Le 7 mars dernier, le portail officiel de La Wallonie annonçait que « Le gouvernement wallon a accordé un permis d’exploitation du gaz situé dans un ancien réservoir de Fluxys à Anderlues. Situé sur le site de l’ancien charbonnage, ce site a été exploité par Fluxys de 1976 à 2012 comme réservoir de stockage souterrain de gaz naturel. Il a été vidé du gaz naturel mais abrite toujours du gaz de houille provenant du charbon encore en place. On estime que le captage représente une réserve de gaz de 13 000 000 m³ par an sur 20 ans et la consommation annuelle moyenne d’électricité pour 23 000 ménages wallons. »
Deux mois plus tard, le site du ministre Carlo Di Antonio (Cdh, environnement) apportait quelques précisions: « Le Gouvernement wallon a adopté un arrêté octroyant à la S.A. European Gas Benelux le permis d’exploitation de gaz combustibles sur l’ancien site-réservoir de stockage souterrain de gaz naturel d’Anderlues. Cette décision permettra l’exploitation de gaz de mine de l’ancien réservoir de stockage de gaz naturel d’Anderlues pour produire de l’électricité verte ».
Le bourgmestre d’Anderlues, Philippe Tison (PS), n’est pas plus disert que le gouvernement et le ministre : reprenant les propos de celui-ci sur « l’électricité verte », il se contente de déplorer que le projet ait été bloqué si longtemps, car il fournira des ressources financières à la commune.
En réalité, la communication laconique des autorités tend à escamoter les nombreuses questions soulevées par l’exploitation du gaz de houille, son enjeu et ses impacts possibles. Notre camarade Freddy Dewille, conseiller communal d’opposition à Anderlues (groupe « Gauche »), a soulevé ces questions à plusieurs reprises, au conseil et dans les médias locaux(1)voir sur : https://www.antennecentre.tv/www/le-journal-anderlues-l-avis-de-l-opposition-sur-le-projet-d-extraction-du-gaz-de-mine-_vvi_91630.html. Le premier mai dernier, il organisait une séance de débat et d’information avec Xavier Desgain (Ecolo) et l‘auteur de ces lignes. Présenté sous forme de questions/réponses, l’article ci-dessous est basé sur ces échanges.
Qu’est-ce que le gaz de houille ?
Le gaz de houille, c’est le grisou. Du gaz naturel, composé essentiellement de méthane, présent naturellement dans les couches de charbon. Dans la suite de cet article, on emploiera l’expression « gaz de couche », car « gaz de houille » désigne plutôt le gaz produit artificiellement à partir du charbon. Piégé (par adsorption) dans les lits de houille, le gaz de couche est exprimé naturellement dans tous les vides, notamment dans les galeries de mine. Les puits n’étant pas étanches, le gaz diffuse dans l’atmosphère en quantités plus ou moins importantes selon les sites. On peut l’exploiter, soit en l’injectant dans le réseau gazier, soit en le brûlant pour actionner une turbine et produire de l’électricité. C’est cette deuxième option qui est retenue pour Anderlues.
S’agit-il d’une source d’énergie verte, comme l’ont dit le ministre, les autorités communales d’Anderlues et certains médias ?
Evidemment non. Le gaz de couche est un combustible fossile, au même titre que le charbon dont il est issu, le gaz naturel et le pétrole. Or, la combustion de ces combustibles fossiles dégage du CO2, qui est la cause principale du changement climatique. Les spécialistes sont unanimes: pour éviter que celui-ci prenne des proportions catastrophiques, il faut que quatre cinquièmes au moins des réserves fossiles ne soient jamais exploitées. Cela vaut aussi pour le gaz de couche. Par conséquent, dire que ce gaz est une source d’énergie verte est soit une erreur, soit une duperie. Le communiqué du gouvernement wallon dit que « le gaz de houille est un potentiel exploitable en terme de production d’énergie issue de ressources naturellement présentes dans le sous-sol ». Il ne faut pas jouer avec les mots: ce n’est pas parce que la ressource « est présente naturellement dans le sous-sol» qu’on peut lui donner un label « bio », comme ce communiqué semble le suggérer…
Il serait donc préférable de ne pas exploiter le gaz de couche ?
