Francken-Solidarite

Ce texte a initialement été publié en réaction à la décision de Théo Francken(1)http://www.lalibre.be/actu/belgique/le-guichet-asile-de-l-office-des-etrangers-ferme-apres-l-agression-d-un-agent-de-securite-5bfcff95cd70e3d2f6eef8e0?fbclid=IwAR1kHy3VWU9X031TGHK_XCczDip5xbKj-4KQew4s7XqSUfuCvwrBgGwyma0 de limiter le nombre d’enregistrements de demandes à 60 par jours, provoquant ainsi un engorgement de l’Office des Étrangers ayant mené à son tour à une bousculade ce mardi 27 novembre. Cet incident parfaitement prévisible a ainsi entraîné une réponse policière de la part des autorités. Les propos tenus sont la responsabilité de l’auteure du texte.

La stratégie de Francken est claire : comme en septembre 2015, il s’agit de diminuer ou limiter fortement les capacités de traitement des demandes d’asile et d’accueil, de façon à engorger le système, susciter encore plus de tension et créer l’illusion d’une « vague de réfugié.e.s » ingérable et requérant des mesures extra-ordinaires.

Ce qui semble passer inaperçu, c’est que dans le même temps Francken a décidé de s’en prendre directement et – il l’espère sans doute – définitivement à la solidarité. Le fait que ces incidents aient lieu de façon concomitante avec la fermeture progressive du centre d’accueil dit « Petit-château », situé dans le centre-ville de Bruxelles, fournit, je crois, des indications supplémentaires sur la stratégie poursuivie par le Sekkkrétaire d’État.

Dans un projet nourri de longue date par Francken, Petit-château doit disparaître, tout comme le centre d’enregistrement des demandes d’asile au sein de l’Office des Étrangers, situé lui aussi dans le centre de Bruxelles, dans un bâtiment jouxtant le parc Maximilien.

Dans un premier temps, il est en effet prévu que le site de Petit-château continue d’enregistrer et d’héberger les nouve-lles/aux arrivant.e.s(2)https://www.rtbf.be/info/regions/detail_le-petit-chateau-en-transformation-il-va-devenir-un-centre-d-arrivee?id=10023973&fbclid=IwAR3OxPcTeGXsJCdGP9qpYbWv4_5JbP6NM5YxqWXt8hB6DB04v0kJpQ337jI. Mais à terme, Francken souhaite que les nouvelles demandes d’asile soient traitées dans un centre « d’enregistrement et de screening »(3)https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_accueil-des-demandeurs-d-asile-le-petit-chateau-va-fermer?id=9648915 situé sur la base de Neder-Over-Hembeek, au sein de l’hôpital militaire. Les demandeu-r/se-s dûment « screené.e.s » (il y a quand même une chance sur, à la grosse louche, 100 000 pour qu’on ait à faire à des terroristes) et enregistré.é.s résideront ensuite sur place avant d’être dispatché.e.s dans l’un des centres d’accueil de Wallonie ou de Flandres (profondes) encore en fonction.

On assiste bien ici à un « glissement » de logique, de l’accueil vers une criminalisation et une marginalisation sans cesse accrues.

Pour mémoire, Petit-château c’est (c’était) le plus grand centre d’accueil de Belgique (environ 800 places en temps normal). Il était, certes, généralement surpeuplé (environ 1500 personnes en septembre 2015), vétuste voire insalubre ; un séjour prolongé peut (pouvait) contribuer au développement de troubles psychiques chez ses résident.e.s. Comme on dit en bon anglais maximilien « wallah my friend, petit château, big problem ». C’est sans doute pour cela que l’annonce de sa fermeture n’a provoqué aucune levée de bouclier parmi les associations et les militant.e.s pour les droits des personnes migrantes.

Le centre présentait toutefois un avantage majeur pour ses résident.e.s : sa localisation. C’est justement parce qu’il est situé en plein cœur de la capitale que Francken l’a érigé en « symbole de la mauvaise gestion socialiste » et s’est promis de le liquider.

Pour mémoire encore, l’incroyable mouvement de soutien du parc Maximilien de septembre 2015 n’aurait pas été possible (ou en tout cas, n’aurait certainement pas pris la même ampleur) : 1) si l’enregistrement des demandes d’asile n’avait pas eu lieu dans le centre de Bruxelles ; 2) si il n’avait pas pu bénéficier de la mobilisation des demandeu-se/r-s d’asile déjà enregistré.e.s et résidant pour la plupart au sein de Petit-château, situé à quelques encablures de là.

