Aux élections du 9 juin 2024, nous nous attendions à une  nouvelle montée de l’extrême-droite en Flandre, mais pas à une telle progression des droites dans tout le pays, en particulier celle du Mouvement Réformateur (MR), qui, après ces élections, est devenu le premier parti francophone.

Son président, Georges-Louis Bouchez (alias GLouB) y est pour beaucoup. Il a mené  une campagne tambour battant. Il a fait des promesses fallacieuses, tenant, à l’occasion, des propos mensongers, assumant des propos racistes,  attisant la division entre  les gens qui se lèvent tôt pour bosser et cette couche de parasites, chômeurs, immigrés,   qui vivent au crochet de la société. Avec son langage populiste de droite,  il est parvenu à capter les suffrages d’extrême-droite en Wallonie et même d’électeur·ices  votant habituellement pour le PS ou le PTB.  

Quelques jours avant les élections, interviewé  dans Knack, magazine flamand,  GLouB déclarait : «  Avec une droite sans complexe, il n’y a pas d’extrême-droite ». On pourrait dire aussi qu’une droite dure ouvre le chemin pour l’extrême- droite ! GLouB a refusé de qualifier d’extrême-droite le Vlaams Belang , le parti de Tom Van Grieken.

 «  Une Wallonie qui vote à droite, c’est mon rêve qui se réalise », avoue Théo Francken, un des hommes forts de la N-VA, proche du Vlaams Belang (1)Théo Francken, le Soir des 27 et 28 juillet 2024

Une situation politique nouvelle s’est ouverte du côté francophone. Elle s’est très rapidement  traduite par la formation de deux gouvernements : MR/les Engagés (ex- Parti social-chrétien, ex-Centre démocrate humaniste). Grâce à son président, Maxime Prévot, ce parti de centre-droite a opéré une véritable résurrection. Maxime Prévot, qui a refusé la polarisation dans la campagne électorale, l’a imprégnée de quelques accents sociaux.   

Au niveau du gouvernent  fédéral, nous sommes également dans une situation inédite. C’est Bart De Wever, président  de la N-VA (Nieuw-Vlaamse Alliantie), parti  nationaliste de droite, voire de droite extrême, qui a reçu du Roi la mission de former un gouvernement rassemblant cinq partis : deux partis  francophones, le MR et les Engagés,  et  trois partis, côté néerlandophone, le CD&V ( Christen-Democratisch en Vlaams), Vooruit (ex-Socialistische Partij), et la N-VA. Cet assemblage a été présenté sous le nom d’Arizona.

La première note de Bart De Wever, distribuée début août  à ses  partenaires, portait essentiellement sur le volet socio-économique : le marché du travail, le chômage, la fiscalité, le budget, les pensions, les salaires… sans oublier l’immigration.  Ses propositions avaient  déjà suscité l’adhésion des partenaires sur plusieurs points. Le MR allait faire capoter les négociations, en  refusant une des propositions du formateur : taxer les plus-values boursières sur les actions et obligations, à une modeste hauteur de 10% (la Belgique reste un des rares pays à ne pas les taxer).

Après la démission du président de la N-VA comme formateur, le Roi nommait Maxime Prévot, président des Engagés, comme médiateur pour recoller les morceaux !

Un patronat en embuscade

P. Timmermans, l’administrateur-délégué de la fédération des entreprises de Belgique  (FEB) fut le premier à se réjouir de cette nouvelle séquence politique. Il s’est exprimé en long et en large dans la presse (2)Le Soir des 3 et 4 août 2024. Il tient à préciser : «  Les grands leviers  d’une politique de redressement économique restent au niveau fédéral : coût salarial, flexibilité au niveau du marché du travail, réforme des pensions, fiscalité…Comme je l’ai répété à Bart De Wever (futur  ex-formateur !), il faut d’abord faire grandir le gâteau (c’est-à-dire les  profits des entreprises et des dividendes, ndlr), et quand c’est fait, on peut penser à le distribuer ».

P. Timmermans est un grand mystificateur. Il sait très bien  que les détenteurs des grands moyens de production sont poussés par une frénésie productiviste : produire, produire de plus en plus pour  engranger un maximum de bénéfices et damer le pion à la concurrence. Il sait  que ce fonctionnement engendre des crises périodiques du système de production capitaliste (crise de surproduction, etc., ndlr), que  la restauration de la compétitivité des entreprises pousse à une exploitation de plus en plus dure et diversifiée de la classe ouvrière.

Ce n’est pas un hasard, si, dans la même interview, l’administrateur délégué de la FEB évoque le plan global que le premier ministre Jean-Luc Dehaene (CD&V) a imposé en 1993 : « Je m’en souviens bien : saut d’index, blocage salarial, réformes structurelles, vente de participations dans certaines entreprises publiques…C’était  costaud. Mais, c’est de cela dont nous avons besoin aujourd’hui ».

