La Cour internationale de justice a entamé le 11 janvier l’audition de la requête de l’Afrique du Sud contre Israël au titre de la Convention sur le génocide. Les juristes sud-africains ont présenté un dossier minutieux et rigoureusement documenté qui dénonce le massacre délibéré de civils à Gaza.
Cette semaine, trois mois après la destruction systématique et continue de la vie des Palestiniens à Gaza, l’État israélien sera accusé de génocide devant la Cour internationale de justice (CIJ). D’un certain point de vue, la tournure prise par les événements peut sembler remarquable, mais, d’un autre côté, la seule surprise est peut-être que cela ait pris autant de temps.
À la mi-octobre, une semaine après le début de l’attaque israélienne, déjà perçue comme une campagne de nettoyage ethnique et d’anéantissement, plus de 800 spécialistes du droit international et des études sur les génocides ont publié une déclaration publique pour tirer la sonnette d’alarme face à la perspective d’un génocide en cours dans la bande de Gaza.
Ils ont souligné le devoir de tous les États d’empêcher la perpétration d’un génocide et ont indiqué que les procédures judiciaires devant la CIJ en vertu de la convention de 1948 sur le génocide constituaient l’une des voies à suivre pour tenter d’y parvenir. Depuis lors, vingt-deux rapporteurs spéciaux des Nations unies, quinze groupes de travail des Nations unies, le directeur du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies et le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes se sont tous fait l’écho des mises en garde concernant le génocide.
L’Afrique du Sud a entamé une procédure devant la CIJ contre Israël. Dans sa requête, l’Afrique du Sud affirme qu’« Israël s’est livré, se livre et risque de continuer à se livrer à des actes génocidaires contre le peuple palestinien à Gaza ». Elle demande à la CIJ de rendre une décision provisoire « d’extrême urgence » afin de protéger les Palestiniens d’un « préjudice supplémentaire, grave et irréparable ».
La Cour internationale de justice
La Cour internationale de justice est le principal organe judiciaire du système des Nations unies et statue sur les différends entre États. Elle est entièrement distincte de la Cour pénale internationale (CPI), qui enquête et poursuit les personnes accusées de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocide.
La CPI fonctionne en dehors du système des Nations unies et a été créée par un traité autonome, ce qui pose des problèmes de compétence. Le Bureau du procureur de la CPI a dû attendre jusqu’en 2021 pour simplement confirmer qu’il était compétent pour la Palestine : les Palestiniens l’avaient demandé pour la première fois en 2009, et la Palestine est devenue membre à part entière de la Cour après avoir signé le Statut de Rome en 2015.
En revanche, tous les États membres de l’ONU font partie de la CIJ, qui peut également accueillir des États qui ne sont pas membres de l’ONU mais qui ont signé le statut de la CIJ. La CIJ règle deux types de litiges entre États : les cas de contentieux, qui règlent les différends entre deux ou plusieurs États, et les avis consultatifs visant à déterminer une interprétation correcte du droit à la demande de l’ONU ou de ses agences. La requête de l’Afrique du Sud relève du contentieux car elle allègue une violation de la Convention sur le génocide par Israël et demande des mesures provisoires en guise de réparation.
Si la CIJ concluait à la responsabilité de l’État d’Israël pour génocide, le manque d’intérêt de la CPI à poursuivre les suspects israéliens deviendrait encore plus flagrant qu’il ne l’est déjà. Si toutes les entités juridiques internationales sont politisées par la dynamique et l’économie politique de l’impérialisme, la position de la CPI est particulièrement notoire à cet égard, étant donné qu’elle poursuit presque exclusivement des suspects africains et arabes depuis qu’elle a commencé à fonctionner en 2002. Dans les pays du Sud, la CPI est perçue comme une expression raciste de la « justice des Blancs ». Elle est également confrontée au problème actuel d’un procureur britannique qui est perçu comme étant à la botte des États-Unis et de l’OTAN.
La provenance des quinze juges de la CIJ est géographiquement répartie dans le monde entier, avec une majorité de juges non occidentaux. Comme toute cour, ses traditions et ses tendances sont en fin de compte conservatrices, et elle a joué son rôle dans l’imposition au reste du monde des « normes de civilisation » occidentales par le biais du droit international. Toutefois, la CIJ a également rendu des arrêts dirigés contre les puissances impériales, qu’il s’agisse de condamner l’intervention contre-révolutionnaire des États-Unis au Nicaragua dans les années 1980 ou de réprouver le maintien de la domination coloniale britannique sur les îles Chagos, qu’elle juge aujourd’hui illégale.
