Cet article de Valerio Arcary a été écrit fin septembre, avant le premier tour de l’élection présidentielle au Brésil. Malgré les espoirs de voir Lula remporter l’élection dès le premier tour, le scrutin du 2 octobre a vu l’actuel président d’extrême droite, Jair Bolsonaro, se hisser au second tour avec 43,2% des voix, face à Luiz Inácio Lula da Silva qui est arrivé en tête avec 48,4´% des voix. Le deuxième tour des élections présidentielles brésiliennes aura lieu ce dimanche 30 octobre. [La rédaction]
La réponse à la question est compliquée, mais incontournable. Elle est compliquée car les réponses simples, qu’elles soient de type « oui » ou « non », ne sont pas satisfaisantes. Mais elle est incontournable car l’essence de cette lutte électorale de 2022 est de savoir si une défaite de Bolsonaro dans les urnes affaiblira de manière décisive l’extrême droite, en particulier le courant néo-fasciste.
La clé est de savoir si la défaite de Bolsonaro sera dévastatrice ou non. Il y a une différence entre les défaites électorales et les défaites politiques. Les défaites électorales sont passagères, éphémères et temporaires. Les défaites politiques sont sévères, graves et potentiellement irréversibles.
« Vaincre Bolsonaro »… mais comment ?
Nous ne pouvons pas encore prédire si ces élections seront décidées au premier ou au second tour. L’hypothèse la plus dangereuse serait que Bolsonaro parvienne à se hisser au second tour.
Cette hypothèse repose sur deux prémisses : la première est que, si la candidature de Lula reste évidemment favorite, le bolsonarisme préserve la sympathie de la « masse » de la bourgeoisie et une audience dans les couches moyennes d’une ampleur telle qu’elle laisse présager une présence au second tour ; La seconde est qu’il est possible que le rejet de Bolsonaro, après presque quatre ans au pouvoir, bien que beaucoup plus important que le rejet du PT, ne soit pas assez important pour déplacer une partie des électeurs de Ciro Gomes [candidat de « centre gauche » arrivé troisième en 2018] et, dans une moindre mesure d’autres candidats, pour voter pour Lula le 2 octobre.
Mais est-il possible de vaincre, oui ou non, Bolsonaro ? Dans les sondages, c’est possible, même si le combat est loin d’être terminé. Dans la rue, cela dépend de la volonté des masses de se battre et de la détermination des organisations et de leurs directions. Une réponse affirmative à la question « Vaincre Bolsonaro », un oui sans médiations, est donc politiquement naïf. Le bolsonarisme ne cessera pas d’exister en tant que deuxième force politique du pays si Bolsonaro perd les élections, mais il survivra indemne s’il ne fait pas l’objet d’une enquête et d’une arrestation. Ce qui dépendra de la force de la mobilisation sociale antifasciste.
Ne pas miser que sur le terrain électoral
Un pari unilatéral sur une victoire sur le terrain électoral pourrait être fatal. Il surestime l’importance des élections présidentielles dans la conception actuelle du régime, et ignore le poids de la majorité réactionnaire qui sera probablement élue au Congrès national. Il ignore le poids politique que le pouvoir judiciaire a gagné avec l’opération Lava Jato, oublie la force économique et sociale de la classe dirigeante et sous-estime la pression impérialiste sur le Brésil.
Il ne tient pas compte du passage à droite d’une partie importante de la classe moyenne et diminue l’impact de l’émergence d’un mouvement néo-fasciste. Il fantasme notamment sur le fait qu’un éventuel futur gouvernement dirigé par le PT serait prêt à aller jusqu’au bout pour révoquer l’œuvre du coup d’État. Cela ne serait possible qu’en faisant appel à une mobilisation populaire permanente, condition incontournable face aux affrontements prévisibles. Il se trouve que le PT est autolimité par les contradictions internes de sa direction, comme en témoignent les vingt dernières années.
Mais une simple réponse négative est également unilatérale. Si nous considérons qu’il n’est pas possible de vaincre le bolsonarisme aux élections, parce que le néofascisme survivra à une défaite électorale, cela laisse le terrain de l’action directe pour remporter la victoire politique et sociale. Il y a une part de vérité dans ce raisonnement. Mais elle est dangereuse si elle est interprétée de manière unilatérale. La grande majorité de la gauche, y compris la gauche radicale, a décidé de ne pas s’allier au bolsonarisme dans les rues en ce jour de bicentenaire [le 7 septembre dernier]. C’était une décision mature et sensée.
« La révolution ou rien » ?
Ceux qui, au sein de la gauche radicale, sous-estiment l’impact monumental que la victoire de Lula aurait sur l’état d’esprit des secteurs les plus organisés de la classe ouvrière et des masses populaires, six ans après la destitution, et la terrible expérience avec le gouvernement Bolsonaro, ont tort. Cela revient à dire « la révolution ou rien », ce qui est un discours ultimatiste. Pire, en fonction de l’actuel rapport de forces social défavorable, dans lequel il n’y a même pas la moindre disposition pour une confrontation frontale dans les rues avec les fascistes, qui serait de la plus grande gravité, il s’agit d’un ultimatum adressé aux travailleurs, et non à l’ennemi de classe.
La gauche radicale a parmi ses slogans classiques le mot d’ordre « Seule la lutte change la vie ». C’est un slogan juste. Il doit être répété, inlassablement, car il est éducatif et inspirant. Mais cela n’autorise pas à conclure que les élections ne changent rien. Parce que ce n’est tout simplement pas vrai.
Les élections sont aussi un terrain sur lequel se développe la lutte des classes, et l’indifférence à leur égard révèle une naïveté inexcusable. Et la conséquence est un manque de compréhension qui doit être combattu en priorité. Il n’est pas possible de lutter contre tout le monde, avec la même intensité, tout le temps. En politique, vous devez choisir qui vous combattez, en priorité, si vous voulez gagner. Il y a un fasciste avec une influence de masse qui se présente aux élections.
De plus, nous avons les élections dans les États. Pour l’instant, il est très probable qu’au moins dix des gouverneurs réactionnaires actuels pourraient être élus, y compris dans des États clés, comme le Rio Grande do Sul avec Milk et le Minas Gerais avec Zema, le Paraná avec Ratinho Jr. et le Goiás avec Ronaldo Caiado, et même Rio de Janeiro avec Cláudio Castro.
La victoire… et après ?
De toute évidence, la victoire de Lula sera la plus spectaculaire. Il y aurait même une certaine forme de justice. Mais, même si l’on considère que cette issue aurait pour conséquence une hausse du moral de la classe ouvrière, et une désorientation prévisible, au moins temporaire, de la classe dominante, dont résulteraient des conditions de lutte plus favorables, cela ne permet pas de conclure qu’un futur gouvernement du PT correspondrait, directement, à une annulation de l’œuvre du coup d’État. Ce serait un scénario plus favorable, mais seulement le début d’une nouvelle conjoncture de lutte.
Dans ce contexte, plus le vote pour des candidats PSol à la députation sera élevé au premier tour, meilleures seront les conditions de la lutte politico-sociale qui suivra les élections. Pour trois raisons. D’abord, parce qu’ils seront un point d’appui combatif pour propulser jusqu’au bout la lutte contre l’extrême droite bolonariste. Deuxièmement, les conditions pour faire pression sur le PT depuis la gauche seront plus favorables. Troisièmement, parce que la réorganisation de la gauche sera poussée avec plus de force, favorisant les conditions de lutte des masses populaires.
Traduction J.S.
Initialement publié sur le site lanticapitaliste.org