Ce n’est pas si simple. Car l’effet de serre du méthane (sa contribution au changement climatique) est vingt-cinq fois supérieure à celui du CO2 sur cent ans (plus de quatre-vingt fois supérieur sur vingt ans). Si le gaz de couche est émis spontanément par d’anciens puits de mine désaffectés et qui ne sont pas étanches, il vaut donc mieux le brûler – ce qui produit du CO2 – plutôt que le laisser fuiter dans l’atmosphère. Le communiqué du gouvernement wallon cite le chiffre de treize millions de mètres cubes par an pendant vingt ans. C’est un volume considérable. Toute la question est de savoir si ces treize millions de mètres cubes correspondent seulement aux fuites de méthane spontanées, ou s’ils incluent en plus une estimation du volume de gaz qui pourrait être extrait du site en forçant le charbon à libérer le gaz qu’il contient.
Il y a donc, théoriquement, deux scénarios possibles. Premier scénario: le projet implique d’utiliser des techniques pour forcer le charbon à libérer du gaz. Dans ce cas, on est dans un scénario d’exploitation de ressources fossiles, un scénario « extractiviste » qui ne dit pas son nom. Un tel scénario est inacceptable du point de vue écologique. Deuxième scénario: le projet vise seulement à capter les émissions spontanées de la mine désaffectée, pour les brûler et éviter que du méthane soit relâché dans l’atmosphère. Dans ce cas, le projet est plutôt justifié du point de vue écologique.
Quel est le scénario choisi pour Anderlues ?
Dans sa communication du 24 juin 2011 au Journal officiel de l’Union européenne, le gouvernement wallon écrivait que la demande de permis introduite par la société European Gas Benelux « concerne le gaz de mines contenu dans les vides résiduels des anciennes exploitations minières ET la recherche de gaz de couches dans les parties du gisement non exploitées ». Selon cette formulation, le projet ne consiste pas seulement à capter les fuites de méthane spontanées: il présente en plus un volet extractiviste.
L’Arrêté du gouvernement wallon octroyant à European Gas Benelux le droit d’exploiter le gaz d’Anderlues paraît à première vue plus restrictif: dans les considérations, en effet, on lit que « ce permis est sollicité pour exploiter le méthane contenu dans les vides résiduels d’une ancienne exploitation de charbon afin d’extraire ce gaz dans les parties du gisement exploitées ». Cette phrase semble exclure l’emploi de technologies visant à extraire le gaz du charbon. Mais l’annexe technique, en son article 10, dit l’inverse. On y lit en effet que le Titulaire du permis (European Gas Benelux) soumettra à la Direction des Risques industriels, géologiques et miniers un programme d’exploitation précisant « le nombre de forages de reconnaissance, de puits d’essai et de puits d’exploitation qu’il compte réaliser » ainsi que « les mesures de développement de puits et de stimulation du gisement qu’il compte mettre en oeuvre ».
Il est clair qu’on joue sur les mots pour tenter d’escamoter la question clé. Dans la littérature spécialisée, le terme « stimulation » désigne clairement des technologies visant à désorber le gaz du charbon. L’Article 18 de l’annexe technique peut d’ailleurs être interprété comme un encouragement à « stimuler » le gisement au maximum. En effet, on y lit qu’EGB « est tenu d’appliquer les méthodes confirmées les plus aptes à maximaliser le rendement final du gisement en fonction des conditions économiques »…
Il faudrait donc imposer la clarté sur cette question, afin d’exclure toute extraction de gaz ?
Oui, mais ça ne suffirait pas à faire de ce projet un projet acceptable écologiquement. En effet, même si on brûle seulement le gaz émis spontanément par la mine désaffectée, il s’agit quand même d’une combustion de combustible fossile, qui produira des gaz à effet de serre sur une période de vingt ans. Il faut rappeler ici que l’accord de Paris sur le sauvetage du climat (COP21) stipule que les gouvernements s’engagent à « rester bien au-dessous de 2°C » de réchauffement d’ici la fin du siècle, par rapport à la période pré-industrielle, et « à continuer les efforts pour ne pas dépasser 1,5°C ». En pratique, cela signifie que les pays développés doivent sortir complètement des combustibles fossiles d’ici 2050 environ. La Wallonie a l’obligation de faire en sorte que l’exploitation du gaz de la mine désaffectée d’Anderlues soit compatible avec cet engagement. Il serait irresponsable de s’engager à l’aveuglette dans un projet de combustion du gaz de couche sans avoir donné au préalable la garantie que cette condition sera respectée.
Quelles sont les techniques qui pourraient être déployées dans l’hypothèse d’une extraction active du gaz de couche ?
