Le nouveau mouvement démocratique thaïlandais ne cesse de mûrir. Il défie l’oligarchie militaro-monarchiste et appelle à la grève générale.

À l’occasion d’un rassemblement massif – quelque 30 000 personnes –, dans la nuit du 19 au 20 septembre, devant le Palais royal, un appel à une grève générale a été lancé pour le 14 octobre, date anniversaire du renversement, en 1973, de la dictature militaire par un soulèvement étudiant. Les manifestantEs ont scellé une plaque assurant que « Ce pays appartient au peuple et non pas au roi comme on nous l’a fait croire à tort… ». Nouveau symbole : une telle plaque avait été apposée en 1936 pour commémorer le renversement de la monarchie absolue de 1932, mais elle avait « disparu » en 2017 (la nouvelle a, elle, disparu sans attendre).

Brutale crise de la royauté

Le mouvement démocratique exige des réformes constitutionnelles et s’attaque aux deux piliers du pouvoir : l’armée et la monarchie. Depuis la Seconde Guerre mondiale, le pays a connu une succession de régimes militaires, entrecoupés d’interludes civils. Ce cycle infernal a été temporairement brisé en 1992 avec l’adoption d’une Constitution relativement progressiste visant à la modernisation institutionnelle du pays, souhaitée par un large pan de la bourgeoisie et des couches populaires. La profondeur de cette aspiration a été confirmée lors de trois élections, mais les institutions judiciaires ont refusé de reconnaître le verdict des urnes. À l’occasion d’un énième coup d’État, l’armée a imposé une Constitution « intérimaire » la dotant de pouvoirs exceptionnels. Puis s’est maintenue au pouvoir après les élections de 2019.

Par ailleurs, l’autorité de la maison royale a pris un sacré coup avec l’intronisation du prince héritier Vajiralongkorn, un grand caractériel, volage et réputé cruel, devenu Rama X de la dynastie de Chakri. C’est un bizarre exemple des dysfonctionnements politiques actuels. Le nouveau roi a nommé son caniche à la tête de l’armée de l’air, mais s’appuie sur le général Prayuth Chan-ocha pour assurer l’ordre. Il a modifié la Constitution afin de renforcer ses pouvoirs en tous domaines, mais vit la plupart du temps à l’étranger (Allemagne, Suisse) et ne se soucie pas de gouverner. Si sa sœur, la princesse Sirindorn, plus rationnelle, avait été intronisée à sa place, la crise de la royauté n’aurait probablement pas été aussi brutale.

Cahier de doléances en 10 points

L’autorité monarchique est plus fragile en Thaïlande que l’on ne le dit. Elle a été à plusieurs reprises mise en cause(notamment en 1976, quand Rama IX a couvert une répression sanglante). Il a fallu une véritable campagne idéologique, avec l’appui de Washington, pour restaurer l’image du monarque, qui au fil des ans a accumulé une fortune et des possessions foncières considérables (elle est l’une des familles royales les plus riches au monde).

L’arrestation du « Pingouin », figures du mouvement pro-démocratie, pour un tweet ironique concernant le roi a constitué l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. Twitter était en effet un lieu de relative liberté et sa détention, six jours durant, représente une escalade de la répression. Pour « briser tout esprit de liberté », son crâne a été rasé. La jeunesse, étudiante surtout, s’est spontanément mobilisée, avec souvent de jeunes femmes pour figure de proue. Parti des campus, le mouvement n’a cessé de mûrir, cherchant dans l’histoire du royaume des réponses aux problèmes présents et renouant avec les luttes populaires passées. Il fait preuve de beaucoup d’imagination, d’initiative, de culot.

Un cahier de doléances en 10 points a été constitué et remis au chef de la police pour qu’il le transmette aux autorités du Palais. Il exige une refonte démocratique des institutions, depuis le statut effectif de la royauté jusqu’au mode d’élection du Sénat, conçu pour assurer la prééminence des militaires. Il s’élève contre la répression en Thaïlande et à l’étranger. Des artistes « dissidents » ont été enlevés au Laos. Les royalistes ultras menacent des militantEs jusqu’en Europe (Suède, France…). La Thaïlande est à nouveau sur le fil du rasoir.

Publié sur l’Anticapitaliste.