Bien que la CIJ n’ait pas de pouvoir coercitif propre pour obliger les États à se conformer à ses décisions, ses arrêts peuvent néanmoins constituer une ressource puissante que les États et les militant.es peuvent utiliser tactiquement dans leurs activités d’agitation et d’éducation politiques.
La plainte sud-africaine
La requête de l’Afrique du Sud affirme, de manière détaillée et convaincante, qu’Israël est responsable à la fois de commettre un génocide à Gaza et de ne pas l’avoir empêché, comme l’indique la référence à l’incitation directe et publique au génocide « qui est restée incontrôlée et impunie ». Ces actes et omissions israéliens sont présentés par l’Afrique du Sud comme ayant un caractère génocidaire parce qu’ils ont été commis dans l’intention de « détruire les Palestiniens de Gaza en tant que partie du groupe national, racial et ethnique palestinien plus large ».
Sur les cinq actes de génocide possibles énumérés dans la Convention sur le génocide, l’Afrique du Sud documente la perpétration systématique par Israël de quatre d’entre eux à Gaza, à savoir :
– Tuer des Palestiniens, « à un rythme d’environ une personne toutes les six minutes » ; plus de 21 110 Palestiniens tués au moment où la plainte a été déposée ; 7 780 autres disparus et présumés morts sous les décombres.
– Causer des dommages corporels ou mentaux graves aux Palestiniens : plus de 55 243 Palestiniens blessés ; un « traumatisme mental grave » causé par les bombardements extrêmes et l’absence de zones sûres.
– Imposer délibérément des conditions de vie conçues pour entraîner la destruction physique totale ou partielle du groupe palestinien : déplacement forcé de 85 % de la population « dans des zones de plus en plus réduites de Gaza, où elle continue d’être bombardée par Israël ; la faim généralisée, la déshydratation et la « famine de masse imminente » des Palestiniens assiégés ; les attaques systématiques contre les hôpitaux et la privation d’accès aux soins de santé, à l’électricité, au logement, à l’hygiène, à l’assainissement, aux moyens de subsistance, à l’éducation, à la vie culturelle ; en bref, la « destruction de l’infrastructure nécessaire à la vie ».
– Imposer de mesures destinées à empêcher les naissances palestiniennes « par la violence reproductive infligée aux femmes, aux nouveau-nés, aux nourrissons et aux enfants palestiniens ».
Les trente pages du mémoire de quatre-vingt-quatre pages de l’Afrique du Sud qui exposent ces actes génocidaires constituent une lecture dévastatrice. Elles sont suivies de huit autres pages glaçantes de citations et de déclarations d’intention génocidaire de représentant.es de l’État israélien qui « indiquent en elles-mêmes une intention claire de détruire les Palestiniens de Gaza en tant que groupe ». L’Afrique du Sud affirme également que l’intention génocidaire « doit être déduite de la nature et de la conduite de l’opération militaire israélienne à Gaza ».
L’intention de détruire un groupe est souvent considérée comme l’élément du génocide le plus difficile à prouver et constitue souvent la distinction entre une guerre brutale et une campagne de génocide. La documentation fournie par l’Afrique du Sud montre que la rhétorique génocidaire qui a accompagné la campagne israélienne à Gaza a été manifeste et omniprésente depuis le début. La base de données des déclarations israéliennes d’intention et d’incitation génocidaires compilée par le groupe juridique Law for Palestine compte désormais plus de cinq cents entrées.
Lorsqu’ils saisissent la CIJ, les États peuvent demander à la Cour d’ordonner des « mesures conservatoires » en cas d’urgence. La Cour doit traiter cette demande en priorité. Elle peut rapidement convoquer des audiences et rendre une décision sur les mesures provisoires demandées, avant de statuer ultérieurement sur le fond de l’affaire.
L’Afrique du Sud a demandé une série de neuf mesures conservatoires, notamment d’ordonner à Israël de cesser de perpétrer un génocide, de prévenir et de punir tout acte génocidaire et toute incitation à commettre un génocide, de préserver les preuves relatives à toute allégation de génocide et, ce qui va le plus loin, de suspendre immédiatement les opérations militaires à Gaza et contre Gaza.