Précisons que  certaines de ces mesures ont été portées par les gouvernements suivants:

  • Le gouvernement  Di Rupo (PS) a lancé une réforme radicale du chômage : dégressivité et  exclusions.
  • Le gouvernement Charles Michel (MR), La Suédoise,  avec le seul MR  du côté francophone, la N-VA, les Chrétiens-démocrates et les Libéraux flamands, a opéré un saut d’index,  relevé l’âge de la pension à 66 ans à partir de 2025 et 67 ans en 2030, …
  • Le gouvernement Alexander De Croo, la Vivaldi,  coalition de 7 partis, socialistes écologistes, libéraux des deux communautés, plus les Chrétiens-démocrates en Flandre, a décidé un blocage des salaires de longue durée, alors que les prix explosaient.

Aujourd’hui, face à la persistance de la longue récession du capitalisme mondial, l’administrateur-délégué de la FEB laisse entendre que non seulement « c’est de cela dont nous avons besoin », mais qu’il faudra aller beaucoup plus loin dans les réformes. » Ces « réformes », c’est la régression sociale assurée. À la fin de l’interview,  il enfonce le clou : « Si l’on n’agit pas sur les salaires et la complexité administrative des entreprises, c’est la catastrophe dans deux ans » !

Réformes libérales accentuées et casse sociale amplifiée !

«  Nous avons une opportunité en or », déclare l’Administrateur-délégué de la Fédération des Entreprises de Belgique, dans la même interview : « Nous aurons des coalitions miroir : vous avez des coalitions au niveau régional qui peuvent former une coalition au niveau fédéral ». Pieter Timmermans observe, avec grande satisfaction, cette nouvelle donne politique, qui a abouti au renvoi de la gauche gouvernementale  (Parti socialiste et Écologistes) dans l’opposition : « Les Wallons ont dit clairement  que la politique menée jusqu’ici n’était pas la bonne voie à suivre ».  

« Nous n’avions pas les coudées franches avec le PS. Là, on se trouve  dans une configuration inédite »  (GLouB). « Il y a des choses qui peuvent s’envisager dans cette configuration Engagés-MR, ce qui n’aurait pas  été possible dans une autre configuration ». (Maxime Prévot).

La Déclaration de Politique Régionale Wallonne (DPR) et la Déclaration de Politique Communautaire (DPC) à la Fédération Wallonie-Bruxelles, intitulées toutes  deux  « Avoir le courage de changer pour que l’avenir s’éclaire », ne tarderont pas à déciller les yeux d’électeur·ices  qui ont donné leurs suffrages au MR ou aux Engagés.

Soutien prioritaire au patronat !

Accentuer les réductions d’impôts des sociétés versés au budget national et à la sécurité sociale, « attraction proactive  des investissements étrangers », multiplication  des partenariats public-privé, « renforcement éventuel de l’ancrage des actionnaires privés dans les sociétés de gestion des aéroports wallons et même à la FN Herstal…

« Au boulot ! ».  Ainsi se terminait  le discours triomphal de Georges-Louis Bouchez, le soir des élections.  « En avant pour  l’objectif de 80% d’emplois ! » La mesure phare : limiter à deux ans  l’octroi des allocations de chômage ( DPR), mesure déjà reprise au fédéral par l’Arizona ! Chômeurs, malades de longue durée : « au boulot », sans faire la fine bouche sur le salaire, les conditions  de travail, la flexibilité des horaires, les flexi-jobs … Et pour ceux qui restent en rade : il y a le « service communautaire d’intérêt général» : travail gratuit sans supplément à l’allocation de chômage!

En concertation avec le fédéral, permis de travail temporaire pour des sans-papiers, mais pas question de régularisation !

Déficit public! Une seule solution : réduction drastique des dépenses publiques! « Il nous faut avoir résolument le courage de changer, de quitter la posture stérile de la défense, sans nuance ni flexibilité, des acquis  (parlons plutôt des conquis!)  et des privilèges» (DPC). La politique budgétaire est, pour l’essentiel, du ressort du gouvernement fédéral. Les deux gouvernements francophones, Région wallonne et Fédération Wallonie-Bruxelles, ont déjà  pris les devants ; « Nous allons diminuer de moitié  le déficit budgétaire sous cette législature», a  promis le président du MR. « Concrètement,  l’accord MR-Engagés prévoit 880 millions d’économies pour la Wallonie, jusqu’en 2029. La Fédération Wallonie-Bruxelles est, elle, appelée à économiser  334 millions. Cela représente un effort global de 1,2 milliard. 80% de l’effort  se fera par des réductions structurelles dans les dépenses » (3)Le journal  L’Echo, 12 juillet. 2024

Pas question de nouveaux impôts ! « Ce sera la plus grande baisse d’impôts jamais enregistrée », a martelé GLouB. « Cette baisse d’impôts est rendue possible par l’action volontariste du gouvernement, par la réduction de la voilure des dépenses excessives de l’Etat » (DRW). Et  il n’est pas question de pousser le patronat, les entreprises, les grandes fortunes, à cracher au bassinet ! Une bombe à fragmentation.