Il faut d’abord préciser que toute exploitation, même l’exploitation passive des émissions spontanées, nécessite que les galeries de mines soient mises hors-eau. Je précise que ce point ne concerne pas Anderlues, car l’ennoiement de la mine est très lent. Mais il mérite d’être soulevé car le gouvernement wallon pourrait envisager d’autoriser l’exploitation du gaz de couche sur d’autres sites, où les mines sont ennoyées. Il faut savoir que se poseraient alors de sérieux problèmes de pollution, car les eaux d’exhaure contiennent généralement des métaux lourds tels que le Plomb, le Mercure, le Cadmium, qui ne sont pas bons pour la santé. Cela fait partie des impacts de l’exploitation du gaz de couche, sur lesquels on reviendra plus loin.
Quant à l’extraction active, elle peut se faire, soit en recourant aux techniques de la fracturation hydraulique (« fracking ») utilisées dans l’exploitation du gaz de schiste (on injecte un mélange d’eau, de sable et de produits chimiques), soit par des techniques dites de « stimulation ». (On constate ici, notons-le en passant, que l’emploi du terme « stimulation » dans l’annexe technique de l’Arrêté du gouvernement wallon n’est pas dû hasard!). Ces techniques sont de deux types: soit on fait monter la pression dans le gisement (par exemple en y injectant du CO2) pour« pousser » le gaz de couche hors du charbon, soit on pompe pour créer un vide relatif dans le gisement, afin de « tirer » le gaz hors du charbon.
Les conséquences très négatives de la fracturation hydraulique (pollution des nappes aquifères, fuites de gaz, etc.) sont bien connues, grâce notamment au reportage « Gas land » sur les répercussions désastreuses de cette technique aux Etats-Unis. On dit que les techniques de « stimulation » n’auraient pas d’effets aussi calamiteux que la fracturation hydraulique, mais ces discours rassurants ne se basent pas sur une expérience significative: en pratique, là où on exploite le gaz de couche, c’est surtout la fracturation hydraulique qui est mise en oeuvre…
Quels sont les risques de l’exploitation? À Anderlues, chacun garde en mémoire les terribles catastrophes provoquées dans les mines par les fuites de grisou, en particulier celle de 1892 (169 morts)…
Qui dit « gaz », dit évidemment « danger d’explosion ». Il semble que ce risque puisse être bien maîtrisé au niveau des installations en tête de puits. Par contre, on ne peut pas exclure la migration de certaines quantités de gaz vers la surface, à travers les failles géologiques. Cela pourrait provoquer une accumulation potentiellement dangereuse de méthane dans des milieux confinés (des caves, par exemple, ou des égouts) où le gaz pourrait atteindre la concentration critique entraînant une explosion. De telles migrations de gaz sont en partie naturelles (ce phénomène a déjà provoqué au moins un accident mortel à Anderlues), mais elles sont susceptibles d’être favorisées par l’exploitation. Le risque augmente davantage encore si on recourt à des techniques de fracturation hydraulique ou de « stimulation », qui peuvent fissurer les couches géologiques.
Quels sont les autres impacts possibles?
Comme déjà mentionné, la question des eaux est importante. D’une manière générale, l’exploitation du gaz de couche pose un risque sérieux de pollution des nappes superficielles, des nappes profondes et des eaux de surface par des métaux lourds, des composés organiques, des sels (sulfates, bicarbonates, sels de sodium…), voire même des composés radioactifs (parfois présents dans le charbon)… Si on recourt à la fracturation hydraulique, il faut ajouter le risque de pollution par les produits chimiques injectés.
A Anderlues, il n’y a pas de risque pour les eaux de surface, puisqu’aucune mise hors-eau par pompage n’est nécessaire. Par ailleurs, comme le gaz serait exploité à plus de mille mètres de profondeur, le risque pour les nappes superficielles est réduit, mais il n’est pas inexistant.
Outre les impacts sur les eaux, l’exploitation peut avoir aussi des conséquences sur la qualité de l’air (il n’est pas rare que le gaz de couche contienne aussi du sulfure d’hydrogène -« gaz oeuf pourri »).
