Dans sa chronique du 27 août pour la RTBF (1)A écouter et lire ici, le journaliste Bertrand Henne a raison: il faut remonter au gouvernement Martens-Gol (1982-87) pour trouver un programme de régression sociale (et donc de régression démocratique) aussi violemment agressif que celui que De Wever a concocté avec le MR, Vooruit, CD&V et les Engagés.

Attaques contre l’index, contre les services publics, contre les fonctionnaires, contre les malades et les hôpitaux, contre les chômeurs et chômeuses, contre les migrant·es, abolition de l’interdiction du travail de nuit (sauf dérogation) et du minimum de 2h de travail/jour,… De plus, sans surprise, la lutte contre la catastrophe climatique est escamotée: la Croissance et la Technologie résoudront les problèmes crées par la Croissance et la Technologie…. Amen.

L’attaque en gestation est pourtant plus qu’une répétition du passé. D’abord parce qu’il y a l’enjeu climatique. Ensuite, parce que le programme de Martens-Gol avait été élaboré en concertation étroite avec la direction de la CSC. J. Houthuys avait ensuite réussi a empêcher l’unité syndicale contre les « trains de pouvoirs spéciaux ». Cette particularité découlait directement du rôle politique central joué à l’époque par le CVP, ancêtre du CD&V actuel et instrument d’intégration active du mouvement ouvrier chrétien a la cogestion du capitalisme. Cette configuration n’a pas vraiment d’équivalent aujourd’hui.

Le CD&V n’est plus que l’ombre du CVP. Il ne peut jouer ce rôle intégrateur que très très marginalement. La nouvelle force dominante, la NVA, ne peut pas remplir le vide – elle est trop ouvertement le prolongement du VOKA. Les Engagés tentent de maintenir la fiction chrétienne d’une politique du « juste milieu », « ni gauche ni droite ». Mais ils ne pèsent pas en Flandre. Or, c’est en Flandre que l’intégration est un enjeu clé (car c’est là qu’est le centre de gravite économique). De plus, les Engagés ont déjà dissipé eux-mêmes les illusions qu’ils avaient semées, en se jetant avec empressement dans les bras de GLouB pour soumettre avec lui la Wallonie et la FWB à un programme de droite très dur.

Dans ce contexte, De Wever est un peu inquiet parce qu’il se souvient de l’histoire récente. Il sait qu’un volcan sommeille au Nord du pays. En 2014, il avait à peine remporté les élections avec éclat qu’un énorme mouvement de grèves en front commun éclatait (grèves tournantes par province, notamment contre la pension à 67 ans). Or, surprise: ce mouvement était particulièrement vigoureux en Flandres, ou des milliers de jeunes travailleurs bloquaient les zonings… On n’efface pas la lutte de classes, un score électoral n’y suffit pas.

C’est la raison pour laquelle, au-delà de l’arithmétique, le chef de la NVA tient tellement a la participation de Vooruit: il espère par ce biais pouvoir diviser la riposte sociale à sa politique de régression. Conner Rousseau embraie, prouvant ainsi qu’il n’est qu’un sous-produit dégénéré du social-libéralisme. La taxation des plus-values, dans la note De Wever, jouait le rôle des sept deniers de Judas. Mais GLouB a dit « sept deniers pour Vooruit, c’est trop cher ». Ce type ne comprend rien à la Flandre, et imagine que ses postures de matamore suffiront à mater les syndicats… Ses provocations pourraient s’avérer dangereuses pour la bourgeoisie. On verra.

En tout cas on a une contradiction: la classe capitaliste a besoin d’imposer une régression plus violente qu’en 82, mais les outils politiques dont elle dispose sont affaiblis dans leur capacité d’encadrement du mouvement social. C’est là que le populisme entre en scène: les campagnes anti-« woke », anti-migrants, anti-allocataires sociaux « profiteurs », anti LGBTQI, sans compter la démagogie productiviste anti-écolo, ne tombent pas du ciel: ces accents trumpiens ont clairement une fonction stratégique de diversion, de division et d’affaiblissement de la conscience de classe. Martens-Gol n’avaient pas besoin de tout ce fatras idéologique de droite extrême. De Wever-Bouchez et leurs complices ne peuvent s’en passer.

Avec son arrogance typique, GLouB ose affirmer que « quand la droite est de droite, il n’y a pas de place pour l’extrême-droite ». C’est évidemment exactement l’inverse. Le populisme est le terrain de prédilection de l’extrême-droite et le MR, plus encore que la NVA, le laboure pour elle. Les syndicats devraient s’en inquiéter sérieusement, et en tirer les leçons. S’ils refont le coup de 2014 – chauffer leurs bases en front commun puis débrancher la prise pour « donner une chance à la concertation » – ils alimenteront la « bête immonde ». Le syndicalisme ne peut sortir de l’ornière qu’en élaborant une alternative et en se donnant les moyens de l’imposer par l’action, en faisant front avec les autres mouvements sociaux. L’imposer y compris aux soi disant « amis politiques ». S’il ne le fait pas, il continuera a décliner… en entrainant beaucoup de choses dans sa chute.


Crédit photo : Bart De Wever et son fils devant le Palais royal de Bruxelles le 22 aout 2024, jour de sa démission en tant que formateur. Source : page Facebook de Bart De Wever

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