Dès le début de la nouvelle agression lancée par l’armée sioniste contre Gaza à la suite de l’opération Déluge d’Al-Aqsa, il était clair que son objectif allait au-delà des attaques « punitives » devenues habituelles depuis que le Hamas a pris en charge l’administration de l’enclave. Il s’est agi en fait d’une tentative de compléter la Nakba de 1948 par un nouvel épisode centré sur Gaza, en prélude à un épisode ultérieur en Cisjordanie.

Au troisième jour suivant l’opération du Hamas, nous écrivions dans ces pages ce qui suit : « Depuis la création de l’État d’Israël, la droite sioniste rêve de compléter la Nakba de 1948 par une nouvelle expulsion massive des Palestiniens hors de la terre de Palestine entre la mer et le fleuve, y compris la bande de Gaza. Il ne fait aucun doute qu’ils considèrent désormais ce qui s’est passé samedi dernier comme un choc qui leur permet d’entraîner derrière eux toute la société sioniste afin de réaliser leur rêve dans la bande de Gaza d’abord, en attendant l’occasion de le mettre en œuvre en Cisjordanie. La gravité de ce qu’Israël a subi samedi est susceptible d’atténuer le rôle dissuasif de la prise d’otages par le Hamas, contrairement aux précédents cycles de confrontation entre ce dernier et l’État sioniste. Il est très probable que cette fois-ci, Israël ne se contentera de rien de moins que la destruction de la bande de Gaza à un degré sans précédent, afin de la réoccuper au coût humain israélien le plus bas possible et provoquer l’exode de la grande majorité de sa population vers le territoire égyptien, tout cela sous le prétexte d’éradiquer complètement le Hamas ». (« Le Déluge d’Al-Aqsa menace d’emporter la bande de Gaza », 10/10/2023).

Le double discours de Sissi

Cela se trouva confirmé lorsqu’Israël appela les habitants du nord de l’enclave à se déplacer vers le sud, et lorsque sa campagne de bombardement s’avéra être plus intense que toutes celles qu’il a menées dans son histoire, plus intense en fait que tout ce qu’a connu l’histoire contemporaine, probablement depuis la Seconde Guerre mondiale. La révélation du rapport préparé par le ministère sioniste du renseignement et publié le jour même où l’armée israélienne commençait son invasion de la bande de Gaza, soit une semaine après le début des bombardements intensifs, confirma également que le plan privilégié par le Likoud et ses alliés de l’extrême droite sioniste est bien d’accomplir un deuxième épisode de la Nakba en s’emparant du territoire de Gaza et en en déracinant la population. 

Devant cette accumulation de signaux, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi proclama qu’il rejetait catégoriquement le déplacement des habitants de Gaza vers le territoire égyptien. Il souligna la gravité de l’affaire dans des termes qui indiquent que sa crainte n’est pas tant que l’État sioniste déracine à nouveau les Palestiniens de leur terre, mais plutôt les conséquences que ceci aurait pour la « sécurité » de l’Égypte, une logique qui sied à un homme qui a longtemps commandé les services de renseignement militaires de son pays. Sissi conseilla donc à Israël de déplacer les Gazaouis vers le désert du Néguev au lieu de les pousser vers le Sinaï !

Le refus égyptien est cependant insuffisant pour dissuader Israël. En commentant le rapport du ministère sioniste du renseignement après sa divulgation, nous avons écrit que « certains pensent […] que l’intensité du déplacement vers la frontière égyptienne, à mesure que les opérations militaires terrestres progressent, pourrait accroître la concentration humaine à la frontière, de sorte à forcer l’Égypte, en sus des pressions occidentales, à changer de position. Les planificateurs de l’expulsion espèrent certainement que la concentration des déplacés à la frontière sud de Gaza les conduira à forcer l’accès au territoire égyptien pour échapper aux bombardements et à l’avancée militaire d’Israël, contre le gré des autorités égyptiennes qui ne pourront pas ouvrir le feu sur les civils gazaouis ». (« Le plan d’achèvement de la Nakba révélé » 31/10/2023).

