Le 19 juillet 2016, la gendarmerie est à sa besogne habituelle de harcèlement routinier : énième contrôle d’identité, énième fuite. Mais cette fois, comme d’autres avant lui, Adama Traoré n’en sortira pas vivant. Plus de deux ans plus tard, la lutte pour la justice et la vérité continue, avec une nouvelle manifestation organisée ce samedi 13 octobre à Paris.
Molesté, menotté, puis certainement étouffé par une manœuvre « d’immobilisation » dans le fourgon qui l’emmenait au poste, il y sera laissé pour mort sur le sol. Prévenus trop tard cela s’entend, on refusera même aux pompiers de lui faire enlever immédiatement les menottes…
Face à la révolte, la machine répressive
S’en suivront plusieurs nuits de révolte ainsi qu’une mobilisation dont l’ampleur et la durée n’ont pas échappé à un État policier tout à la fois sur la défensive… et à l’offensive. Prise de conscience de la réalité des violences policières, condamnations internationales de la France pour ses méthodes policières, attentats de novembre 2015, mouvements sociaux du printemps 2016, le cocktail est explosif. La machine répressive ne va pas faire dans la demi-mesure. Ainsi, au-delà des mensonges et versions successives avancées pour maquiller les faits, au-delà des manœuvres dilatoires visant à engluer le processus d’investigation et repousser la tenue d’un procès, c’est à une inédite entreprise de démolissage judiciaire de la famille Traoré que l’État s’est adonné. Cinq de ses frères ont été poursuivis et condamnés pour divers faits plus ou moins imaginaires, liés ou non à la lutte pour la vérité sur la mort d’Adama. Même sa mère n’a pas été épargnée.
Un rapport rempli d’insinuations
Le vendredi 2 octobre, un 4e rapport médical, arraché de haute lutte il y a un an, a enfin été rendu. Et l’État ne flanche toujours pas, bien au contraire : ce rapport réussit le tour de force de démolir toutes les précédentes affirmations fallacieuses quant aux causes de la mort d’Adama, donc de rassembler tous les éléments nécessaires à la démonstration d’un meurtre policier… tout en concluant au contraire. Le réel est coriace.
L’infamie le dispute alors au ridicule. Ostensiblement dictée au profit de la version policière dans un grand écart stupéfiant, la conclusion dudit rapport ordonne et légitime, par la force de l’autorité et de la cohérence « scientifique » du jargon médical, tout un ensemble bien connu d’insinuations, d’approximations et de spéculations quant aux causes de la mort d’Adama. Ainsi tous les éléments, pourtant corrosifs pris séparément, sont miraculeusement assemblés en un spectaculaire et improbable alignement des planètes où les prédispositions d’Adama et divers facteurs extérieurs trouvent à parfaitement s’épanouir dans le déroulement des faits, et enfin aboutir à des conséquences aussi « logiques » qu’irréversibles.
Une énième provocation
Ramené à sa vulgarité littérale, ce rapport dit : « Le pauvre Adama n’a vraiment pas eu chance, mais c’est de sa faute, et tout était écrit et déjà contre lui ». D’un chaos et d’une confusion artificielles, ce rapport échafaude un ordre aussi parfait qu’improbable et contradictoire, par la mécanique introuvable du hasard et de la « science ». Mais quand cette dernière est à ce point au service de la construction d’un discours si peu scientifique, donc si politique ; quand les faits sont à ce point méprisés, la dialectique est joueuse. Portée à une tel degré, la dénégation quant aux causes véritables de la mort d’Adama se redouble et se dénonce dans toute sa grossièreté, sa violence, sa morgue, son mépris et son caractère finalement provocateur.
Car qui peut croire un tel rapport, qui dit finalement qu’Adama est mort parce qu’il a pris la fuite et qu’il a donc lui-même enclenché un « processus fatal » ? Zied et Bouna n’avaient qu’à ne pas aller dans le transformateur… Qui peut croire que ledit « processus fatal » est indépendant de l’action des flics et plus encore d’un système policier dans son ensemble ? Réponse : personne, car il n’est pas fait pour cela. Il n’est qu’une munition de plus dans la stratégie du tapis de bombes.
Oui, comme le dit le collectif « Justice pour Adama » : le déni de justice est un appel à la révolte ! Non au mensonge d’État !
Publié sur le site du NPA.