Nous reprenons ci-dessous un article publié le 3 décembre 2021 sur le site lanticapitaliste.org.

La chute de la livre turque a atteint la semaine dernière (semaine du 22 novembre 2021 ndlr.) un niveau effrayant pour la population. Plongée dans une crise monétaire depuis plus de trois ans, la Turquie a vu ainsi sa monnaie perdre plus de 60% de sa valeur face au dollar et 50% face à l’euro depuis le début de l’année 2021. Le salaire minimum net a chuté ainsi de 380 dollars à 220 dollars en l’espace seulement d’un an alors que les prix s’envolent.

Le Président Erdogan refuse cependant catégoriquement — car c’est bien lui qui dirige la Banque centrale qui a perdu toute autonomie — de changer sa politique monétaire et de relever les taux d’intérêts, ce qui permettrait de contenir l’inflation.

Une politique dramatique pour les classes populaires

La hausse des prix a atteint des proportions insoutenables, surtout pour les classes populaires, avec par exemple en trois ans 132 % d’augmentation du prix de l’électricité et 95 % pour le chauffage, de même que 85 % pour la farine en seulement six mois. Les médias dominés à 80 % par le régime appellent à réduire les portions pour combattre la crise…

Mais la situation va très probablement empirer dramatiquement après le choc monétaire de la semaine dernière survenu à la suite d’une déclaration d’Erdogan qui annonçait une troisième baisse du taux d’intérêt directeur de 1 % en moins de deux mois. Dénonçant encore une fois un présumé complot international contre la croissance économique de son pays, le Président Erdogan appelle maintenant en grande pompe à une « guerre de libération économique » qui se concrétise par la répression des manifestantEs et internautes qui réclament la démission du gouvernement et des élections anticipées.

Une popularité qui s’effrite

L’effondrement de la monnaie survient alors qu’Erdogan, après 19 ans au pouvoir, est au plus bas de sa popularité (qui reste quand même considérable avec 38 %). Sa capacité à « produire le consentement » des classes populaires qui constituent le gros de sa base électorale se dégrade continuellement. Son parti est de plus en plus considéré par cette base même — et à juste titre — comme un foyer d’arrivistes et de carriéristes qui n’ont d’autres ambitions que d’accaparer les richesses du pays à travers les multiples postes qu’ils occupent dans l’appareil administratif plongé dans une corruption systématique.

Une opposition composite

Le bloc de l’opposition constitué de six partis, allant du centre-gauche laïciste à la droite conservatrice, de l’extrême droite séculaire aux islamistes, appelle aussi à des élections anticipées (les présidentielles et législatives étant normalement prévues pour 2023). Ces partis se sont mis d’accord, en cas d’une victoire qui semble assurée au niveau des pourcentages de vote — si le clan d’Erdogan ne refuse pas de lâcher le pouvoir — à abandonner le système hyper-présidentialiste autocratique en vigueur pour un « régime parlementaire renforcé » qui permettrait une représentation plus équitable des sensibilités politiques à l’Assemblée nationale et assurerait l’indépendance de l’appareil judiciaire qui est pour le moment inféodé à Erdogan et son bloc islamo-fasciste.

Une alternative à construire

L’arrivée au pouvoir du bloc de l’opposition soutenue par la grande bourgeoisie permettra très probablement une relative démocratisation du régime et des avancées concernant les droits et les libertés politiques. Et c’est pour cela que la gauche radicale et le mouvement kurde soutiendront sans doute le candidat qui se trouvera face à Erdogan lors d’un second tour des présidentielles. Toutefois dans le contexte d’une « restauration » de l’État et du capitalisme turcs, les conséquences de ce changement de régime seront probablement très limitées aux niveaux des intérêts de la classe ouvrière et des opprimés et notamment du peuple kurde. Ainsi, en dehors de ces deux blocs de la politique bourgeoise, il est fort possible que se constitue un troisième bloc fondé sur une alliance du parti de gauche pro-kurde (HDP) avec d’autres partis de la gauche révolutionnaire. Cependant ainsi que l’affirme Yeniyol, la section turque de la IVe Internationale, ce bloc ne doit pas se limiter au scrutin mais œuvrer sur des positions anticapitalistes à une reconstruction unitaire de la gauche radicale visant à s’enraciner dans un mouvement ouvrier en pleine ébullition.

Crédit Photo: Recep Tayyip Erdoğan en 2021. Wikimedia commons