Frontex (1)Ce qui n’était au départ qu’une petite agence en Pologne est devenue l’une des plus importantes de l’UE. Son budget a augmenté de plus de 7 560 % depuis 2005, et 5,6 milliards d’euros lui sont réservés pour la période 2021-2027. Le budget annuel de Frontex est passé de 6 millions d’euros au départ à 754 millions d’euros. Frontex a recruté une armée de gardes-frontières pouvant posséder et utiliser des armes de feu, et vise à disposer de 10 000 gardes d’ici 2027. « L’agence met à disposition des agents des services répressifs des États membres et des pays associés à l’espace Schengen, ainsi que des navires, des avions et des dispositifs de surveillance des frontières dans les zones des frontières extérieures qui nécessitent une assistance supplémentaire »… « L’agence soutient la coopération des services répressifs, des agences de l’UE et des services douaniers aux frontières maritimes »… « Frontex joue un rôle croissant dans le retour vers leur pays d’origine des personnes qui ne sont pas autorisées à rester dans l’Union européenne. L’agence aide les États membres à coordonner et à financer les opérations de retour, mais peut également lancer de telles opérations de sa propre initiative » peut-on lire sur son site : https://frontex.europa.eu/about-frontex/faq/key-facts/ traverse une mer tourmentée… Depuis près de deux ans, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes et son ex-directeur exécutif, Fabrice Leggeri, font face à de multiples accusations de la part d’ONG, de médias et de la Commission européenne.
L’agence européenne aurait-elle fermé les yeux face à des refoulements (2)Refoulements : les demandeurs et demandeuses d’asile arrivant sur les îles grecques ou dans les eaux territoriales sont traîné·e·s vers la mer, ou contraint·e·s par les garde-côtes helléniques de monter dans des radeaux de sauvetage orange gonflables, « en forme de tente » et laissés à la dérive. de personnes migrantes dans les eaux grecques ? Oui, selon un rapport de l’OLAF, l’Office européen de Lutte antifraude. Le rapport était si préjudiciable lorsqu’il est sorti qu’il a été considéré comme classifié et n’a été présenté qu’à des membres sélectionnés de la commission parlementaire « Libertés civiles, justice et affaires intérieures » (LIBE), tandis que le public était tenu dans l’ignorance. Ce rapport vient d’être, fort heureusement, rendu public par la plateforme FragDenStaat, basée en Allemagne, en collaboration avec Der Spiegel et Lighthouse Reports (Pays-Bas). (3)https://www.spiegel.de/international/europe/frontex-scandal-classified-report-reveals-full-extent-of-cover-up-a-cd749d04-689d-4407-8939-9e1bf55175fd
Que contient le rapport de l’OLAF ?
L’article du Spiegel est précis : « Le rapport est composé de 20 entretiens avec des témoins, comprend des mois de travail d’enquête et remplit plus de 120 pages : L’Office européen de Lutte antifraude (OLAF) a été minutieux. Les enquêteurs ont fouillé les bureaux appartenant à l’équipe de direction de Fabrice Leggeri, alors chef de Frontex, et ils ont parcouru les e-mails et les messages de WhatsApp. Le rapport de l’OLAF a conduit à la démission de Leggeri au printemps 2022. Mais ce que les enquêteurs ont découvert va bien au-delà des questions de responsabilité individuelle. Même s’il ne s’agissait pas de l’objet principal de l’enquête, le rapport expose sans relâche comment les gardes-frontières grecs en mer Égée abandonnent des réfugiés en mer sur des radeaux de sauvetage gonflables pour les empêcher d’exercer leur droit de demander l’asile. »
Frontex était informée dès les premières heures de ces « refoulements » vers la Turquie mais ses dirigeants ont fait le choix de fermer les yeux. C’est en substance ce qu’affirme le rapport de l’Olaf. Selon l’Office, des cadres de l’agence chargée des frontières extérieures de l’UE ont commis « des fautes graves », en ne signalant pas des refoulements de migrant·e·s de la part des garde-frontières grecs. Ce rapport indique que dans un cas, l’avion de l’agence de l’UE s’est volontairement éloigné d’une zone en mer Egée, pour ne pas être témoin d’un incident en cours. Le rapport pointe par ailleurs une multitude de manquements, face à l’arrivée de bateaux de fortune, souvent en provenance de Turquie.
