Ce 3 janvier 2020, Donald Trump a autorisé le lancement d’une frappe de drone états-unienne contre le général iranien Qassem Soleimani et des responsables de milices chiites acquises à Téhéran et intégrées à l’appareil d’État irakien, qui circulaient dans un convoi à Bagdad, en Irak, tuant les cibles sur le coup (sans que l’on sache pour le moment si des victimes civiles sont à déplorer).

Il s’agit là du dernier acte en date de la confrontation entre l’Iran et les États-Unis voulue par Donald Trump depuis sa campagne présidentielle. Le premier acte avait été lancé en mai 2018 lorsque l’occupant de la Maison Blanche avait décidé unilatéralement du retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien (qui visait, depuis 2015, à contrôler le développement du programme nucléaire de Téhéran et à lever les sanctions économiques à son égard) et le rétablissement de lourdes sanctions économiques contre l’Iran, alors même qu’il existait un large consensus sur le succès de ce traité chez les autres puissances signataires représentant des intérêts variés (France, Allemagne, Grande-Bretagne, Russie, Chine, Union européenne) ainsi qu’à l’ONU.

L’Iran avait par la suite vraisemblablement riposté en augmentant son soutien aux groupes dits « houthistes » au Yémen, en guerre contre une coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite, l’un des meilleurs alliés des États-Unis dans la région, et par ailleurs régime théocratique « rival » du régime des mollahs iraniens, ainsi qu’en attaquant des navires pétroliers dans le détroit d’Ormuz et en abattant, à l’été 2019, un drone états-unien – ne provoquant, par définition, pas de victime.

Dans les derniers jours de l’année 2019, le Pentagone avait frappé une base d’une milice irakienne pro-Téhéran, faisant 25 morts et plusieurs dizaines de blessés ; cette même milice avait répondu en encourageant l’attaque de l’ambassade états-unienne à Bagdad par plusieurs milliers de manifestants. Le 3 janvier dernier, en tuant le général Soleimani, chef des forces spéciales des Gardiens de la révolution, le gouvernement états-unien a cessé de viser uniquement les supplétifs du régime iranien, pour s’attaquer à un membre éminent de ce régime. Cette attaque fait craindre le pire : qu’une guerre ouverte éclate entre l’Iran et les États-Unis, ou, plus probablement, qu’une guerre éclate entre les États-Unis et les relais de l’Iran dans la région, en premier lieu en Irak. Téhéran a d’ores et déjà annoncé que l’Iran ne se sentait plus lié par l’accord sur le nucléaire (qui avait continué d’être respecté malgré le retrait états-unien de mai 2018) et ses supplétifs en Irak ont déjà commencé à effectuer de nouveaux tirs de roquettes sur des infrastructures états-uniennes. Dans la nuit du 7 au 8 janvier, les forces armées iraniennes ont elles-mêmes lancé des missiles balistiques sur des bases états-uniennes en Irak – l’engrenage guerrier semble bien enclenché, il s’agit désormais de le stopper !

Il faut le dire tout net : nous ne verserons pas une seule larme pour Qassem Soleimani, véritable criminel de guerre au service d’un régime intégriste qui applique depuis quarante ans des politiques autoritaires muselant la société iranienne. Soleimani a participé directement à la répression des voix dissidentes en Iran. À la tête de la force Al-Qods, unité d’élite des forces armées iraniennes, il était depuis plus de vingt ans le principal architecte du déploiement militaire de l’Iran au Moyen-Orient.

Il figure ainsi parmi les principaux responsables de l’écrasement de la révolution syrienne, aux côtés de l’aviation russe et du régime de Bachar Al-Assad (qui se serait très certainement effondré sans le soutien de Téhéran et de Moscou). Les milices qu’il a formées et dirigées ont été d’une importance primordiale pour soutenir le régime de Damas dans sa reconquête brutale du territoire syrien, qui a causé la mort de centaines de milliers de personnes et provoqué le déplacement forcé de plus de 12 millions de Syrien·ne·s, dont près de la moitié à l’étranger.

En Irak également, plusieurs milices chiites ont été formées sous la direction de la force Al-Qods et intégrées à l’appareil d’État. Ces milices acquises à Téhéran, et dont certains commandants étaient également ciblés par la frappe de drone du 3 janvier, jouent un rôle de premier plan dans la répression du formidable soulèvement populaire qui secoue l’Irak depuis plusieurs mois, en opposition au confessionnalisme du système politique (qui permet au régime iranien d’avoir une influence décisive dans la politique irakienne) et au néolibéralisme qui charrie son lot de pauvreté, de chômage, de précarité, tandis qu’une infime minorité s’approprie les richesses du pays. Depuis le début du mouvement en octobre, au moins 500 personnes ont déjà été tuées par la répression.

Pour autant, il ne faut pas s’y tromper : l’assassinat de Qassem Soleimani n’était nullement destiné à venir en aide aux peuples de la région victimes de la contre-révolution menée par la puissance impérialiste régionale qu’est l’Iran, ni à porter un coup à l’intégrisme religieux au nom de l’exportation d’une démocratie made in the USA.

Barack Obama n’avait déjà rien fait pour soutenir les groupes révolutionnaires syriens pro-démocratiques et non-confessionnels (qui, au début du processus révolutionnaire, n’étaient pas encore marginalisés par les groupes réactionnaires) qui réclamaient des armes défensives pour faire face à l’aviation et aux chars de l’armée conventionnelle de Damas. Donald Trump n’a été d’aucune aide non plus au peuple syrien, et a même été jusqu’à interdire l’accès au territoire des États-Unis aux réfugié·e·s de Syrie, comme aux ressortissant·e·s de six autres pays de la région, à travers le tristement célèbre « Muslim Ban ».

