Ainsi que le laissaient prévoir les résultats des primaires (PASO) du 12 septembre 2021(1)Voir l’Anticapitaliste n° 583 du 23 septembre 2021 : https://lanticapitaliste.org/actualite/international/revers-pour-le-president-argentin-fernandez-radicalisation-gauche-et-droite, le gouvernement péroniste de centre-gauche n’a pas pu, en dépit de quelques mesurettes sociales accordées in extremis, regagner du crédit auprès de sa base sociale populaire et remonter la pente. Il faut dire qu’en octobre, l’inflation s’élevait à 41,8 % et l’indice de pauvreté touchait 40,6 % de la population, selon les dernières données de l’institut statistique argentin avec une pandémie qui recule à peine avec le retour de l’été austral.

La moitié des députés, 1/3 des sénateurs et plusieurs chambres régionales ont été renouvelés. Le parti « Frente de Todos » (« Front de tous »), du président péroniste de centre-gauche Alberto Fernandez (34 % des suffrages) est largement devancé par les 42 % de l’opposition de droite (« Juntos por el Cambio ») dans la majorité des provinces et perd sa majorité absolue au Sénat et relative au Parlement. Les médias du monde n’ont retenu que ce fait. Une véritable analyse démontre bien autre chose, ce qui inquiète par ailleurs les cercles de pouvoir de l’impérialisme.

Percée historique de l’extrême gauche

Le fait central de cette élection, dans un pays où le vote est obligatoire, réside dans l’abstention. Le gouvernement de Fernandez perd 3 millions de votes du fait de la déception et de l’abstention des couches populaires. Les vainqueurs de l’opposition de droite perdent également 500 000 votes par rapport aux élections de 2019 au profit du libertarien aux tendances « bolsonaristes » Javier Milei. Les partisans de Milei sont quasi rayés de la carte électorale en dehors de la capitale. En dépit de cette bonne nouvelle, personne à gauche en Argentine, pays où a sévi l’une des dictatures militaires les plus sanguinaire, ne sous-estime ou ne devrait sous-estimer la percée de ce « fasciste » au cœur de la petite-bourgeoisie « portena » (habitants de la capitale Buenos Aires) surtout quand l’extrême gauche ne récupère qu’à peine un tiers des voix manquantes du centre-gauche.

Toutefois, la percée de l’extrême gauche est historique car elle touche toutes les provinces du pays avec une moyenne nationale supérieure à 6 % des votes et des scores pouvant aller jusqu’à 25 % dans les territoires les plus pauvres. Le FIT-U (Front de la gauche et des travailleurs-unité) devient, et de loin, la troisième force électorale du pays.

Avec plus de 6 % et 1,4 million de votes, ce vote prend une importance qualitative inédite grâce à l’entrée d’élus d’extrême gauche dans tous les bastions du péronisme en zone urbaine. Les digues du vieux mouvement populiste d’Argentine qui encadrait la classe ouvrière depuis des décennies viennent enfin de commencer à rompre. Des centaines de milliers de jeunes, de travailleurEs qui ne supportent plus les conditions de faim et de misère que le gouvernement péroniste du Front de Tous imposait dans le pays se sont affranchis. Ils et elles ne veulent plus payer la dette extérieure frauduleuse (dont la plus grande partie est héritée du gouvernement précédent de droite, celui de Macri) et engraisser les profits des grands entrepreneurs et firmes extractivistes pollueuses de la « Pacha Mama » (la terre).

Un vote de résistance qui a touché les plus exploitéEs : les amérindienEs !

Bien loin des images d’Épinal des agences de voyage qui présentent un pays blanc, l’Argentine compte sur son territoire trente nations des peuples premiers, et « los negros » des « villas » (bidonvilles) victimes du racisme de l’aristocratie blanche sont rarement des Africains noirs mais principalement des indiens ou des métis. Au fil de l’histoire, ils et elles ont été massacrés, humiliés culturellement, dépouillés de leurs biens, de leurs terres mais ils et elles existent toujours et, à l’instar de leurs voisins chiliens, ils et elles sont depuis des années entrés en résistance. Que ce soient les Mapuche, pour récupérer leurs terres ancestrales privatisées au seul profit des grands trusts occidentaux comme les Benetton et Lewis, ou les Kollas, Quechua et autres Toba qui résistent contre les firmes extractivistes canadiennes ou chinoises qui polluent les terres, les eaux et les sites cultuels. En 2017, la gendarmerie et les forces préfectorales de Macri ont assassiné Santiago Maldonado et Rafael Nahuel, en lançant une campagne raciste pour diaboliser les peuples premiers. Ils sont allés jusqu’à inventer des groupes terroristes pour légitimer la répression que Fernandez a continuée.

C’est pourquoi les zones fortement peuplées de Mapuches dans les provinces de Neuquen ou du Chubut ont voté à plus de 15% pour le FIT-U et les Andins de Jujuy à plus de 25%. Quand les plus déshéritéEs s’emparent de la politique, disait Lénine comme le Che argentin, la situation peut changer très vite.

Simple accord électoral ou mouvement démocratique de masse ?

Pour consolider ces résultats électoraux et avancer vers des solutions écosocialistes, il faudrait bien plus qu’un simple accord électoral (qui est mieux que rien, reconnaissons-le). Il faudrait un large mouvement unifié et démocratique de toutes les forces d’extrême gauche qui s’adresse à des franges beaucoup plus grandes de la population travailleuse et de la jeunesse et qui agrège en son sein nombre d’indépendants et de référents de la lutte de classe. Nous en sommes loin et chacune des composantes du FIT-U organise ses propres assemblées et manifestations de victoire.

Pourtant, pour massivement rejeter le nouvel accord en gestation avec le FMI, progresser dans l’organisation des quartiers populaires, de la jeunesse et dynamiser les luttes ouvrières, environnementales et contre les oppressions de genre, la construction d’un grand mouvement unitaire s’impose.

Publié sur L’Anticapitaliste.
Photo : Partido de los Trabajadores Socialistas (PTS)