Pour beaucoup d’entre nous, le monde se fait de plus en plus invivable. Le ravage écologique impacte de plus en plus nos vies : les pandémies succèdent aux inondations, les mauvaises récoltes font exploser les prix de l’alimentation, et la pollution de l’air tue plus de 7000 personnes par an pour la seule Belgique.

Le monde du travail porte sur ses épaules un joug de plus en plus lourd : partout, les conquis sociaux sont détricotés, les salaires se compriment sous les coups de boutoir de l’inflation, et les conditions de travail se font de plus en plus infernales ; le tout pour des emplois auxquels il est de plus en plus difficile de donner un sens.

Et l’horizon n’apparaît pas beaucoup plus radieux : prospérant sur la crise des partis traditionnels, marchant sur la voie que ceux-ci ont pavée pour elle, l’extrême droite gagne du terrain sur tous les continents, distillant sa haine du mouvement social, des femmes, des personnes LGBTQI, des migrant∙es et des personnes racisées. Elle impose son agenda et inspire les politiques des gouvernements, quand elle ne prend pas directement le pouvoir. Là où elle le prend, elle précipite la destruction des libertés démocratiques, des services publics et des conquis sociaux, n’hésitant pas à aller jusqu’à la guerre ouverte, dans le cas de la Russie, ou au génocide, dans celui d’Israël.

Un monde nouveau est donc nécessaire, et même urgent ; nous sommes de celles et ceux qui pensent qu’il est possible. Car toutes ces offensives engendrent des résistances, et parfois des mouvements de masse qui font vaciller les régimes : nous l’avons vu ces dernières années au Chili, en Inde, à Hong-Kong, au Soudan, en Iran, en Pologne, en Argentine ou, plus près de nous, en France. Sans parler de l’auto-organisation ukrainienne ou palestinienne qui, même au cœur de l’horreur, ne manque jamais une occasion de réinventer l’héroïsme.

En Belgique, la faillite de la gauche de gouvernement

Le territoire belge n’échappe pas à ce tableau. En Flandres, la montée de l’extrême droite fascisante du Vlaams Belang représente une menace immédiate pour tous les conquis sociaux. Couplée au renforcement de la très réactionnaire N-VA, elle sert l’agenda d’une partie du patronat flamand, qui y voit une opportunité de dépecer le système de sécurité sociale par sa régionalisation. En Wallonie, l’extrême droite reste confinée à un niveau groupusculaire grâce à la vigilance et à l’efficacité implacable d’un mouvement antifasciste auquel nous avons activement pris part ; mais le MR de Georges-Louis Bouchez, sans doute inspiré du Parti républicain de Trump, semble de plus en plus vouloir occuper cet espace.

De plus en plus fragilisés, les partis de gouvernement ne se maintiennent au pouvoir que par des alliance brinquebalantes, où libéraux, chrétiens-démocrates, « socialistes » et « écologistes » se tirent dessus à boulets rouges dans les médias, mais appliquent, main dans la main, une même politique antisociale et anti-écologique. Jamais à court d’une nouvelle formule poétique, le PS tente désespérément de faire oublier sa responsabilité dans toutes les contre-réformes des dernières décennies : sans aucune honte, il se réclame désormais de l’écosocialisme (celui qui agrandit l’aéroport de Liège, pour permettre à la multinationale Alibaba d’inonder l’Europe de camelote produite dans des conditions effroyables) et fait campagne sur la réduction du temps de travail (avec un ministre de l’Économie et du Travail, Pierre-Yves Dermagne, qui nous fait revenir à la journée de 10h). Son homologue flamand, Vooruit, présente au moins l’avantage de ne plus faire semblant : après une opération de renommage qui a effacé les dernières références à une époque où il pouvait se prétendre de gauche, il chasse désormais sur les terres de l’extrême droite, et se prépare patiemment à gouverner avec la N-VA.