Sans surprise, les critiques formulées par le candidat Trump contre les politiques meurtrières menées par Barack Obama, Joe Biden et Hillary Clinton, n’étaient que de la poudre aux yeux visant à le faire élire. Le président Trump a continué la guerre qui dure depuis près de vingt ans en Afghanistan ; accentué le soutien des États-Unis à la politique d’apartheid et de colonisation de la Palestine par l’État israélien, notamment en reconnaissant Jérusalem comme la capitale de l’État d’Israël ; donné son feu vert à l’agression de la Turquie d’Erdogan contre les Kurdes du Rojava, au Nord de la Syrie ; ou encore maintenu l’alliance stratégique unissant les États-Unis et le régime intégriste ultraréactionnaire d’Arabie saoudite, qui constitue un autre impérialisme régional participant aux contre-révolutions dans la région, en particulier au Bahreïn et au Yémen.

Il faut également rappeler le rôle joué par des décennies de violence meurtrière alimentée par les gouvernements successifs (qu’ils soient Conservateurs ou Démocrates) des États-Unis dans le chaos irakien et plus largement régional (par exemple à travers le soutien continu et sans faille aux politiques criminelles de l’État d’Israël), et dans l’influence grandissante du régime iranien dans la région. Au début des années 1980, l’administration de Ronald Reagan a encouragé la guerre entre l’Irak et l’Iran en soutenant l’Irak de Saddam Hussein contre la nouvelle République islamique d’Iran ; celle de George Bush père a envahi une première fois l’Irak du même Saddam Hussein et renforcé la présence militaire états-unienne dans la région au prétexte de la défense de la souveraineté nationale du Koweït, puis imposé au pays un blocus économique criminel maintenu par l’administration de Bill Clinton, provoquant des centaines de milliers de morts ; l’administration de George W. Bush a lancé une guerre qui continue à ce jour en Afghanistan, et envahi l’Irak à partir de 2003, approfondissant la destruction physique et la désintégration sociale du pays. Ce sont les conséquences de ces guerres qui se font sentir aujourd’hui en Irak. À travers la politique d’épuration de l’appareil d’État de la forte minorité sunnite sur laquelle reposait le régime de Saddam Hussein, et en installant un système politique confessionnel sectaire dans le pays, les États-Unis ont non seulement favorisé l’émergence de groupes insurrectionnels intégristes sunnites (dont est issue Daesh), mais également permis au régime iranien d’accroître fortement son influence dans le nouvel État irakien à travers le soutien apporté aux partis politiques et milices chiites – plusieurs de ces dernières ayant été intégrées à l’appareil d’État.

En lançant l’attaque du 3 janvier, Trump permet en outre au régime iranien et à ses relais en Irak et ailleurs dans la région de se reconstruire une légitimité à peu de frais, alors même qu’ils sont depuis plusieurs mois la cible de formidables soulèvements contre le néolibéralisme, l’autoritarisme et des systèmes politiques confessionnels sectaires au Liban (où le Hezbollah, relai de l’Iran dans le pays, soutient le système politique et réprime les manifestations), en Irak et en Iran (où l’explosion sociale de novembre 2019, dirigée contre la hausse des prix du carburant et contre l’autoritarisme, a été jugée assez menaçante par le régime pour qu’il cherche à l’écraser dans un bain de sang). Depuis l’assassinat de Soleimani, Téhéran et les milices qui lui sont acquises en Irak encouragent déjà les mobilisations de masse en hommage au général « martyr », contre les États-Unis et en soutien au régime des mollahs, usant d’une rhétorique prétendument anti-impérialiste. Outre le fait que, si la situation débouchait sur une guerre ouverte, celle-ci amènerait en premier lieu son lot supplémentaire de morts, de destructions et de déplacements forcés, l’escalade voulue par les États-Unis risque ainsi fortement d’affaiblir ces mobilisations sociales massives et porteuses d’espoir dans la région.

Il est indispensable de s’opposer à toute volonté d’agression de la part du gouvernement états-unien, sans s’aligner sur le discours prétendument anti-impérialiste de Téhéran qui sert en réalité une orientation réactionnaire, mais au contraire en soutenant le droit à l’auto-détermination des peuples et les soulèvements populaires dirigés contre les classes dominantes locales en Iran, en Irak, au Liban et ailleurs dans la région. Tout comme le mouvement socialiste grandissant aux États-Unis s’oppose à l’impérialisme de Washington, nous devons dénoncer les gouvernements de la plupart des pays d’Europe occidentale, parmi lesquels la Belgique et la France, qui sont alliés militairement à la superpuissance états-unienne dans le cadre de l’OTAN, et produisent et vendent des armes qui sont utilisées dans les conflits armés au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

De même, il s’agit de lutter pour l’ouverture des frontières, la liberté de circulation et d’installation, tout à fait à l’opposé des politiques meurtrières menées actuellement par l’Union européenne et ses États membres, afin d’accueillir celles et ceux qui n’ont d’autre choix que de fuir leurs foyers pour échapper au chaos et à la misère résultant des contre-révolutions et des interventions des impérialismes régionaux et internationaux.

Autrement dit, nous devons reconstruire un large mouvement d’opposition aux guerres impérialistes et de solidarité internationale avec les exploité·e·s et opprimé·e·s !

Photo : Ali Dab Dab