Transcription d’un exposé d’Au Loong Yu, traduit de l’anglais par Dominique Lerouge pour le site du NPA (18 août 2019). Le mouvement à Hong Kong est passé par trois étapes, le faisant passer d’une réaction populaire à un mouvement social de masse et radical.

La première étape a eu lieu en juin, lorsque des millions de personnes sont descendues dans la rue. Le Conseil législatif a été assiégé, et des actes violents ont été commis. Une radicalisation s’est produite, et les mobilisations sont devenues un mouvement de masse. Puis l’administration Carrie Lam a fait des concessions en annonçant la suspension temporaire du projet de loi sur l’extradition. Mais le mécontentement a persisté et l’administration Lam n’a désormais plus aucune légitimité. HKCTU, la plus démocratique des deux confédérations syndicales existantes, a appelé à la grève le 17 juin, même si cet appel n’a pas été couronné de succès. 

Juillet : une rébellion de masse

Cette deuxième étape a été caractérisée par des manifestations et l’assaut du Conseil législatif par des jeunes radicaux qui ont pénétré de force dans le bâtiment de cette assemblée. Il s’agissait d’une action extrêmement radicale. Contrairement à ce qui se serait passé dans bien d’autres pays, il n’y a eu aucune victime, sans doute parce que la police était partie du bâtiment, dans le but probable d’inciter les radicaux à entrer par effraction et qu’il en résulte une confrontation. Quoi qu’il en soit, cette action a fait parvenir le mouvement à un niveau supérieur. Mais ce qui a suivi était horrible : dans la région de Yuen Long [tout près de la frontière avec la Chine], la police a collaboré avec la mafia qui a perpétré des agressions arbitraires à la gare, dans le but de terroriser les habitantEs et les manifestantEs. Cette attaque a exaspéré la population, et même les plus modéréEs des libéraux se sont mis en colère. Le mouvement s’est encore davantage radicalisé. Suite à cette attaque de la mafia, le mouvement s’est élargi à de nombreux quartiers, ce qui ne s’était jamais produit auparavant à Hong Kong. Des manifestations ont également eu lieu dans 16 ou 17 autres districts, avec la participation de centaines de milliers de personnes. La manifestation du 27 juillet a été encore plus significative. Jusque-là, les manifestations étaient légales. Mais, pour la première fois, la police a refusé de l’autoriser. Les habitantEs de Hong Kong sont très modéréEs, ou l’ont été pendant de nombreuses années. En temps ordinaire, ils et elles auraient accepté cette interdiction. Au lieu de cela, des centaines de milliers de personnes se sont rebellées et sont descendues dans la rue. C’était la première fois qu’un tel niveau de désobéissance civile avait lieu. Cela a jeté les bases pour l’étape suivante. 

Un mouvement qui s’inscrit dans la durée

Le mois d’août a constitué la troisième étape, dans laquelle nous nous trouvons actuellement.

Il est important de noter que le 5 août, un deuxième appel à la grève a été lancé. Cette fois, il a été une réussite. 

Un secteur de l’économie de Hong Kong a marqué ce mouvement de grève : celui des employéEs de l’aéroport et du transport aérien. Suite à celui-ci, le Parti communiste chinois a demandé à disposer de la liste des employéEs de Cathay Pacific ayant fait la grève. Mais le syndicat refuse la divulgation de cette liste. On estime que pour l’ensemble de Hong Kong, 300 000 ou 400 000 personnes ont participé à la grève. Par la suite, en août, des manifestations réussies ont eu lieu tous les deux ou trois jours. Il y a eu plus de défilés qu’en juillet. Le 12 août, les occupations de l’aéroport se sont multipliées.

Cela a déclenché une réaction très virulente du Parti communiste chinois, qui a envoyé environ 10 000 membres de la police militarisée à la frontière. Il ne s’agissait en fait que d’une mise en scène : un énorme régiment chinois de 8 000 soldats est stationné à Hong Kong, juste à côté du siège du gouvernement. Si Pékin veut écraser le mouvement, il lui suffira d’utiliser les forces dont il dispose déjà sur place.

Les composantes du mouvement

En ce qui concerne la composition du mouvement, il convient de noter que les partis politiques n’ont joué aucun rôle prépondérant. Ils ne jouent qu’un rôle logistique, en fournissant une expertise juridique et en assurant la cohérence d’un front civique unitaire.

Le Civil Human Rights Front regroupe des syndicats, des ONG, et des partis politiques. Il a joué le rôle de structure référente des manifestations au cours des deux derniers mois. Sans lui, les jeunes radicaux et radicales se seraient retrouvéEs très isoléEs. Il ne s’agit pas de sous-estimer le rôle du Front, mais il n’a joué aucun rôle politique dirigeant. Il a toujours attendu que la jeunesse radicale impulse le passage à un niveau supérieur.

Le second acteur est la jeunesse, et en particulier la jeunesse radicale. 

Environ 10 000 jeunes, principalement des étudiantEs, sont prêtEs à affronter la police. Des milliers de personnes sont prêtes à recourir à la force, et des milliers d’autres jeunes, sans y participer directement, sont prêtEs à soutenir les radicaux. Cela rend le mouvement dynamique : les jeunes qui apportent leur soutien fournissent les visières, les casques, l’eau, etc.