Des habitant.e.s craignent un impact sur la stabilité des terrains et des habitations…
Ils ont raison. Chacun sait que l’exploitation minière a provoqué de nombreux dégâts à l’environnement et aux bâtiments. Retirer de grandes quantités de matière des profondeurs de la Terre n’est pas sans conséquences sur la stabilité des couches géologiques. Le sous-sol d’Anderlues est déjà un gruyère. Retirer annuellement plusieurs millions de mètres cubes de gaz pourrait provoquer une subsidence des terrains, et celle-ci pourrait se manifester plusieurs années après la fin de l’exploitation. Il y a en plus des risques spécifiques en cas d’extraction active: aux Etats-Unis, la fracturation hydraulique a provoqué des micro-séismes entraînant des dégâts matériels non négligeables… Dans l’Ohio, par exemple, on estime que plus de cent mini-tremblements de terre ont été provoqués par le fracking. Qui garantit que la « stimulation » du gisement ne peut pas avoir des effets analogues dans le gruyère d’Anderlues?
Quelles seraient donc les balises à poser avant de décider d’exploiter le gaz de couche?
Premièrement, il faudrait bannir toute exploitation active, toute extraction de gaz dépassant les émissions spontanées, et donc tout forage. Fluxys sait exactement quelle quantité de gaz naturel a été stockée dans les mines d’Anderlues, et quelle quantité en est ressortie. La différence entre les deux chiffres donne une estimation des émissions spontanées, et par conséquent de la limite à ne pas franchir.
Deuxièmement, il faudrait bannir en particulier la fracturation hydraulique. Répondant en décembre 2014 à la question d’une parlementaire adepte du projet, le ministre Di Antonio déclarait que « théoriquement, le gisement houiller devrait permettre de se passer de fracturation hydraulique ». Il n’excluait donc pas le recours à cette technologie dangereuse, à Anderlues ou ailleurs en Wallonie. La France l’a bannie, l’Allemagne l’a bannie en partie – sous la pression des mobilisations, mais la Wallonie ne l’a pas fait et la Commission européenne est très clairement tentée de la favoriser, pour satisfaire les lobbies patronaux du secteur énergétique. Il faut donc être fort vigilants sur ce point, exiger des garanties écrites.
Troisièmement, dans le cas d’une exploitation limitée strictement aux émissions spontanées de la mine désaffectée, il faut garantir que les émissions de CO2 résultant de la combustion du gaz soient compatibles avec l’objectif climatique adopté à Paris. Concrètement, cela nécessite une planification dans laquelle 1°) l’exploitation ne va pas au-delà d’une vingtaine d’années; 2°) les émissions de CO2 dues à cette exploitation sont compensées par des réductions des émissions dans d’autres secteurs. On pourrait imaginer, par exemple, que les rentrées du projet servent à financer un programme local de transport public gratuit et d’isolation-rénovation des bâtiments. Le thème de la participation et du budget participatif est souvent débattu au conseil communal d’Anderlues: ce programme public pourrait donc constituer un magnifique terrain d’application des principes de contrôle et de participation citoyenne.
Quatrièmement, il faudrait prendre des mesures strictes de suivi des impacts dans différents domaines (eaux, sols, air, stabilité du sous-sol, etc) à tous les stades du projet. Il faudrait le faire non seulement durant les phases de préparation et d’exploitation, mais aussi durant la phase post-exploitation, et ce pendant une période prolongée. Ce suivi ne peut pas être laissé à la responsabilité de l’exploitant privé. Le principe de précaution devrait s’imposer, mais le ministre n’en dit pas un mot. Il ne voit qu’une chose: la possibilité d’allécher des investisseurs en leur faisant miroiter le profit découlant de l’exploitation du gaz de couche wallon.
Cinquièmement, il faudrait clarifier à l’avance la question des responsabilités, afin que des dégâts éventuels dus à l’exploitation soient couverts complètement. Pour rappel, le Fonds des dégâts miniers n’existe plus…
Ces balises sont-elle compatibles avec un projet d’exploitation par le privé? Qu’en est-il des aspects économiques de cette exploitation ?
C’est une des questions majeures. La réponse, selon moi, est négative. L’exploitation par le secteur public n’est évidemment pas une condition suffisante pour que le projet soit social et écologique, mais c’est une condition nécessaire. Du point de vue du secteur privé, il faut bien voir qu’un facteur important est la pression concurrentielle exercée par le gaz de schiste étasunien, qui a permis au capitalisme US de baisser considérablement le prix de l’énergie. C’est la raison pour laquelle la Commission européenne veut ouvrir la voie à la fracturation hydraulique. Celle-ci était déjà mise en oeuvre en Grande-Bretagne (avant le brexit) et plusieurs Etats membres l’autorisent.
