministe. Nous savons que le système capitaliste est le même système qui nous exploite et qui menace la vie humaine et de milliers d’espèces sur Terre. C’est un système qui se nourrit de toutes les divisions, toutes les hiérarchies, toutes les oppressions, en particulier les violences et discriminations sexistes et racistes. Ce système est parfaitement, absolument et totalement incompatible avec une transition écologique et climatique qui soit en même temps démocratique, réponde aux besoins sociaux de base, respecte la justice Nord-Sud et garantisse la libération et l’émancipation de tou.te.s. Le basculement climatique nécessite une transformation totale de notre mode de production, de consommation, de distribution, de transports et de communication d’une ampleur plus grande que celle vue lors des guerres mondiales. A qui pensons-nous que la bourgeoisie voudra faire payer la facture de la catastrophe écologique ?
Nous devons donc utiliser tous les moyens nécessaires et pertinents pour combattre le capitalisme et toutes les oppressions, en laissant toute leur place au débat démocratique et aux différentes composantes du mouvement social. Les organisations syndicales comptent 3 millions de membres, parmi celles et ceux-ci, plus de 100000 ont un mandat syndical. Cette force dormante, c’est à nous tou.te.s de la réveiller, en nous inspirant de la combativité de la jeunesse, des gilets jaunes et du mouvement féministe. Une brèche est en train de s’ouvrir grâce à ces mouvements qui nous redonnent confiance et offrent au mouvement syndical une chance nouvelle et majeure de renverser la vapeur. Cette grève du 13 février ne doit être que le début d’une nouvelle vague d’affrontements majeurs avec la classe possédante. Les forces politiques sont fragiles après le coup de poker raciste de la N-VA de décembre dernier : un gouvernement démissionnaire en affaires courantes, une longue campagne électorale…Ne nous laissons pas embobiner par de belles promesses électorales, par une couche de peinture verte sur un système pourri ou par des débats parlementaires : en dernière instance, seules nos propres forces et nos actions directes et collectives peuvent nous faire gagner. Et parmi ces actions, la grève de masse, par en-bas et prolongée, est la plus puissante qui soit.
La Gauche anticapitaliste lance un appel face à l’urgence sociale et écologique
- Pas de paix sociale, ni de « concertation », ni de « solution électorale » : arrêtons le travail, manifestons en rue, continuons après les élections
- Engageons partout où c’est possible un débat entre jeunes, travailleur.se.s, féministes, activistes climatiques, dans les assemblées syndicales, dans les écoles, dans l’espace public ;
- La solidarité est notre force : Enseignant.e.s : mettons-nous en grève chaque jeudi pour rejoindre nos élèves dans les manifestations ! Travailleur.se.s du secteur privé et public, débrayons le 8 mars et montrons notre solidarité avec la lutte des femmes*, débrayons le 15 mars et marchons aux côtés de la jeunesse ;
- L’auto-organisation collective et la démocratie de bas en haut sont nos meilleures garanties pour un mouvement offensif et déterminé jusqu’à la victoire ;
- Partons de nos besoins sociaux et des nécessités écologiques : augmentation du salaire minimum à 1700€ nets par mois, réduction du temps de travail à 30 heures par semaine sans perte de salaire pour travailler tou.te.s, produire moins et vivre mieux, transports publics gratuits et généralisés aux frais du patronat, impôt de crise drastique sur les grosses fortunes, création massive d’emplois publics dans les services collectifs, sociaux (hôpitaux, éducation, crèches, etc.) et écologiques (réparation des écosystèmes, transition agroécologique), arrêt des productions inutiles et nuisibles et reconversion des travailleur.se.s aux frais du patronat, sortie immédiate du nucléaire et transition immédiate vers une sortie complète des énergies fossiles bien avant 2050.
Déclaration de la Gauche anticapitaliste.
Le 12 février 2019.
Notes