Au-delà de sa portée politique, ce mouvement – qui a donné naissance à la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugié.e.s toujours active dans le parc – a également permis à ces dizaines, voire ces centaines de résident.e.s du parc et de Petit-château de tisser des liens sociaux pérennes, en se faisant des ami.e.s, des compagnon.ne.s de luttes voire des partenaires de vie. Elle leur a permis de s’insérer durablement dans des projets sociaux, culturels, politiques, économiques, de redonner un sens à leur vie et d’exploiter leurs multiples talents.

Suite aux attentats du 22 mars 2016, on se souvient que les réfugié.e.s résidant à Petit-château avaient largement investi l’esplanade de la Bourse pour partager le deuil des Bruxellois.e.s de plus longue date. Une résidente irakienne de Petit-château avait par ailleurs été grièvement blessée dans les attentats. Parmi les réfugié.e.s réuni.e.s à la Bourse, on notait la présence du musicien baghdadi Hussein Rassim venu chanter et se recueillir avec un oud offert par ses ami.e.s du parc Maximilien. Grâce à ce oud qui lui a permis de mettre en valeur son talent, Hussein est en quelque sorte devenu le symbole d’une insertion réussie dans sa société d’accueil. Son ascension extra-ordinaire n’aurait sans doute pas été possible s’il avait résidé à Woutsiplou au fin fond de la Wallifornie (ou sur la base militaire de Neder-Over-Hembeek).

Et c’est sans doute là l’une des logiques sous-jacentes de la stratégie de Francken. Si on ne peut empêcher les nouve-au/lle-s arrivant.e.s de se déplacer à travers les frontières géographiques, il faut au moins leur apprendre quelle est leur place au sein des sociétés qui les « accueillent » : tapis dans l’ombre, à la marge et servant de marche-pied pour l’ascension sociale de la population dite « de souche. »

Souvenons-nous, enfin, qu’avant l’événement « parc Maximilien », ce petit morceau de territoire bruxellois qui fait face à l’Office des Étrangers était déjà emblématique du combat des sans-papiers pour la dignité, puisque c’est à « l’Office » que ceux et celles-ci allaient régulièrement manifester leur colère, portant le problème de ces « non-citoyen.ne.s » de l’ombre sur la place publique. Plus récemment, il était aussi le théâtre de « chaînes humaines mais fermes » en soutien aux dit.e.s « migrant.e.s de transit », inédites dans le paysage des mobilisations bruxelloises.

La semaine passée, un ami gazaoui résidant à Petit-château nous faisait part du stress engendré par le déménagement progressif des résident.e.s du centre vers des destinations inconnues, stress qui venait s’ajouter à la tension générée par une procédure d’asile déjà compliquée. En arpentant les rues de Bruxelles, notre ami était entré en contact avec le mouvement de soutien à la Palestine. Il avait ainsi pu réunir autour de lui des personnes qui l’ont aidé à accéder au programme pour demandeu-r/se-s d’asile de l’ULB. Il avait été accepté en master en science politique. Son transfert dans un centre de la banlieue de Charleroi suite à la fermeture de Petit-château ne lui permettra pas de continuer à suivre son programme.

En criminalisant les demandeu-r/se-s d’asile comme il le fait aujourd’hui, Francken cherche ainsi à légitimer leur éloignement forcé du centre urbain. En cherchant à délocaliser le centre d’enregistrement des demandes d’asile et le principal lieu d’hébergement des demandeu-r/se-s du centre-ville, le sekkkrétaire veut éloigner celles et ceux-ci des yeux et du coeur. #Opkuisen les mobilisations « bisounours mais fermes » en plein Bruxelles, #Opkuisen les petits groupes d’Afghan.e.s interloqué.e.s mais ravi.e.s au marché de Noël, #Opkuisen les initiatives « d’intégration » créatrices de liens par en bas…

Francken peut bien donner toutes les leçons de respect et d’intégration qu’il veut, il est de plus en plus clair que la principale menace à la cohésion de notre société, c’est lui.

Aussi impromptu que cela puisse paraître, je crois qu’il est opportun pour les mouvements de soutien aux migrant.e.s et réfugié.e.s de saisir de la question de la fermeture de Petit-château. Il est peut-être encore temps de tenter de récupérer ce lieu, de le sauver pour en faire un grand château – autogéré – de l’accueil, du partage et de la solidarité.