Du côté d’Ecolo et Groen, la participation simultanée aux gouvernements bruxellois, wallon et fédéral a pu représenter un certain espoir, pour celles et ceux qui attendaient que ces partis tirent le centre de gravité des politiques à gauche, en apportant une touche plus progressiste et plus soucieuse de l’environnement. Les mots manquent pour dire à quel point le bilan est catastrophique. Dès le départ, leur intégration dans la Vivaldi s’est fondée sur un renoncement ignoble : l’abandon de leurs propositions concernant l’extension du droit à l’avortement. Dès lors, les partis verts se sont mués en agence de communication pour mauvais compromis : nous avons eu la joie de voir une ministre Groen, Tinne van der Straeten, construire des centrales à gaz (privées, mais subsidiées à 100% par l’État !), tandis qu’une ministre Ecolo, Céline Tellier, validait l’extension de l’aéroport de Liège, et cachait sous le tapis les scandales des PFAS et des broyeurs à métaux – dont certains, pour rappel, émettent une pollution jusqu’à 600 fois supérieure aux normes en vigueur. Ces dernières semaines encore, les député·es Ecolo et Groen ont voté pour une réforme du Code pénal qui introduit un délit d’ « atteinte méchante à l’autorité de l’État », qui donne aux juges le pouvoir de réprimer n’importe quelle forme de protestation.

Le terrain des luttes, heureusement, fait entendre un autre son de cloche. La mobilisation contre la loi ultra-répressive de Vincent van Quickenborne a débouché sur une victoire, au moins provisoire. La lutte héroïque des travailleur·ses de Delhaize s’est soldée par une défaite, mais a considérablement affaibli l’enseigne, et a envoyé un avertissement clair aux autres entreprises tentées de suivre le même modèle. Les réseaux de solidarité avec les personnes migrantes restent très actifs, de même que les collectifs antifascistes, qui ont annoncé le 17 février le lancement d’une coordination nationale, la Coordination Antifasciste de Belgique. (1)Lire le communiqué sur notre site « Lancement de la Coordination antifasciste de Belgique » Le féminisme reste un moteur puissant pour tous les mouvements sociaux, comme celui des travailleuses domestiques, toujours en cours. La construction du mouvement Code rouge, avec ses actions massives et spectaculaires, a su doter la lutte écologiste d’un outil solide, durable et porteur d’une ligne radicale. Enfin, le mouvement de solidarité avec le peuple palestinien a agité toute la société belge, rassemblant plusieurs dizaines de milliers de personnes dans les manifestations nationales. Dans toutes ces mobilisations, les militant·es de la Gauche anticapitaliste se sont activement impliqué·es, apportant leur temps, leur énergie et leur expérience pour aider à construire des cadres unitaires efficaces et démocratiques.

Le PTB : utilité et limites d’une opposition radicale

De son côté, le Parti du Travail de Belgique a considérablement renforcé son assise en Wallonie, à Bruxelles et dans une moindre mesure en Flandres, et semble, à en croire les sondages, promis à une nouvelle percée aux élections de juin. C’est sans aucun doute une bonne nouvelle : en portant la contestation dans le champ institutionnel, notamment grâce à ses parlementaires, il offre aux luttes un débouché politique, leur évitant de rester confinées à de simples activités de plaidoyer et de pression. Il est aujourd’hui, dans notre pays, ce qui se rapproche le plus d’un parti de masse pouvant poser la question du pouvoir ; et en Belgique francophone, sa présence et son implantation ont pu jusque-là constituer un vaccin contre la droitisation du champ politique, telle qu’on la constate ailleurs en Europe.

Un PTB fort est donc incontestablement une bonne chose pour notre camp social ; mais ce ne sera pas suffisant. La gauche de rupture ne peut être que plurielle, comme l’est le mouvement social ; et les camarades du PTB se sont beaucoup trop perdu·es dans le mirage d’une contestation homogène, monolithique, rangée derrière un seul et même parti, lui-même désespérément vertical. Depuis qu’il a mis fin à l’initiative PTB-Gauche d’Ouverture (PTB-GO) en 2014, à laquelle la Gauche anticapitaliste (alors appelée LCR) prenait part, le parti s’est à nouveau intégralement centré sur sa propre construction et la promotion de ses député·es. Sur le terrain, nous constatons souvent la réticence de ses militant·es à s’investir dans des cadres de lutte réellement unitaires, sur lesquels iels n’ont pas un contrôle confortable ; la priorité est systématiquement donnée à des actions et cortèges estampillés PTB, ou bien l’une de ses vitrines (Comac, Redfox, Z·elle, Intal, Médecine pour le peuple, Amitiés sans frontières…) Une stratégie qui leur a permis de gagner des membres et des électeur·ices, mais sans utiliser cette force de frappe pour construire des rapports de forces et obtenir des victoires ici et maintenant, ce qui nous serait pourtant fort utile.

