Depuis le début du confinement, le gouvernement Wilmès s’est souvenu que de nombreuses entreprises sacrifiées au nom de l’autonomie de gestion, de la marchandisation et des équilibres budgétaires faisaient partie des fonctions régaliennes de l’Etat.
Il en va de nombreuses entreprises publiques telles que les secteurs des soins, de l’enseignement, la voirie, les transports publics et le service de courrier. Reconnues aujourd’hui (à l’occasion et pendant la crise Covid-19), comme entreprises au travail obligatoire, plusieurs sont systématiquement mises à l’oubli dans les nombreux discours gouvernementaux : chemins de fer, bus et tram, éboueurs/euses, postier.e.s…
Pour combler cette lacune, la rédaction de la Gauche anticapitaliste a rencontré un postier de la plateforme de Bruxelles Centre : Sneevliet.
Gauche anticapitaliste : Décris-nous brièvement ton bureau.
Sneevliet : Mon bureau regroupe actuellement les facteurs/rices de Bruxelles-Villes, Anderlecht, St Gilles, Forest et Ixelles. Celleux de Watermael-Boitsfort et d’Auderghem n’ont pu nous rejoindre car leur déménagement tombait en période de confinement.
G : Comment se sont mises en place les mesures de protection des travailleurs/euses ?
S : Cela a été assez rapide. Dès le premier jour, on a vérifié les problèmes liés à la distanciation sociale. Des marquages au sol ont été organisés. Des commandes de gel ont été faites. Les équipes de nettoyage qui s’occupent aussi du nettoyage des véhicules ont été renforcées afin de pouvoir les désinfecter tous les jours. Il faut savoir qu’après réorganisation (Géoroute(1)Logiciel qui organise les tournées des facteurs/rices.), la majorité des facteurs/rices font leur tournée en voiture (nous en gérons près de 350 actuellement). C’est donc un outil de travail important pour nous.
Au niveau national, des règles de priorité de distribution ont été données et appliquées ainsi que des consignes de comportements à avoir avec nos usager.e.s (client.e.s) lors de la remise de paquets , de recommandés, de pension, …. En fonction de l’absentéisme, ce sont ces envois qui sont priorisés (surtout les paquets car c’est ça qui rapporte financièrement aux actionnaires de Bpost). Cela explique aussi le retard dans la distribution des autres produits. Mais dans mon bureau, il n’y a pas de pression excessive. Ce n’est pas le cas partout : je commence à entendre parler de harcèlement sur des facteurs/rices qui ne distribueraient pas assez de produits.
Il faut dire aussi que les facteurs/rices appliquent bien ces règles. Il est vrai qu’iels viennent avec la peur au ventre de contracter ou de propager le virus tant avec leurs collègues , leurs client.e.s que leur famille.
G : Qu’en pensent les postier.e.s ?
S : Tout d’abord que la direction locale a fait son maximum. Et nous leur mentionnons les manquements et lacunes. Les facteurs y ont été sensibles. Les lacunes sont facilement identifiables. On ne peut pas nous accuser de tirer sur le pianiste quand c’est le compositeur qui est mauvais.
L’absence de masques, de testeurs dépend de l’incompétence gouvernementale et non pas du management local. Cela accentue les craintes des postiers qui plus que d’autres peuvent contracter le virus n’importe où, n’importe quand. En ville, un.e postier.e est en contact avec près de 800 personnes différentes par jour.
G : Peux-tu nous parler de l’absentéisme ?
S : Tout d’abord, je n’ai pas entendu qu’un.e travailleur/euse serait venu.e travailler en ayant des symptômes de Covid-19. À ce niveau-là, c’est l’Omerta. Pas de test, pas de chiffre, pas de malade. Cela ne veut pas non plus dire que personne n’est infecté. Je sais que les facteurs/rices ont l’habitude de travailler par tous les temps et acquièrent une résistance physique plus grande qu’un administratif mais il serait étonnant que sur 25.000 postier.e.s, personne n’ait été atteint.e. On ne le sait pas car personne n’a été testé. Donc, la majorité des absent.e.s aujourd’hui, ce sont celleux qui craignent de le contracter dans les transports en commun, en faisant leur tournée, avec des collègues et qui craignent de le ramener dans leur familles. On vacille entre le civisme et la peur.
G : Tu parlais des transports en commun, quel est le problème ?
S : Déjà en temps normal, le fait qu’il n’y ait pas de gestion commune entres transports dépendant des entités fédérées et l’Etat national, les transports en commun posent problème. Beaucoup, pour arriver à Bruxelles à 5h du matin, doivent prendre leur voiture ou 2-3 transports en commun qui ne sont pas connectés entre eux. Le gouvernement actuel a aujourd’hui encore diminué cette offre. Pour des raisons de distanciation sociale, on a limité à 8 personnes – et à mon sens à juste titre – le nombre de voyageurs/euses par bus. Mais on n’a rien prévu pour combler ce manque. C’était une bonne occasion pour augmenter la fréquence (déjà faible en temps normal). Le résultat est que vous devez attendre le suivant (qui ne viendra que 10 à 20 minutes plus tard). Et si celui-là est aussi plein, vous attendrez encore le suivant, etc. Un jour, ma collègue a du attendre 35 minutes pour avoir un bus et est arrivée en retard au travail. Heureusement qu’elle ne voyage pas pendant les heures de pointe. Tous ces retards accumulés dans la chaîne de travail (car du coup, les facteurs/rices doivent aussi attendre plus longtemps dans la file) s’ajoutent au stress et à la frustration.