Leurs orientations politiques sont variées, et il est rare qu’ils adhèrent à des organisations politiques. Ils et elles sont jeunes, en âge d’être scolariséEs dans le secondaire ou le supérieur. Ils et elles croient sincèrement en la démocratie mais ont une compréhension rudimentaire de la politique.  Ils/elles peuvent être xénophobes à l’égard des Chinois du continent, mais cela ne s’est pas cristallisé pour l’instant dans un programme ou une perspective politique.  En même temps, beaucoup de jeunes pensent qu’il est important de gagner à leur cause les ChinoisEs du continent, et de les convaincre des revendications. Des positions contradictoires sont donc en présence. Un courant « localiste » xénophobe a vu le jour avant le « Mouvement des parapluies » de 2014. Ce courant est affaibli depuis 2016. Les médias occidentaux leur prêtent une grande attention, mais leurs organisations sont petites, et regroupent moins de deux ou trois mille personnes.  Leur politique reste dangereuse parce que la société hongkongaise a toujours été orientée à droite, et que les gens peuvent accepter l’idée que les habitantEs du continent sont le problème et devraient être expulsés de Hong Kong.

Sur des bases opposées, le monde du travail participe au mouvement. 

La syndicalisation est importante à Hong Kong. C’est une bonne chose que la grève du 5 août ait été relativement réussie, d’autant plus qu’elle n’était pas bien organisée. Les syndicats de Hong Kong n’organisent généralement pas de grèves politiques, mais on parle maintenant d’une troisième grève début septembre.

Le mouvement est parfois accusé d’être le fruit d’une ingérence étrangère. Mais si on observe le mouvement sur le terrain, on constate que les accusations selon lesquelles il serait contrôlé ou financé par le gouvernement américain sont carrément stupides. Lorsque deux millions de personnes descendent dans la rue, il y a forcément des gens qui insultent la police et les traitent de porcs, mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont contrôlés par une puissance étrangère. 

La situation est maintenant dans une impasse. 

Il est très clair que Pékin ne veut pas perdre la face et restera sur sa ligne dure. Le gouvernement Lam a perdu toute autonomie, mais il ne reculera pas. Pendant ce temps, les gens sont constamment en butte à une répression croissante. Cela pourrait se transformer en une situation révolutionnaire. Il faudrait pour cela que des centaines de milliers de citoyenEs ordinaires et de salariéEs fusionnent avec les jeunes radicaux et combattent simultanément la police. Mais ce n’est pas facile. Hong Kong est trop petit pour se battre contre Pékin, et beaucoup de gens en sont conscients. De plus, le mouvement n’est pas bien organisé, et le niveau de conscience général est très rudimentaire.

Un mouvement néanmoins d’une grande importance

La mobilisation est le signe de l’émergence d’une nouvelle génération, qui a grandi après la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997. Cela procure une nouvelle énergie à la politique hongkongaise. La nouvelle génération est plus radicale, reprenant à son compte le mot « révolution ». Ma génération craint la révolution, ce sont donc des jeunes qui jettent des pierres à la police pour la défendre. C’est très bien, même si c’est simultanément chaotique. Il s’agit à la fois d’une chance et d’un défi. Le mouvement représente un conflit entre deux visions de Hong Kong. L’une est la vision de Pékin, et l’autre est celle des gens ordinaires.  Le gouvernement de Pékin a toujours considéré Hong Kong uniquement sous l’angle économique. Il a voulu priver Hong Kong de son identité politique et l’empêcher de jouer un rôle politique. Ceci est compréhensible, étant donné que Hong Kong est la seule ville de Chine à jouir de la liberté d’expression et de la liberté pour les partis politiques.  Mais ce qui est contradictoire, c’est que c’est précisément cela qui a politisé la population initialement apolitique de Hong Kong. L’énorme politisation de Hong Kong n’est pas due à l’ingérence étrangère, c’est le Parti communiste chinois qui a contribué à la susciter.Enfin, deux orientations s’affrontent à Hong Kong : celle des couches populaires, et celle de la classe supérieure et des magnats (tycoons). Il y a trente ans, la classe moyenne partageait la même vision que les magnats. Contrairement à la vision de Pékin, la classe moyenne de Hong Kong aspirait à une forme libérale de capitalisme pour l’île.  Depuis 30 ans, les magnats ne partagent plus cette vision. Ils sont devenus les partisans du capitalisme totalitaire de Pékin. Un conflit existe donc entre ces deux orientations.

Dans mon livre, l’Essor de la Chine : forces et faiblesses, je soutiens l’idée que la Chine recèle des contradictions : ce pays est fort, mais a aussi d’énormes faiblesses. Hong Kong révèle la faiblesse de la Chine. La Chine est une société du type de celle du roman 1984 de Georges Orwell. Il est vraiment difficile d’y apporter des changements. Mais Hong Kong est différent et cela constitue une faiblesse importante pour Pékin et un espoir pour celles et ceux qui veulent changer le monde.