Joseph Daher, auteur d’un récent ouvrage intitulé La Palestine et le marxisme, écrit que malgré les souffrances interminables en Palestine et au Liban, il ne faut pas désespérer. Il affirme que la résistance par en bas à l’encontre de tous nos États qui en sont les complices représente une voie pour aller de l’avant.
La guerre génocidaire menée par Israël contre les Palestiniens de Gaza ne donne, plus d’un an après son début, aucun signe de fin, tandis que l’armée d’occupation israélienne et les colons ne cessent d’intensifier leur violence en Cisjordanie, tout en continuant à avancer dans son processus d’annexion, en dépossédant les Palestiniens et en confisquant leurs terres. En outre, le gouvernement israélien a lancé une nouvelle guerre contre le Liban à la mi-septembre 2024, faisant plusieurs milliers de morts et entraînant des destructions massives, avec des scènes et des images qui nous rappellent Gaza.
C’est dans ce contexte que l’ancien président américain Donald Trump a été élu face à Kamala Harris. Parmi de nombreux autres éléments, le soutien continu et croissant du parti démocrate au génocide israélien contre les Palestiniens a provoqué sa défaite. La guerre d’Israël contre la Palestine et le Liban a en effet été totalement soutenue par le président Biden. Depuis le 7 octobre 2023, les États-Unis ont agi de la manière la plus hypocrite qui soit. Malgré les appels rhétoriques à la désescalade, ils ont en pratique permis à Israël d’agir en toute impunité. Ils ont fourni à Israël tout l’équipement militaire dont il a eu besoin pour mener sa guerre génocidaire, occuper et coloniser les terres palestiniennes, lancer une guerre au Liban, bombarder le Yémen et la Syrie, commettre des assassinats dans toute la région et intensifier les opérations militaires contre l’Iran. Les États-Unis ont dépensé plus de 18 milliards de dollars en aide militaire à Israël depuis octobre 2023.
Trump prendra officiellement ses fonctions à la Maison Blanche le 20 janvier 2025. Malgré ses déclarations selon lesquelles il mettra en œuvre un cessez-le-feu et arrêtera les guerres au Moyen-Orient, il ne faut rien attendre de son mandat. En août 2024, le milliardaire républicain a déclaré que s’il était élu, Israël recevrait toute l’aide nécessaire pour « mettre fin rapidement à la guerre » dans la bande de Gaza. Pour rappel, le premier mandat de Trump a notamment été marqué par le déplacement de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem et le soutien à l’annexion du plateau du Golan par Israël, et ce, tout en poussant à la normalisation entre Israël et les différents pays arabes par le biais des accords d’Abraham. Aucune de ces décisions n’a été remise en cause par les Démocrates, bien au contraire, comme nous l’avons mentionné plus haut.
Quel que soit le parti au pouvoir aux États-Unis, les Démocrates comme les Républicains ont soutenu Israël parce qu’il agit comme leur police locale qui se mobilise contre les menaces pesant sur les intérêts des impérialistes américains et occidentaux dans la région, en particulier contre tout mouvement révolutionnaire qui pourrait émerger et remettre en cause le contrôle des États-Unis sur les réserves stratégiques d’énergie de la région. Parce qu’Israël est un État fondé sur le déplacement d’un peuple profondément enraciné sur les terres dont Israël revendique la propriété, une réalité qui suscite la colère et l’hostilité des masses de la région, Israël est contraint de s’appuyer sur le parrainage des puissances impériales et de se transformer en un instrument de lutte contre tout changement radical au Proche-Orient.
Dans le même temps, la répression ouvertement raciste de la population palestinienne par Israël est devenue un modèle que les partis néolibéraux d’extrême droite et de droite du monde entier aimeraient suivre : ignorer le droit international et traiter comme ils l’entendent les populations non blanches, qu’il s’agisse de nouveaux migrants ou d’autres minorités.