Cette orientation a pour conséquence une timidité regrettable, sur tous les sujets perçus comme clivants : sur les questions féministes ou antiracistes, notamment, le PTB se contente de mots d’ordres très consensuels, et de revendications essentiellement symboliques ; lors de la campagne anti-EVRAS (Éducation à la Vie relationnelle, affective et sexuelle) à l’école, par exemple, il a opéré un virage à 180°, en cessant soudainement de défendre une initiative à laquelle il avait pourtant participé. En matière d’écologie, il plaide, à raison, pour une écologie sociale, ciblant les riches et les capitalistes plutôt que les travailleur·ses ; mais il reste désespérément muet sur la nécessité de rompre avec le productivisme, et de démanteler les industries inutiles et nuisibles.

Sur le plan international, enfin, le PTB reste globalement aligné sur la ligne du Parti communiste Chinois. Cela l’amène à des positions au mieux ambiguës vis-à-vis des traitements infligés à la population ouïghoure, mais aussi des régimes autoritaires du Nicaragua, du Venezuela ou de Syrie. Sans parler de la guerre en Ukraine, dont la seule issue possible serait, à l’entendre, un cessez-le-feu qui laisserait Poutine contrôler un cinquième du territoire, et y liquider tout ce qui ressemble de près ou de loin à une résistance progressiste ou antifasciste.

Ces divergences et ces limites ne retirent rien aux nécessités immédiates : le mouvement social belge a besoin d’une opposition de gauche forte, qui pèse dans le jeu politique et rappelle constamment que nous ne sommes pas condamné·es à vivre les politiques que nous vivons. Le 9 juin, il faut infliger à la droite et à l’extrême droite la gifle la plus monumentale possible, tout en sanctionnant cette prétendue gauche qui leur déroule le tapis rouge. Ici et maintenant, seul le PTB est en mesure de remplir ce rôle. La croissance de notre organisation ces dernières années nous aurait permis de déposer des listes aux élections fédérales ou régionales, mais nous avons fait le choix, à l’issue d’une discussion impliquant tou·tes nos militant·es, de ne pas le faire : à ces niveaux de pouvoir, le 9 juin, nous appelons les électeur·ices à voter pour le PTB, en particulier pour ses candidat·es impliqué·es dans les mouvements sociaux et syndicaux.

En ce qui concerne les élections européennes, il nous est apparu que l’enjeu était différent. Un·e député·e de plus ou de moins, dans un parlement de 705 personnes qui a en réalité très peu de pouvoir, ne changera pas grand-chose dans la manière dont le PTB pourra peser sur la politique de l’UE. Par ailleurs, le bilan de Marc Botenga, unique député PTB et candidat à sa succession, est pour nous bien plus mitigé que celui de ses camarades dans les autres parlements, principalement en raison de nos divergences sur les questions internationales que nous avons déjà évoquées. De notre point de vue, ces élections doivent servir avant tout à faire entendre une voix profondément internationaliste, qui n’a pas peur de combiner solidarité entre les peuples et rupture, sans compromis, avec les classes dirigeantes. Nous avons donc fait le choix d’y présenter notre propre liste. La liste « Anticapitalistes » (2)Voir « Anticapitalistes », porter les voix des luttes : notre liste pour les européennes et L’urgence d’un monde nouveau : Programme de la Gauche anticapitaliste pour les élections européennes de 2024 sera conduite par nos camarades Denis Verstraeten, enseignant et militant du mouvement climat, et Charlotte Thomas, travailleuse de Delhaize et syndicaliste.

Pour mener cette campagne, nous avons besoin de soutien financier. Vous pouvez envoyer une contribution à ce numéro de compte : BE95 0689 4151 4258. Il nous faut aussi des forces militantes, pour la campagne mais aussi pour la suite, pour construire une organisation anticapitaliste et révolutionnaire : n’hésitez pas à prendre contact avec nous !

Construire demain

Les élections ne transforment pas le monde. Mais elles peuvent permettre d’y faire résonner le bruit de nos luttes, et de le porter là où les puissants voudraient qu’on ne l’entende pas. Ce qui compte, ensuite, c’est qu’au lieu de s’éteindre pour laisser parler les urnes, elles redoublent d’intensité : qu’il y ait des dizaines de manifestations de solidarité avec la Palestine, des centaines d’actions Code rouge, des milliers de grèves Delhaize, des millions de personnes dans la rue, qu’elles s’organisent par en-bas et qu’elles osent bousculer en haut.

Passons à l’action, organisons-nous, et les mauvais jours n’en ont plus pour longtemps.