La Gauche anticapitaliste a interviewé notre camarade France Arets, active dans le soutien aux sans papiers à Liège et militante du CRACPE (Collectif de Résistance Aux Centres Pour Etranger.e.s) qui appelle à la mobilisation pour sa marche annuelle, ce 9 mai jusqu’au centre fermé de Vottem.


Gauche anticapitaliste : Peux-tu d’abord nous rappeler ce qu’est un centre fermé pour étrangers

France Arets : Tout d’abord je voudrais préciser que tout ce que je vais vous expliquer est le fruit d’une réflexion collective du CRACPE ; pour en savoir plus, vous pouvez retrouver différents documents sur notre page facebook(1)https://www.facebook.com/collectifderesistanceauxcentrespouretrangers et sur notre site(2)https://www.cracpe.be/.

Un centre fermé, c’est une prison qui cache son nom, qui tente de briser au quotidien, physiquement et psychologiquement, par tous les moyens, les capacités de s’opposer à une expulsion. C’est une prison où sont détenu.e.s des étranger.e.s en vue de leur expulsion, « simplement » parce qu’iels n’ont pas de « papiers », c’est-à-dire pas ou plus d’autorisation de séjour.

La plupart nous disent : « nous ne sommes pas des criminel.le.s. Pourquoi sommes-nous enfermé.e.s » ? C’est une prison d’exception, un camp de mise à l’écart, car celleux qui y sont enfermé.e.s n’ont pas été jugé.e.s, ne sont passé.e.s devant aucune instance judiciaire (comme c’était le cas dans d’autres camps de sinistre mémoire). Iels ont été placé.e.s en détention suite à une décision administrative de l’Office des Etrangers. C’est seulement après le placement en détention qu’un recours est possible (requête de mise en liberté).

C’est pour cela que , dès le début, les opposant.e.s aux centres fermés pour étrangers ont expliqué qu’ils s’agissait de lieux de non droit et qu’il fallait les supprimer. Illégitimes de ce point de vue, ils le sont aussi parce qu’ils constituent un déni des Droits Humains.

GA : La décision de multiplier les centres fermés remonte déjà à pas mal d’années ?

FA : La politique migratoire restrictive de l’Etat belge a été menée par différents gouvernements qui se sont succédé depuis la fin des années ’80. Le centre fermé de Melsbroek, le 127, a été ouvert en 1988. Le fait de décider la multiplication des centres fermés résulte, d’une certaine manière, d’une adaptation par rapport au discours de l’extrême droite. Successivement ont été ouverts 4 centres fermés, s’ajoutant au 127 : celui de Merksplas (1993), le 127 bis à Steenokkerzeel (1994), le centre fermé de Bruges (1995) et celui de Vottem (1999).

En 2012, le centre Caricole a remplacé le 127, à côté du 127 bis. En mai 2019, le centre d’Holsbeek, près de Louvain, exclusivement réservé aux femmes, a été ouvert. Il s’agissait du premier volet du Masterplan, mis au point par Theo Francken, qui prévoyait de doubler le nombre de places dans les centres afin d’augmenter le nombre des expulsions. Est planifiée l’ouverture de nouveaux centres, l’un à Zandvliet, près d’Anvers, l’autre à Jumet, près de Charleroi.

Ce plan, prévoyant d’augmenter le nombre de détentions et d’expulsions, a été repris dans l’accord gouvernemental Vivaldi. Ce nouveau gouvernement pourra compter sur le zèle du nouveau Secrétaire d’Etat à l’asile et à la migration, Sammy Mahdi, lui qui a déclaré au journal Le Soir du 16 novembre 2020 : «Votre politique de migration solidaire et humaine, vous pouvez la prendre et la mettre à la poubelle. Il n’y en aura plus dans les trente prochaine années »(3)https://plus.lesoir.be/337934/article/2020-11-16/sammy-mahdi-au-soir-sans-expulsions-pas-de-solidarite-possible.  

GA : Peux-tu décrire la situation au centre fermé de Vottem ?

FA : Chaque année, en moyenne, environ 1000 personnes sont détenues à Vottem. Le 9 mars 2019, 20 ans après l’ouverture du centre, plus de 19 500 personnes y ont été détenues : 19 500 personnes dont le quotidien a été fait de résignation, de désespoir, de révolte…et de répression. Les chiffres de 2020 ne peuvent être comparés. Il y eu une diminution drastique à cause de la pandémie.

Une partie des détenu.e.s des centres fermés a été, dans un premier temps, libérée pour diminuer la promiscuité dans les centres et à cause des fermetures de frontières. Une autre partie a retrouvé la liberté grâce au travail acharné d’avocat.e.s engagé.e.s. Mais certain.e.s sont resté.e.s enfermé.e.s dans un cadre de règles sanitaires peu respectées, avec une très forte limitation des visites, pendant de longs mois.

À Vottem, il y a 12 cachots où peuvent être enfermés les suicidaires, celleux qui, soit disant, ne respectent pas le règlement ou bien se rebellent, par exemple celleux qui entament une grève de la faim. Au cachot, se trouvent également celleux qui doivent être expulsé.e.s le lendemain. La mise en isolement est très fréquente. Un.e détenu.e peut aussi être transféré dans un autre centre.