Pour régler ce problème dans mon bureau, afin de diminuer ce stress et le découragement engendré par l’absence de politique d’urgence des transports la direction locale a pris les mêmes mesures que lors d’une grève des transports en commun. Celleux qui ont des problèmes justifiés (si le covoiturage n’est pas possible) de mobilité peuvent utiliser leur véhicule de tournée pour rentrer chez elleux.
G : Quelles sont les conséquences en cas de maladie (en dehors des procédures habituelles) ?
S : Il n’y a plus de contrôles de maladies. En principe, dès notre retour de maladie, nous subissons une interview pour voir comment nous pouvons éviter la maladie et ne plus déranger l’organisation du service. Cela est abandonné pendant la période de Covid-19. Par contre, ce qui n’est pas clair, c’est notre prime de productivité – près de 800€ net (qu’on devrait toucher en avril 2021). Si vous êtes malades pour d’autres raisons que le Coronavirus, ce sont les règles habituelles ajoutées à un confinement de 7 à 14 jours. Si c’est à cause du Covid-19, B-post vous met en chômage directement. Cela explique peut-être en partie le fait que personne n’est atteint (officiellement).
Cette prime est très importante pour les bas salaires (dont les facteurs/rices contractuel.le.s, DA-low cost) car c’est leur seule prime conséquente. Elle dépend de la satisfaction des client.e.s (tant de la firme qui envoie ses paquets que du/de la citoyen.ne qui l’attend), de la productivité par rapport aux pays voisins, de notre présentéisme et bien sûr des bénéfices engendrés après paiement des dividendes aux actionnaires ( dont l’Etat à 51 %). Donc rien n’est moins sûr !
G : Vous n’avez donc une garantie que les efforts aujourd’hui ne risquent pas de diminuer vite pouvoir d’achat ? Que dit Bpost ? Que disent les syndicats ?
S : Rien ! Elle nous remercie quotidiennement de notre courage héroïque. Mais à part les règles de sécurité, nous n’avons pas d’autres nouvelles concrètes.
Quant aux syndicats, nous avons de nombreuses consignes pour les atteindre (car ils sont en télétravail), et des conseils sur les procédures de mise en chômage partiel. Nous n’avons plus de réunion. J’avais proposé de faire des réunions virtuelles mais je n’ai pas eu de réponse malheureusement. Je pense que cela aurait été utile tant pour connaître la situation dans les différentes plateformes, les guichets, les centres de distribution qui vivons des réalités très différentes que pour le maintien du moral.
En réalité, nous le faisons à travers des groupes WhatsApp qui réunissent des facteurs/rices qui se sont rencontré.e.s entre autre pendant les grèves de 2018 et 2019 (cela fut un outil essentiel pour les organiser), des réseaux d’ami.e.s, et le groupe « la folie des timbrés ».
Il y a eu une proposition conjointe syndicats/Bpost, pour que notre précompte professionnel (pour la période de la crise du Covid-19) soit remboursé en fonction du présentéisme. Mais je pense que pour cela il faudrait une autorisation gouvernementale, ce qui ne risque pas d’arriver.
Une autre proposition serait de nous payer un chèque repas supplémentaire (8€ net) par jour presté. Mais nous n’avons pas de nouvelles là-dessus non plus.
Nous n’avons pas de nouvelles non plus sur la manière dont nous allons combler le retard dans la distribution du courrier non prioritaire. Par de réelles embauches ? Je crains que, comme à chaque fois, ça soit par une augmentation des heures supplémentaires non payées ou par l’engagement de quelques intérimaires dont Bpost se sert comme des kleenex. Il arrive aussi que, comme maintenant, l’entreprise engage de fau.x.sses indépendant.e.s payé.e.s à la pièce et qui nécessitent beaucoup d’heures de gestion pour clôturer le travail fait (et non fait) ? Comme quoi, cette période Corona n’aura finalement servi qu’à reporter les problèmes d’heures supplémentaires gratuites du personnel, d’absentéisme, d’un service au public sain et d’une véritable revalorisation de notre métier.
Nous risquons d’arriver les mains vides (mais pleines de bonnes intentions et sans armes) à la prochaine négociation collective au sacro-nom des difficultés budgétaires de nos actionnaires.
G : Pour terminer, qu’as-tu ressenti de positif dans cette période ?
S : Tout d’abord, une grande conscience professionnelle, la nécessité de servir malgré tout la population. Sans cela l’absentéisme aurait pu être catastrophique. Beaucoup de solidarité envers les personnes âgées.
Aussi beaucoup de témoignage de la population envers leurs facteurs/rices (beaucoup de petits mots, de petits gestes d’attention). Certain.e.s offraient même des masques que le gouvernement ne nous donnaient pas.
En général, beaucoup de respect entre collègues en respectant les règles de distanciation. Et surtout, en accord avec notre direction locale, nous avons organisé une action de récoltes de nourritures (biscuits…) et un grand défilé des postier.e.s (en voiture et klaxons) de notre plateforme en soutien au personnel hospitalier de l’hôpital Bracops (situé sur la même commune que nous).
Même si les médias n’ont parlé que de 30, parfois 50 (ce qui était le chiffre des inscrit.e.s), nous étions plus d’une soixantaine sans compter les facteurs/rices cyclistes qui nous ont rejoint. Un grand moment d’émotion. Beaucoup de voisins sont aussi sortis pour nous témoigner leur affection pour notre action solidaire
Notes