Le gouvernement Vivaldi nous donne un bon concert. À droite les percutions : il faut prolonger tous les réacteurs, ou les trois plus vieux en plus de Doel 4 et Tihange 3. À gauche les cordes : il faut prolonger Doel 4 et Tihange 3 en douceur. À la fin : Engie dirige l’accord final.

Il ne s’agit pas d’un débat de fond, pourtant bien nécessaire. Il s’agit de gesticulations, pour faire apparaître la position extrémiste de Mme Van der Straeten (Ecolo/Groen) comme une posture du juste milieu, entre les antinucléaires et les pronucléaires les plus fervents. Pourquoi pouvons-nous dire cela ?

Pas possible

Prolonger les trois réacteurs les plus vieux n’est pas possible pour deux types de raisons. Le premier, qui est commun aux trois réacteurs quinquagénaires, c’est que leur licence court pour dix ans. Tous les entretiens ont été calculés pour cette durée. La dépasser accroît sérieusement le risque d’incident. Pour rappel : un accident nucléaire en Belgique serait 100 fois plus grave qu’à Tchernobyl ou Fukushima à cause de la densité de population autour des centrales. Nous énumérons plus bas toutes les raisons techniques qui rendent une exploitation à long terme trop dangereuse.

Une deuxième raison est propre à Doel 1 et 2. Ces réacteurs ne résisteraient pas à un tremblement de terre moyen. Anvers a peu d’activité sismique, c’est vrai. Comme les super-tsunamis sont très rares à Fukushima. Il faudra aussi du combustible pour prolonger. Le format des barres pour Doel est périmé, il faudrait redémarrer une ligne de production spécialement pour ce besoin, ce qui serait cher.

La deuxième raison propre à Tihange 1 est également sismique pour commencer. La centrale de Tihange se trouve sur la faille du Midi, avec une activité sismique réelle et récurrente. Tihange 1 résisterait à un tremblement moyen selon les calculs, mais au prix de « reprendre » la marge de sécurité habituelle. Mais Tihange 1, dont le bâtiment est beaucoup plus fragile que ses sœurs, se trouve aussi dans l’axe de la piste de décollage de Liege Airport. Des énormes avions cargo y décollent jour et nuit, parfois chargés de fret dangereux, explosif et même radioactif et de centaines de milliers de litres de kérosène. Une directive européenne interdisant ces survols a finalement été traduite en loi belge : il faudra interdire les 747 F à Bierset ou fermer la centrale de Tihange. Le bon sens voudrait qu’on arrête les deux.

Prolonger les deux moins vieux ?

Une fois écartées les fioritures orchestrales, le thème de fond apparaît clairement. Le monde politique est unanime pour prolonger Tihange 3 et Doel 4. Pourtant, cette décision fait preuve d’une négligence criminelle. Prolonger un réacteur est trop dangereux. Est-ce que vous monteriez dans une Deux-Chevaux de cinquante ans pour partir à Marseille ?

Les réacteurs belges ont été conçu dans les années 1960 pour durer 30 ans. Par un tour de passe-passe, M. Deleuze (Ecolo) est parvenu à les prolonger par le biais de la loi sur la sortie nucléaire de 10 années supplémentaires. Intuitivement, on conclut que l’expérience est positive : il n’y a pas eu de catastrophe. Presque, à Doel 1, mais la situation a été maîtrisée. Comme la Deux-Chevaux : puisqu’elle a déjà 50 ans, elle tiendrait bien encore jusqu’à Marseille ?

Les failles techniques du projet de prolongation sont nombreuses : certaines pièces ne peuvent être remplacées et sont usées. D’autres ne sont plus fabriquées, ou le sont par des entreprises qui n’ont plus le savoir-faire nécessaire pour respecter les normes strictes du nucléaire. Le personnel aussi vieillit et devient trop routinier dans son travail, comme dans toutes les entreprises. La culture de sûreté à Tihange a été critiquée à plusieurs reprises par l’AFCN (l’Agence fédérale de Contrôle du Nucléaire).