Il y a aussi une aile sécurisée ou « spéciale », mise en place à l’initiative de Maggie De Block. Elle permet d’appliquer un « régime différencié ». Chaque détenu.e y est isolé, seul.e dans une chambre. Iel est également seul.e pour la sortie au préau. Contrairement à la mise au cachot, limitée à 72 heures, ici, il n y a pas de limitation de durée, puisqu’il ne s’agit pas de « cachots ». Dans cette aile, il s’agit de personnes « ingérables », ne pouvant s’intégrer dans une aile « normale », et cela, pour des raisons psychologiques ou de santé. Iels doivent, théoriquement, être, petit à petit, réintégré.e.s dans une autre aile. Certain.e.s ne le sont jamais : celleux qui se révoltent, qui remettent en cause le fonctionnement du centre. Certain.e.s détenu.e.s sont resté.e.s des mois dans l’aile sécurisée. Iels nous ont confié qu’iels devenaient fous/folles. En fait, le but est qu’iels finissent par accepter leur expulsion, lorsqu’iels n’en peuvent plus.

Dans un centre fermé, tout l’encadrement est prévu pour organiser l’expulsion. D’ailleurs, les assistant.e.s socia.ux.les s’appellent « fonctionnaires de retour ». Iels ne cherchent pas de solution pour une libération : iels assurent seulement le minimum de suivi prescrit, trouver un.e avocat, par exemple. Leur véritable fonction, telle qu’elle est définie dans les règlements, est de « préparer l’éloignement ». Parmi les éducateurs/rices, on trouve un.e « coach de retour ».

GA : Mais, alors, quel est l’état d’esprit des « encadrant.e.s » ?

FA : Parmi les « encadrant.e.s » du centre ferme de Vottem, qu’iels soient assistante.s socia.ux.les, éducateurs/rices, médecin.e.s ou infirmier.e.s, beaucoup ont démissionné : iels estimaient que la déontologie de leur métier n’était pas respectée, que le travail qui était attendu d’elleux n’était pas acceptable, allant contre le respect des personnes et de leurs droits les plus élémentaires et qu’il n’avait plus rien de social.

Résultat de toute cette situation, au total, ce sont 44 tentatives de suicide qui ont été répertoriées dans les rapports du Centre. Ces tentatives ont entraîné le décès de trois personnes : en 2008, en 2015 et en 2018. Aucune prise en charge suffisante n’est organisée pour les personnes victimes de dépression : les psychologues s’occupent surtout de faire accepter le rapatriement et aussi de la gestion de la vie collective dans le centre.

GA : Où en sont les collectifs de soutien aux personnes sans-papiers ?

FA : Dès la fin des années 90, des collectifs se sont créés, comme le Collectif contre les expulsions à Bruxelles ou encore le Cracpe créé à Liège dès l’annonce de la construction du centre fermé pour étranger.e.s de Vottem, en 1997.

Le Cracpe regroupe des associations et des individu.e.s qui luttent pour la suppression des centres fermés pour étrangers et l’arrêt des expulsions, ainsi que pour une politique d’asile et d’immigration qui respecte les Droits Humains, qui décide d’accueillir dignement celleux qui ont fui la guerre, les persécutions, la misère …

Pour les membres des collectifs, la résistance aux expulsions, le rejet de la politique honteuse et sécuritaire des gouvernements successifs et l’existence intolérable des centres fermés passent par des manifestations, la désobéissance civile et même par l’action directe, comme le blocage des fourgons qui partaient des centres pour l’aéroport ou encore le blocage des portes des centres. De telles actions ont été menées par les militant.e.s du réseau « No Border » ou des collectifs contre les expulsions.

Aujourd’hui, le Cracpe, le CRER (Collectif contre les Rafles et les Expulsions et pour la Régularisation et Getting The Voice Out) mènent un travail concret de communication et d’aide aux personnes détenues. « Getting » en particulier répercute, sur leur site(4)https://www.gettingthevoiceout.org/?lang=fr_be, les témoignages des sans- papiers et des détenus, afin de sensibiliser un maximum de personnes. À Liège, depuis des années, le Cracpe maintient le contacts avec les détenu.e.s, avec une permanence téléphonique, la distribution de recharges téléphoniques, une présence, tous les samedis devant les grilles du centre fermé…

GA : Comment se déroulera la mobilisation à Vottem ?

FA : Ce dimanche, 9 mai, nous marcherons ensemble jusqu’à Vottem, au camp de la honte. Nous donnons rendez-vous, dès 14h30 à la Citadelle, rue des Glacis. Là, à l’Enclos des fusillés, nous rendrons hommage à la résistance au nazisme. Puis, nous nous rendrons au centre fermé, en respectant les mesures sanitaires (groupes de 50 personnes avec distanciation et port du masque). Là, vers 15h30, il y aura des prises de paroles de différentes associations, de personnes sans-papiers et de détenu.e.s.

Nous rappellerons bien sûr nos revendications : suppression des centres fermés pour étrangers ; arrêt des expulsions ; une politique d’asile et d’immigration qui respecte les Droits Humains ; la régularisation des personnes sans-papiers !

L’évènement Facebook : facebook.com/events/434099557678718/