L’élection de Trump, la montée continue de l’extrême droite et l’approfondissement des pratiques autoritaires dans les États occidentaux pourraient parfois conduire à une forme de désespoir parmi certaines composantes des classes ouvrières et populaires. Ceci englobe également le mouvement de solidarité avec la Palestine, étant donné que le génocide se prolonge, ainsi que le soutien des États impérialistes occidentaux à Tel-Aviv, alors que la solidarité avec la lutte palestinienne et le soutien à la campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) ont été de plus en plus criminalisés dans les États occidentaux. La criminalisation de la solidarité avec la Palestine sert aujourd’hui à banaliser les attaques des classes dirigeantes contre les droits démocratiques fondamentaux et à étendre le contrôle de l’État.
Les obstacles qui empêchent d’obtenir des résultats et des victoires peuvent conduire certains groupes et individus au sein du mouvement de solidarité avec la Palestine et de la gauche à perdre confiance dans la possibilité d’un changement par en bas et à placer leurs espoirs de libération de la Palestine dans les actions de certains États, qui prétendent être des alliés des Palestiniens.
Ainsi, il s’est trouvé des gens pour saluer ce prétendu « axe de la résistance » dirigé par la République islamique d’Iran et pour le présenter comme la voie à suivre pour la libération de la Palestine. Cependant, depuis le 7 octobre, l’Iran, principal allié régional du Hamas, cherche à améliorer sa position dans la région afin d’être dans la meilleure position possible pour les futures négociations politiques et économiques avec les États-Unis. L’Iran souhaite garantir ses intérêts politiques et sa sécurité, et tient donc à éviter toute guerre directe avec Israël. Son principal objectif géopolitique en ce qui concerne les Palestiniens n’est pas de les libérer, mais de les utiliser comme levier, notamment dans ses relations avec les Etats-Unis. De même, la passivité de l’Iran dans le contexte de l’intensification de la guerre contre le Liban, et à la suite de l’assassinat de cadres politiques et militaires clés du Hezbollah, dont le secrétaire général Hassan Nasrallah, suggère également que sa première priorité est la protection de ses propres intérêts géopolitiques. Par le passé, l’Iran n’a pas hésité à réduire son financement du Hamas lorsque leurs intérêts ne coïncidaient pas : Téhéran a considérablement réduit son aide financière au Hamas après qu’un soulèvement de masse historique a éclaté en Syrie en 2011 et que le mouvement palestinien a refusé de soutenir la répression meurtrière du régime syrien à l’encontre des manifestants syriens.
De même, certains ont considéré la Turquie comme un champion de la cause palestinienne, avec son président Erdogan. Malgré les critiques de Recep Tayyip Erdoğan à l’égard d’Israël et l’interdiction faite par son gouvernement de tout échange commercial intérieur avec l’État israélien (en vigueur depuis mai 2024), la Turquie et Israël entretiennent des liens économiques étroits. Selon les données publiées par l’Assemblée des exportateurs turcs (TIM), les entreprises turques semblent contourner l’interdiction commerciale en acheminant leurs exportations en passant par les services douaniers de l’Autorité palestinienne : les exportations vers la Palestine ont augmenté de 423% au cours des huit premiers mois de 2024, avec une hausse de plus de 1150% pour le seul mois d’août, passant de 10 millions de dollars l’année dernière à 127 millions de dollars. Les échanges entre les deux pays se sont également poursuivis par l’intermédiaire de pays tiers tels que la Grèce. En outre, la Turquie et Israël ont trouvé un terrain d’entente lors de la récente agression militaire de l’Azerbaïdjan dans la région du Haut-Karabakh, contrôlée et peuplée principalement d’Arméniens. Les drones israéliens et turcs, ainsi que le soutien des services de renseignement des deux pays, se sont avérés essentiels à la victoire de l’Azerbaïdjan sur les forces armées arméniennes. Plus de 100 000 Arméniens, soit la quasi-totalité de la population d’avant le conflit, ont été contraints de fuir le Haut-Karabakh et de devenir des réfugié.e.s.