Le monde politique est unanime pour prolonger Tihange 3 et Doel 4. Pourtant, cette décision fait preuve d’une négligence criminelle.

L’environnement aussi s’est transformé en 40 ans. Doel était entouré de prés quand nous y avons manifesté en 1975. Aujourd’hui, la centrale est entourée par le plus grand complexe pétrochimique d’Europe. Un accident dans cette zone SEVESO mettrait à mal la sûreté de la centrale, et vice-versa. L’idée d’un nuage toxique ET radioactif dans la métropole anversoise donne la chair de poule. À Tihange, la privatisation de l’aéroport de Bierset et sa transformation en un aéroport de fret 24/7 (1)Lire notre article « Des emplois, oui… mais pas à n’importe quel prix ! », 12 janvier 2023. change complètement la donne. La Meuse, indispensable pour refroidir l’installation, est menacée dans son débit par des périodes de sècheresse et de canicule mais aussi de crues liées au bouleversement climatique. Les deux situations sont insupportables pour un réacteur nucléaire.

Il faut enfin mentionner le problème des déchets nucléaires. Il faut évidemment concevoir une solution pour les déchets avant d’entamer une activité industrielle qui en produit. Cet aspect a été écarté dans la construction des centrales. Aujourd’hui le tas d’excréments ne peut plus être contourné comme un caca de chien sur un boulevard. Le gouvernement a opté pour l’enfouissement profond, mais reste à résoudre l’endroit des galeries. Avec la densité de la population, ce ne sera possible nulle part.

Euthanasier le monopole

En confiant la production de courant électrique à une seule firme et en permettant à cette firme de tout miser sur le nucléaire, le Royaume s’est glissé dans une contrainte insupportable. Négocier avec ce géant de l’énergie ouvre les portes à toutes sortes d’abus. La loi de sortie du nucléaires, les règles basiques de sûreté nucléaire, le régime fiscal, le gardiennage, la gestion des déchets : tout est sur la table, et ce gouvernement va tout avaliser. Il n’y a pas d’alternative, comme disait Mme Thatcher.

C’est vrai, si on réfléchit à l’intérieur de la boîte. En prenant un peu de recul, il est tout à fait concevable que l’État belge prenne l’initiative d’investir massivement dans la construction d’une alternative, combinant des mesures au niveau de la consommation et de la production. Dans toutes ces discussions sur les capacités nécessaires, la question de l’utilisation du courant n’est jamais posée. En Belgique deux tiers du courant est consommé par l’industrie. Il suffit d’instaurer des périodes d’arrêt de certains procédés pour passer les quelques journées creuses en production renouvelable.

La production de courant par des moyens renouvelables a fortement augmenté en quantité et en fiabilité. L’éolien marin connaît moins d’intermittence que le terrien. Des sources de courant sont inexploitées surtout en mer : l’énergie de la houle, des marées ou des courants maritimes sont quasi inexploitées, bien que des applications industrielles fonctionnent.

Mais ce ne sont pas des investissements intéressants pour les trusts énergétiques. Ils y arriveront quand cela pourra se transformer en bénéfices plantureux, souvent en encaissant des subventions célestes. Entretemps ils se remplissent allègrement les poches en utilisant la rente que les autorités leur octroient sur le dos des ménages. Le prix du KWh électrique est fixé d’une façon arbitraire, qui n’a aucun rapport avec le marché. Pour fixer le prix du courant et du gaz, des ressources auxquelles chaque ménage doit avoir accès, il faut briser le monopole et mettre le secteur de l’énergie sous contrôle social pour libérer les ménages du fardeau des factures impayables et pour libérer le pays de la menace nucléaire et de l’emprise des actionnaires.

Leo Tubbax
07/02/23

Article publié par Nucléaire Stop Kernenergie.
Photo : Doel. Crédit photo: Yveke, Flickr.

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