Ci-dessous, le texte écrit par le « groupe enseignement » de la commission syndicale et monde du travail de la Gauche anticapitaliste.
Le 10 février prochain une « sorte » de grève est annoncée. Une « sorte » parce que, nous, les enseignant.e.s avons appris la nouvelle par la presse. Depuis deux ans, la présence syndicale dans les écoles est très discrète. Elle se limite à quelques mesures de sécurité au travail mais les assemblées générales se font rares et pourtant, la situation est loin d’être « normale », ou même acceptable.
Depuis deux ans, l’école et les principa.ux.les acteurs/trices qui la portent, les enseignant.e.s, ont reçu un double discours, des mesures incohérentes et des injonctions paradoxales. On est passé de : « il n’y a pas de transmission dans les écoles » à « les écoles sont le principal cluster de la pandémie et les enfants doivent porter le masque à partir de 6 ans ». Les enseignant.e.s ? Des « héro.ïne.s au quotidien » aux « paresseu.x.ses qui veulent des vacances pendant que les enfants sombrent » ; et l’école, d’endroit « d’éducation, d’épanouissement et de socialisation » à un parking pour les enfants dans le but de libérer les travailleurs/euses pour que la production et l’économie ne s’arrêtent pas.
Il faut souligner le fait que pendant la pandémie, les enseignant.e.s n’ont jamais arrêté de travailler. Le ministère nous a demandé du jour au lendemain, à chaque moment difficile de la crise, de : travailler à distance, travailler en hybride, travailler 50% du temps en classe et 50% à la maison, travailler avec des demi-groupes, travailler avec 20% des groupes, travailler avec masque, travailler en gardant les distances, garder les classes et les écoles ouvertes lorsque notre classe est à moitié en quarantaine, lorsque la moitié de nos collègues sont absent.e.s… Mais aussi : travailler avec des enfants qui portent des masques, qui ne peuvent pas bouger, qui ne peuvent pas faire des travaux de groupe ou partager du matériel, qui depuis deux ans ne font plus d’activités culturelles ni des fêtes d’école mais qui mangent ensemble, jouent ensemble dans la cour de récréation, se rencontrent en-dehors de l’école parce que nous ne pouvons pas arrêter la vie à coup de circulaires.
Et il est évident que personne n’a demandé aux enseignant.e.s s’iels ont le matériel informatique, les compétences, la formation, les capacités pratiques ou même la force psychologique de changer leur fonctionnement, de s’adapter à chaque fantaisie demandée. Or, les enseignant.e.s ne sont pas des êtres fantastiques. Iels ont aussi une vie en dehors de l’école, iels sont parent.e.s, souvent monoparentales, ont des parents vieillissant.e.s à soigner, sont souvent pauvres, voire très pauvres quand iels entrent dans le métier, surtout à temps partiel, ou se baladent d’une école à l’autre pour faire des remplacements de quelques heures avec des CDD pendant des années…
Et pourtant, pendant ces deux années, à aucun moment, nous n’étions considéré.e.s comme prioritaires, ni pour la vaccination, ni pour l’éloignement de collègues ayant des conditions médicales dangereuses. Aujourd’hui encore, les écoles ne font pas partie du fameux baromètre. Nous faisons toujours comme si…
A l’instar des travailleurs/euses dans les hôpitaux, ce glissement de considérations héroïques au départ à du dénigrement systématique s’est fait à petits coups de déclarations politiques à chaque fois que les enseignant.e.s commencent à se plaindre, à montrer leur ras-le-bol ou à mettre en doute les mesures jugées inadaptées ou insuffisantes. Les enseignant.e.s en ont aussi marre du manque de transparence des décisions, du manque de concertation et de consultation des principaux acteurs et actrices de terrain, des décisions qui viennent à coup de circulaires tout en balayant les dernières miettes de démocratie dans les écoles.
Des réformes, toujours des réformes …
Il est faux de penser que cette inactivité à l’égard des enseignant.e.s est due à une incapacité des gouvernements à agir faute de moyens ou parce qu’ils ont été surpris par la pandémie. Pendant ces deux années, deux réformes très importantes ont été votées et appliquées, trois si nous comptons le changement des rythmes scolaires. La première, le Pacte pour un enseignement d’excellence, est déjà appliquée dans les écoles (oui, ces écoles où le nombre d’élèves par classe est en augmentation et les élèves et les enseignant.e.s souvent en quarantaine). La deuxième, appelée Réforme de la formation des enseignant.e.s (RFIE) sera appliquée à partir de la rentrée 2023.
Cette RFIE, qui introduit un allongement de la formation des enseignant.e.s de trois à quatre ans, a finalement été votée sans être budgétée et sans une revalorisation barémique du métier. Alors que nous savons qu’il y a une énorme pénurie d’enseignant.e.s, en partie à cause des conditions décrites ci-dessus (et qui étaient déjà là avant la pandémie) et que ces conditions ont fait fondre l’attractivité du métier auprès des jeunes, nous nous demandons qui voudra faire un an supplémentaire d’études avec le même salaire dans un métier méprisé par les politiques néolibérales et la société ?
En ce moment, les accords entre universités et hautes écoles se passent dans les coulisses ou derrière les portes fermées. Le corps enseignant de ces institutions n’apprend les décisions qu’une fois prises et ces décisions sont présentées comme inévitables. Un coup de démocratie supplémentaire…
Le paysage que nous décrivons ici n’a rien de réjouissant. Mais nous ne baissons les bras ! Nous ne voulons pas être traité.e.s comme des héro.ïne.s, mais nous ne sommes pas démuni.e.s non plus.
Nous revendiquons :
- une école démocratique où les décisions ne sont pas prises derrière des portes fermées mais par l’ensemble des enseignant.e.s, parents et élèves ;
- des syndicats vivants, dynamiques et de lutte animés par et pour les travailleurs/euses et qui ne négocient pas à leur insu ;
- des formations initiales et continues de qualité et gratuites, qui nous permettent de nous sentir épanoui.e.s dans notre métier ;
- des mesures et du matériel de protection sanitaire dignes de ce nom pour enseigner sans la peur de la contagion ;
- des embauches et stabilisations immédiates de personnel enseignant et de nettoyage, pour garantir l’entretien des locaux, et pour des classes moins nombreuses afin de mieux gérer les besoins de nos élèves ;
- une hausse de salaire des enseignant.e.s, en particulier dans le fondamental dont les salaires sont les plus bas ;
- des investissements massifs dans les infrastructures et bâtiments, souvent vétustes, de la maternelle à l’enseignement supérieur, entre autres pour l’isolation, les sanitaires, et l’aération ;
- des moyens pour équiper les classes et nous équiper du matériel nécessaire pour faire face à l’absentéisme des élèves et aux quarantaines.
Avec la Gauche anticapitaliste, nous défendons la nécessité pour les enseignant.e.s de s’organiser dans des assemblées générales, ouvertes à tout.e.s les affilié.e.s et décisionnelles, en autonomie totale vis-à-vis du pouvoir organisateur et des prétendus « amis politiques » des directions syndicales.
Deux ans après le début de cette pandémie, nous ne pouvons plus faire comme si tout était normal !
Deux ans après, nous revendiquons des mesures fortes à la hauteur de nos besoins et des besoins de nos élèves !
Le groupe d’enseignant.e.s de la Gauche anticapitaliste
Photo de Katerina Holmes provenant de Pexels