Ces conclusions confirment les accusations de plusieurs ONG, qui pointaient depuis plusieurs années les errances de l’Union européenne et des pays adhérents dans la gestion de la crise migratoire, due notamment à la guerre en Syrie. L’ONG Aegan Boat Report (4)https://aegeanboatreport.com/ documente les refoulements depuis la mer Égée et les îles grecques de la mer Égée depuis des années. Elle a été la cible d’attaques des autorités grecques pour son travail minutieux de documentation des refoulements. Elle publie des rapports chiffrés de manière hebdomadaire, mensuelle, et annuelle.
Depuis mars 2020, plus de 900 radeaux de sauvetage fabriqués en Grèce, transportant plus de 15 000 réfugié·e·s, ont été trouvés à la dérive dans la zone de mer entre la Turquie et les îles grecques de la mer Égée, et personne ne trouve cela au moins un peu hors de l’ordinaire.
Récemment elle écrivait sur sa page Facebook : « Curieusement, aucun fonctionnaire de l’UE n’a jusqu’à présent demandé des réponses de la Grèce, sur le grand nombre de radeaux de sauvetage transportant des réfugiés, qui ont été trouvés impuissants dérivant dans la mer Égée, à la frontière de l’Europe. Ils n’ont pas non plus pris de mesures pour enquêter sur ces violations des droits humains et du droit international commises par un État membre de l’UE, donc la question est, pourquoi ? »
Le Parlement Européen refuse de valider les comptes de Frontex
La publication dans les journaux d’extraits du rapport OLAF tombe à pic. Le mardi 18 octobre elle a eu un écho au Parlement européen qui devait se pencher sur le budget annuel des agences européennes dont Frontex. 345 députés ont voté en faveur de la recommandation de la commission du contrôle budgétaire de refuser l’octroi de la décharge à Frontex, 284 ont voté contre la recommandation et 8 se sont abstenus. Les députés critiquent « l’ampleur des fautes graves commises » par le précédent directeur exécutif de l’Agence. Mais il ne faut pas se contenter de ce petit « temps mort », nous ne demandons pas de rénover Frontex pour qu’elle fonctionne mieux, mais de la dissoudre.
A ce point-là, on ne peut plus parler « d’erreur de parcours » mais d’un système organisé, une politique de rejet qui se généralise dans tous les pays européens, sur les mers qui entourent notre continent… et qui vise à n’accepter que celles et ceux dont l’économie capitaliste a besoin, soit directement dans des postes de travail, soit comme « armée de réserve » pour peser sur les conditions de travail de toutes et tous.
Et tant que cette question est sur le tapis, demandons aussi des comptes aux élu·e·s belges sur l’organisation de l’accueil des demandeurs d’asiles dans notre pays. Depuis de début de l’année la Belgique a été condamnée plus de 4000 fois pour les traitements dégradants qu’elle leur inflige en n’organisant pas l’accueil prévu par tous les traités internationaux et européens qui régissent la demande de protection internationale.
Les principaux griefs reprochés par l’OLAF à Frontex
Le rapport de l’OLAF montre comment Frontex, a été complice de violations flagrantes des droits humains.
- Lors d’incidents répétés, la direction de Frontex a dissimulé des cas d’éventuelles violations des droits humains à son propre responsable des droits fondamentaux ;
- L’agence a suspendu sa surveillance aérienne pour cesser d’enregistrer les violations de la loi ;
- Elle a cofinancé certaines des unités grecques qui ont effectué les refoulements ;
- Selon le rapport,Frontex a induit en erreur les organes chargés de superviser l’agence ;
- Et même s’il devrait être clair à la lecture du rapport que les refoulements étaient « de nature grave ou susceptibles de persister », Frontex n’a pas mis fin aux opérations conjointes comme le stipule l’article 46 du règlement de l’agence.
18 octobre 2022
Photo : Dominique Botte
Notes