En 1947-1949, la future « Jérusalem-Ouest » fut elle aussi le lieu d’une politique de nettoyage ethnique.
Avant la création d’Israël et la destruction de la société palestinienne en 1948, Jérusalem était ethniquement hétérogène, les principaux groupes sociaux/religieux répartis dans la ville. Il y avait des quartiers à dominance juive (y compris ceux qui se seraient dits « Juifs palestiniens »), tout comme il y avait des zones chrétiennes palestiniennes ou musulmanes palestiniennes, mais il n’y avait que peu de ségrégation à proprement parler, comme cela sera le cas à partir de 1948 jusqu’à nos jours.
Apartheid de facto et de jure
Cela était vrai à la fois dans la vieille ville, malgré sa division informelle en quartiers, et pour les quartiers situés en dehors des murs de la ville. L’actuelle dimension ethnique de la « Jérusalem-Ouest juive » et de la « Jérusalem-Est palestinienne » ne peut être comprise que comme une situation créée par l’État d’Israël par le nettoyage ethnique et la mise en œuvre de facto et de jure de politiques d’apartheid.
Israël a procédé au nettoyage ethnique des quartiers de l’ouest de Jérusalem durant l’Opération Jevussi, le 26 avril 1948. L’immigration sioniste avait consolidé une majorité juive dans l’ensemble de la ville. Toutefois, les musulmans et chrétiens palestiniens possédaient encore plus de 80 % des biens de la ville, dont 40 % dans la partie ouest. Environ 80 000 Palestiniens furent chassés de Jérusalem, dont quelque 30 000 vivaient dans les quartiers urbains et 50 000 dans les villages alentour. Comme à Jaffa, Haïfa et d’autres zones urbaines, la majorité de la communauté urbaine palestinienne de Jérusalem a fui à l’étranger durant les premiers mois de la guerre, laissant derrière elle ses biens. Les villageois et les plus modestes ont généralement fui à pied et sont finalement devenus des réfugiéEs dans les camps de Cisjordanie et au-delà. Les foyers abandonnés furent pillés puis confisqués par l’État selon une nouvelle « loi des biens des absents » et remis aux Juifs Israéliens.
Israël empêcha le retour de tous les non-Juifs et ne proposa jamais de compensation. Aujourd’hui encore, Israël interdit le retour de PalestinienEs de Jérusalem vivant à l’étranger depuis plus de quelques années, tandis que sont offerts automatiquement des droits de citoyenneté « améliorés » à n’importe quel Juif désirant s’installer à Jérusalem.
Une histoire effacée
De nos jours, les zones de la « Jérusalem-Ouest juive » ethniquement épurées, qui étaient autrefois palestiniennes, sont perçues par les Israéliens ordinaires comme faisant partie intégrante du territoire israélien, aussi « israéliennes » que Tel Aviv ou une quelconque autre ville israélienne, à l’instar de l’ancien quartier palestinien d’al-Baq’a, fermé par les militaires israéliens en 1948, la plupart de ses habitantEs ayant déjà fui.
Jusqu’à la conquête par Israël du reste de Jérusalem en 1967, les quartiers comme al-Baq’a n’étaient pas des lieux où il faisait bon vivre en raison de leur proximité avec la ligne d’armistice (militarisée) avec la Jordanie : les fusillades transfrontalières étaient fréquentes dans les années 1948-1967. Ils furent donc investis par des immigrants juifs venus des pays arabes, qui avaient déjà tendance à être marginalisés dans la société israélienne. Quand Israël conquit le reste de Jérusalem en 1967, la zone fut le théâtre d’une forte gentrification avec un afflux d’Israéliens de classe sociale supérieure souhaitant acquérir des propriétés immobilières. Aujourd’hui al-Baq’a (rebaptisé Baka) est une zone très convoitée, habitée presque exclusivement par de riches Israéliens juifs, prisée pour ses rues ombragées et ses demeures « traditionnelles arabes » ou « de style méditerranéen ».
Ayn Karim (rebaptisé Ein Karem) était un village mixte chrétien et musulman dont la population fut chassée par les forces israéliennes en 1948. À la différence de la plupart des autres villages de Jérusalem-ouest il fut épargné de la destruction physique, peut-être en raison de sa signification religieuse pour la communauté chrétienne internationale, puisque étant le lieu de naissance de Saint Jean-Baptiste. Intégré à Jérusalem en raison de l’extension des limites municipales de la ville, Ein Karem se situe dans une zone verte à l’ouest du centre de la ville, non loin du complexe hospitalier d’Hadassah (l’un des deux principaux hôpitaux de Jérusalem). Ein Karem est aujourd’hui un quartier composé exclusivement de villas, d’une colonie d’artistes, et un lieu dont les Israéliens ordinaires profitent le week-end. Une personne visitant la ville ne trouvera aucune information concernant les anciens habitantEs palestiniens musulmans et chrétiens.
Extrait de « La normalisation du nettoyage ethnique et de l’apartheid à Jérusalem », dans Julien Salingue et Céline Lebrun (dir.), Israël, un État d’apartheid ? Enjeux juridiques et politiques, L’Harmattan, 2013.
Publié dans L’Anticapitaliste.