Une étude menée par un consortium d’ONG dénonce l’Alliance for a Green Revolution in Africa, pilotée par la Fondation Bill & Melinda Gates, dont le but réel serait d’imposer l’agrobusiness en Afrique subsaharienne. Vous avez dit complot ?
L’alliance for a Green Revolution in Africa (« Alliance pour une révolution verte en Afrique », AGRA) a été créée en 2006 par deux organisations : la Fondation Bill & Melinda Gates et la Fondation Rockefeller. Avec un milliard de dollars de dons à ce jour, c’est la première qui en est aujourd’hui la principale contributrice. Ayant comme but affiché de lutter contre la pauvreté en Afrique subsaharienne, elle visait initialement à doubler la productivité et les revenus de trente millions de petitEs paysanEs en quinze ans, mais aussi à réduire l’insécurité alimentaire dans vingt pays. À l’occasion de l’échéance que l’AGRA s’était elle-même fixée (soit 2020), l’étude « False Promises » tire le bilan. Conclusion ? Un échec pour la population, un succès pour l’agrobusiness.
Une transition à marche forcée
L’AGRA ambitionne de « transformer les conditions d’existence » de millions de paysanEs par l’introduction massive de trois instruments principaux : les semences à haut rendement, les engrais et les pesticides chimiques. Sur ce point, l’organisation peut se vanter d’une réussite : les petitEs producteurEs ont bel et bien vu leur vie transformée. Désormais lourdement endettés auprès d’entreprises agrochimiques, ce sont de plus ces dernières qui décident pour elles et eux des plantes à cultiver (principalement du maïs et du soja), au détriment de la biodiversité, de la qualité des sols et de meilleurs apports nutritionnels. Ces mono ou duocultures les rendent par ailleurs plus vulnérables face à la crise climatique.
Mais si elle a subventionné directement quelques petitEs producteurEs qui ont adopté ces technologies, c’est surtout dans l’intense travail de lobbying auprès de gouvernements africains que l’AGRA a dépensé ses milliards. Elle est ainsi à l’origine d’un groupe d’intérêt nommé African Fertilizer and Agribusiness Partnership, dans lequel elle a injecté 25 millions de dollars, et qui a pour mission de représenter l’industrie des engrais chimiques auprès des gouvernements africains. L’AGRA a avant tout intensivement travaillé pour que ces pays se dotent de programmes de subventions spécifiques, qui soient conditionnés à l’adoption par les paysanEs des méthodes promues par l’agrobusiness.
Les perdantEs de la « révolution verte »
Mais en 14 ans, du point de vue de la vie et non des profits, l’AGRA n’a rien accompli. Au contraire, il y a aujourd’hui 30% de plus de personnes (130 millions) souffrant de la faim dans les treize pays dont l’AGRA avait fait sa priorité. Si on observe dans certains cas une hausse de la productivité (+ 29% pour le maïs, malgré un objectif de + 100% et une promotion agressive), c’est plutôt la stagnation qui prévaut, voire une diminution dans trois des pays. En réalité, les situations d’augmentation ne sont pas dues à un meilleur rendement, mais à une extension des terres cultivées, ce qui a des effets néfastes sur l’environnement. Les paysanEs ont assurément perdu en diversité de semences, notamment certaines plantes traditionnellement bien ancrées dans l’alimentation locale (millet, sorgho). C’est aussi en termes de solidarité et de communauté qu’ils et elles sont lésés, puisque les pratiques d’échanges de graines perdent du terrain face à la prédation capitaliste.
Pas notre révolution verte
Les philocapitalistes, dont Bill et Melinda Gates sont les chefs de file, veulent nous faire croire que la pauvreté et la faim sont des problèmes technologiques. S’ils sont prêts à investir des ressources infinies, c’est que ça doit être vrai, non ? En réalité, « False Promises » démontre (une fois de plus) que la philanthropie des Gates et consorts vise avant tout à imposer ce cadrage et partant, les solutions qui en découlent. Celles-ci sont certes redoutablement efficaces… pour diffuser et renforcer l’ordre capitaliste et la gestion néolibérale des problèmes. L’amélioration des conditions de vie des populations auxquelles elles s’adressent ne sont souhaitables aux yeux de ces entrepreneurs de la charité qu’en termes de relations publiques, et donc non prioritaires. Évidemment, si le problème de la pauvreté était reconnu pour ce qu’il est, c’est-à-dire une distribution dramatiquement inégale des richesses, ses tentatives de remédiation seraient bien différentes.
À l’heure où les complotistes attribuent à Bill Gates les intentions les plus farfelues (il serait à l’origine de la diffusion du coronavirus, profiterait de la campagne de vaccination pour nous implanter secrètement des micropuces, etc.), il s’agit de rappeler la « conspiration » bien réelle à laquelle se livrent les apôtres du capitalisme globalisé au détriment de l’écrasante majorité de la population mondiale.
Article publié dans le numéro 381 de solidaritéS (Suisse)