Fin du régime statutaire dans la fonction publique et dans l’enseignement !

Les futurs engagements prendront la forme de contrats à durée indéterminée (CDI). Comme dans le privé, ça permettra plus facilement d’agiter l’épée de Damoclès sur le licenciement. Ou encore, dans l’enseignement, d’exiger la prestation d’heures ou de tâches supplémentaires, et ainsi justifier le surplus de rémunérations (barème 501) pour les enseignant·es qui ont obtenu un master.

Et tout cela en essayant de contourner les syndicats ! Maxime Prévot, le Monsieur Bons offices, soucieux d’un climat de bonne entente, n’y va pas  par quatre chemins : « On ne fait pas de politique pour plaire aux syndicats (…). Je crois que les syndicats de l’enseignement  ne sont pas les plus représentatifs de l’opinion de la base des enseignants. Le statut aujourd’hui est un fétiche auquel il semble impossible de pouvoir toucher. Plus par position de principe que par lucidité des contrariétés qu’il génère. Les jeunes générations ne fantasment plus à l’idée de devenir statutaires.  On ne va pas toucher  aux acquis, mais les nouveaux entrants se verront proposer  un CDI » (4)Le Soir des 13 et 14 juillet 2024.

Economies tous azimuts 

Fini le soutien des finances publiques à des ASBL qui utilisent l’argent pour «les activités  de promotion des partis politiques» !

La RTBF est contrainte de réaliser  quelque 70 millions d’euros d’économie et laisser place à des chaînes de télévision privées  pour des programmes sportifs !

Une droite conquérante au pouvoir 

Des quelques fuites sur les discussions au fédéral, entre les cinq partenaires de l’Arizona, se dessinent déjà  les grandes lignes à la fois  d‘une nouvelle offensive sur les acquis et la consolidation des mesures de régression sociale. Par exemple :  le blocage des salaires,  les atteintes aux libertés syndicales et au droit de grève, les attaques contre l’indexation des salaires, la tentative de marginalisation des  syndicats , l’absence de mesures concrètes et efficaces contre le réchauffement climatique, l’assainissement budgétaire essentiellement par la réduction drastique des dépenses  publiques dans de nombreux secteurs, dans les services à la population, dans le secteur de la santé…, sans oublier le durcissement des politiques d’immigration,  etc. Mais également, avec la perception de nouveaux impôts, l’augmentation de la TVA, même pour les produits de première nécessité, l’augmentation des accises, etc.

Nous avons aujourd’hui au pouvoir une droite arrogante, décomplexée, bien décidée à imposer  une régression bien plus violente encore que sous les gouvernements précédents. Nous avons une droite qui ne s’embarrasse plus  d’un semblant de concertation avec des instances du mouvement ouvrier.

Une droite populiste menant une offensive idéologique, avec une fonction stratégique de diversion, de division et d’affaiblissement de la conscience de classe. Le populisme est le terrain de prédilection de l’extrême-droite. Le MR, plus encore que la N-VA, creuse les sillons pour elle.  

Résistance et riposte

Les syndicats devraient s’inquiéter sérieusement de cette situation politique inédite et en tirer sans tarder les leçons. S’ils refont le coup de 2014, face au gouvernement Charles Michel (MR) – chauffer leurs bases en front commun puis débrancher la prise pour « donner une chance à la concertation »-, ils renforceront la détermination de cette droite au pouvoir. Ils alimenteront la « bête immonde ». Le syndicalisme ne peut sortir de l’ornière qu’en élaborant une alternative et en se donnant les moyens de l’imposer par l’action, en faisant front avec les autres mouvements sociaux. Et imposer cette alternative,  y compris aux soi-disant « amis politiques ».

S’il ne le fait pas, il continuera à décliner…en laissant à la droite toute liberté de balayer les conquêtes déjà si durement obtenues et déjà bien mises à mal, et en emportant dans sa chute les espoirs déçus de la plus  grande partie de la population.

Denis Horman et Daniel Tanuro


Photo : Georges-Louis Bouchez et le Roi Philippe. Source : page Facebook de Georges-Louis Bouchez

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