Ce que ne fait pas le général président de l’Égypte

Les visées sionistes ont été confirmées ces derniers jours par les préparatifs des forces d’occupation en vue d’envahir Rafah afin d’achever l’occupation de l’enclave, le régime sioniste insistant pour ce faire malgré les appels du monde entier à épargner Rafah, devenu un gigantesque camp de réfugiés, et malgré même les appels hypocrites provenant de Washington à ce sujet, alors que l’administration américaine continue à fournir à l’armée sioniste ce qu’il lui faut pour perpétrer son crime contre le peuple palestinien et contre l’humanité. Qu’a donc fait le régime de Sissi face à la détermination d’Israël à poursuivre la mise en œuvre du deuxième épisode de la Nakba en déplaçant les habitants de Gaza vers le Sinaï ?

N’allez pas croire qu’il a menacé d’annuler l’accord de paix conclu par Anouar el-Sadate avec l’État sioniste ; pris la décision souveraine de ne plus tenir compte des limites imposées par cet accord au déploiement des forces armées égyptiennes dans le Sinaï ; ordonné à l’armée égyptienne de commencer à se concentrer le long de la frontière dans le Sinaï ; et convoqué ses homologues arabes à un sommet urgent au Caire pour annoncer la rupture de toutes les relations des États arabes avec l’État sioniste et décider l’arrêt de toutes les exportations arabes de pétrole et de gaz vers l’ensemble des pays qui soutiennent l’agression sioniste et rejettent l’appel à son arrêt immédiat. Non, n’allez pas croire qu’Abdel Fattah al-Sissi a soudain réincarné Gamal Abdel Nasser ; même Anouar el-Sadate était plus soucieux de la dignité nationale de l’Égypte que lui !

La trahison indécente

Ce que le régime de Sissi a fait, c’est la Fondation du Sinaï pour les droits humains qui l’a révélé depuis le début de février dans des rapports étayés par des photos et des vidéos : premièrement, le régime a renforcé le mur de béton qui sépare l’Égypte de la bande de Gaza avec du fil de fer barbelé. Or, ce mur lui-même est en vérité une honte, semblable tel qu’il est à la clôture érigée entre la bande de Gaza et les territoires de 1948 ainsi qu’au mur d’apartheid qu’Israël a construit en Cisjordanie. La bande de Gaza et sa population font partie intégrante de la nation arabe et sont étroitement liées au peuple égyptien en particulier, ayant vécu sous souveraineté égyptienne durant de nombreuses années. Il est indigne que l’Égypte les traite de la même façon que l’État sioniste.

Le régime de Sissi est allé encore plus loin, toutefois : il s’est lancé dans la construction d’une zone de séquestration entourée d’un mur de béton du type de celui qui existe à la frontière avec Gaza ainsi qu’en Cisjordanie, et cela « sous la supervision du Service du génie des forces armées et avec une forte présence des forces de sécurité », selon la Fondation du Sinaï (14/2/2024). Citant des « responsables égyptiens »anonymes, le Wall Street Journal (15/2/ 2024) a révélé que « le nouveau complexe géant fait partie des plans d’urgence au cas où un grand nombre d’habitants de Gaza parviendraient à entrer. Plus de 100 000 personnes pourraient être logées dans le camp […] Il est entouré de murs en béton et éloigné de toute agglomération égyptienne. On dit qu’un grand nombre de tentes ont été livrées sur le site, mais n’ont pas encore été montées ».

Comme on pouvait s’y attendre, la diffusion de ces informations dans les médias internationaux a entraîné un démenti du pouvoir égyptien. Le général de division Mohamed Abdel Fadil Shousha, gouverneur du Nord-Sinaï (zone est), qui borde la bande de Gaza et où la zone murée est en cours de construction, a publié samedi (17/2) un communiqué déclarant que « les forces armées mettent en place une zone logistique afin de réceptionner l’aide destinée à Gaza, alléger le fardeau des routiers et le stockage à Arish et sur les routes, et faciliter le travail du Croissant-Rouge égyptien ». Ce que le général n’a pas expliqué, c’est pourquoi une telle « zone logistique » a besoin d’un mur de séparation du type de celui qu’Israël a construit en Cisjordanie !


Article initialement publié sur Inprecor le 1er mars 2024

Photo : le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi (Wikimedia Commons)