Les déclarations du ministre Di Antonio s’inscrivent dans ce cadre. Pour lui, c’est simple: Anderlues n’est qu’un banc d’essai, le gaz de couche pourrait être exploité sur d’autres sites (en Hainaut et à Liège, dès que les concessions minières seront arrivées à expiration), et les pouvoirs publics doivent se mettre au service de la quête d’un profit facile par le secteur privé. Cela ressort très clairement de sa réponse au Parlement wallon, en décembre 2014. Cette réponse mérite d’être citée un peu longuement, car elle met en pleine lumière la logique purement néolibérale des autorités wallonnes (déjà sous le gouvernement précédent). Après avoir souligné que « on peut a priori tabler sur une ressource probable de 10 à 20 millions m³/km² de gaz en zone concédée », le ministre déclare ceci:
« Techniquement, la reprise de l’exploitation sur mines fermées est simple et peu coûteuse. Les opérations se résument à remettre en état les équipements en tête de puits (vannes, tuyauteries, prises de mesures), à y adjoindre pompe, équipement de déshydratation et de raccordement au réseau de gaz. (…) Les études préalables sont très importantes pour estimer au mieux les ressources et localiser les zones cibles prometteuses. Ces études sont fondées sur les études géologiques, les cartes et archives géologiques et minières et sur les explorations profondes antérieures (sondages, profils géophysiques). Il est du devoir (sic!) d’une entité gouvernementale de les rendre accessibles et exploitables aux candidats explorateurs. Il s’agit d’un coup de pouce relativement peu onéreux au secteur. »
En clair: le public au service du privé, point à la ligne. Les risques sociaux et environnementaux ne sont même pas évoqués.
Dans ces conditions, European Gas Benelux a la perspective de faire un profit très juteux ?
C’est le moins qu’on puisse dire. Si les estimations sont justes, European Gas Benelux vendra à 23.000 ménages, pendant vingt ans, une électricité produite en brûlant un gaz qui demande encore moins d’investissements que le gaz de schiste exploité aux Etats-Unis. L’entreprise, comme le ministre, voit d’ailleurs au-delà d’Anderlues. En effet, elle définit comme suit son secteur d’activités: « Toutes opérations se rattachant à la prospection, à l’extraction ainsi qu’à la valorisation de gaz présent dans le charbon du Benelux ». Aucune limite n’est posée, aucune technologie n’est exclue…
Cet exploitant – le « candidat explorateur », comme dit le ministre! – est une filiale de Trancor Astra group, une société contrôlée par Albert Frère. Trancor Astra group possède aussi Gazonor, qui exploite le gaz de couche du Nord-Pas-de-Calais. En 2013, Gazonor a « produit » 47 millions de m3 de gaz à une teneur de 52 % en méthane. La France reconnaît le gaz de couche comme « énergie de récupération », mais on joue sur les mots: l’entreprise ne recourt pas au « fracking » – interdit dans l’Hexagone, mais il y a forage de puits et « stimulation », la « récupération » est donc active – c’est de l’extraction, pas de la « récupération ». A ce compte-là, le charbon aussi pourrait être considéré comme une « énergie de récupération »…
En guise de conclusion ?
Il faut une étude d’incidences. Il est inacceptable que le gouvernement wallon ne l’ai pas imposée pour un tel projet. A travers cette étude, on constatera que les cinq balises nécessaires à une exploitation responsable du gaz de couche ne peuvent être respectées que dans le cadre d’une mise en valeur publique de la ressource, au service de la collectivité et de son environnement. A Saint-Ghislain, la ressource géothermique est mise en valeur par le secteur public. Les raisons qui plaident pour une mise en valeur publique sont encore plus impérieuses dans le cas du gaz de couche.
Les citoyen.ne.s d’Anderlues gagneraient à s’organiser démocratiquement pour contrôler ce projet dans tous ses – aspects, sociaux, écologiques, économiques. Ce dossier présente un fort aspect de justice sociale et historique. L’émission de gaz de couche dans la mine désaffectée est le produit de l’exploitation du charbon et des mineurs. Il a pour ainsi dire le goût de la sueur et du sang de ceux dont les corps, parfois, n’ont même pas pu être remontés de la fosse. Il est choquant que les responsables politiques envisagent benoîtement d’offrir cette ressource au capital qui a causé tant de souffrances humaines et de destructions écologiques. Il est choquant qu’ils considèrent « de leur devoir » d’agir de la sorte. Il est choquant qu’ils osent parler d’énergie verte. Il est choquant, enfin, qu’ils procèdent sans réellement consulter les gens, comme s’ils ne se souciaient pas sérieusement des risques et des impacts possibles.
Notes