Sur un plan plus général, les forces progressistes dont l’activité est orientée vers le travail à la base n’ont pas à s’aligner sur des États impérialistes ou sous-impérialistes qui rivalisent pour obtenir des bénéfices politiques et cherchent par tous les moyens à intensifier leur exploitation des richesses et des travailleurs. Bien sûr, l’impérialisme américain reste extraordinairement destructeur et mortifère grâce à ses capacités militaires, politiques et économiques. Mais choisir un impérialisme plutôt qu’un autre, c’est garantir la stabilité du système capitaliste et l’exploitation des classes populaires.
Les forces de gauche et progressistes doivent bien sûr défendre le droit des Palestiniens à résister à la violence de l’État d’apartheid raciste et colonial d’Israël, y compris par la résistance militaire. De même, les Libanais.e.s ont le droit de résister à l’agression israélienne. La défense du droit des peuples à résister à l’oppression ne doit pas être confondue avec un soutien politique aux projets politiques propres au Hamas ou au Hezbollah dans leurs sociétés respectives, ni nous amener à imaginer que ces partis seront en mesure d’assurer la libération de la Palestine ou qu’ils disposent d’une stratégie dans ce sens.
Cela dit, la tâche la plus importante pour celles et ceux qui se trouvent en dehors du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord est de gagner la gauche, les syndicats, les groupes progressistes et les différents mouvements sociaux à la construction d’un puissant mouvement populaire de masse en solidarité avec la libération de la Palestine, et de soutenir la campagne BDS contre Israël. La meilleure façon de soutenir la libération des Palestinien.ne.s aujourd’hui est en effet de construire des mouvements de solidarité populaires locaux forts et de faire avancer les campagnes BDS. Il nous faut également développer les analyses régionales et internationalistes au sein de nos mouvements, en étant convaincus des intérêts communs et de la communauté de destin des classes populaires et ouvrières.
La tâche principale d’un grand mouvement populaire pour la Palestine est de dénoncer le rôle complice de nos classes dirigeantes qui soutiennent non seulement l’État raciste d’apartheid colonial d’Israël et sa guerre génocidaire contre les Palestiniens, mais aussi les attaques d’Israël contre d’autres pays de la région, comme le Liban. Le mouvement doit faire pression sur lesdites classes dirigeantes pour qu’elles rompent toute relation politique, économique et militaire avec Tel-Aviv. Personne ne doit s’attendre à ce que les classes dirigeantes occidentales acceptent facilement de reconsidérer leurs positions politiques à l’égard d’Israël. Jamais dans l’histoire, les classes dirigeantes n’ont permis l’instauration d’une véritable démocratie ou d’une véritable justice, autrement que sous la pression de la mobilisation de la classe ouvrière par en bas.
La solidarité internationale est une nécessité absolue, car les Palestiniens sont confrontés non seulement à l’État d’Israël, mais aussi à ses soutiens impérialistes, comme nous l’avons expliqué plus haut.
On assiste à une prise de conscience grandissante du fait qu’une victoire de la cause palestinienne serait une victoire de toute la gauche – de tout le camp progressiste opposé aux pulsions destructrices du capitalisme néolibéral et à la progression des mouvements fascistes, qui sont les deux projets politiques dominants qui menacent les classes populaires et ouvrières aujourd’hui. Affaiblir les classes dirigeantes occidentales, c’est affaiblir l’apartheid israélien, et vice versa. La lutte pour la Palestine, importante en soi, est aussi un moyen de défendre les droits de tous ceux qui sont engagés dans la contestation de ce système mondial inégalitaire et autoritaire.
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepL. Source – Rebel News. Le 15 novembre 2024
Article repris d’inprecor, 6 décembre 2024
Photo : cpusa.org