Des contre-arguments ?
Lorsque la demande de l’Afrique du Sud a été rendue publique, les porte-parole et le ministère des affaires étrangères d’Israël se sont empressés de la qualifier de façon méprisante de « libelle sanguinaire ». Ils sont ainsi montés d’un cran par rapport à leur précédent dénigrement préventif de toute enquête potentielle de la CPI sur les crimes de guerre israéliens, qu’ils qualifiaient de « pur antisémitisme ». Au-delà de ces tentatives éhontées de détournement de l’attention, Israël pourrait essayer de faire valoir qu’il n’y a pas de différend entre l’Afrique du Sud et Israël, et que la CIJ ne devrait donc pas se saisir de la requête.
La Cour aura des raisons de rejeter cet argument : la plainte de l’Afrique du Sud énumère une série de cas, entre octobre et décembre 2023, où des fonctionnaires sud-africains ont fait part de la position de l’Afrique du Sud selon laquelle Israël commet un génocide. Il s’agit notamment d’une communication directe au gouvernement israélien, l’appelant à cesser ses attaques à Gaza et à s’abstenir de violer la convention sur le génocide.
Israël pourrait également soutenir que l’Afrique du Sud n’a pas qualité pour intenter une action en justice, car elle n’est pas directement affectée par les actions d’Israël à Gaza. Mais la jurisprudence de la Cour a confirmé un principe juridique selon lequel les violations de traités tels que ceux qui interdisent le génocide et la torture ne concernent pas seulement la partie lésée, mais la communauté internationale dans son ensemble.
La CIJ a également souligné dans son arrêt Bosnie contre Serbie que l’obligation de tous les États de prévenir le génocide devait être interprétée au sens large. Dans ses observations, l’Afrique du Sud souligne qu’elle a introduit cette requête en reconnaissance des obligations qui lui incombent en vertu de la convention en matière de prévention du génocide.
En ce qui concerne les questions de fond relatives à l’intention et à la conduite génocidaires, Israël a laissé entendre qu’il soutiendrait que certaines des déclarations d’intention ont été faites par des fonctionnaires qui n’ont pas de pouvoir de décision sur les opérations à Gaza, tandis que ceux qui ont un tel pouvoir ne pensaient pas réellement tout ce qu’ils ont dit. Au-delà de la véracité très discutable de ces affirmations, le fait est qu’Israël n’a supprimé aucune de ces déclarations d’intention, manquant ainsi à son devoir de prévention du génocide.
De même, Israël fera valoir que ses attaques à Gaza sont dirigées contre le Hamas et les groupes armés palestiniens, et non contre la population dans son ensemble. Il mettra probablement en avant la désignation (trompeuse) de soi-disant « zones de sécurité » à Gaza, la contribution de ses conseillers juridiques au respect du droit international, ainsi que son soutien rhétorique à un gouvernement d’unité palestinienne, pour prouver qu’il ne vise pas les Palestiniens en tant que groupe.
Toutefois, des phénomènes tels que les exécutions de civils sur le terrain et le ciblage de bâtiments résidentiels généré par l’intelligence artificielle, désigné sous le nom de « power targets », compromettent gravement cette affirmation. Sans parler des innombrables messages postés sur les réseaux sociaux, comme ceux de soldats israéliens déplorant de ne pas avoir trouvé de bébés à tuer ou annonçant leur date de mariage en bombardant des maisons à Gaza, qui témoignent d’une dévalorisation absolue de la vie civile palestinienne parmi les troupes israéliennes.
Un autre argument israélien pourrait être que la CIJ ne devrait pas rendre de décision qui porte atteinte au droit d’un État à l’autodéfense. L’argument est ici multidimensionnel et se rapporte à des règles qui se chevauchent concernant l’usage de la force, l’occupation militaire et l’autodéfense.
Il est bien établi qu’Israël n’a pas le droit de se défendre sur le territoire qu’il occupe, un principe qui a été affirmé par la CIJ elle-même dans son avis consultatif de 2004 sur le tracé du mur en Cisjordanie. Israël le conteste, mais que son recours à la force à Gaza soit ou non qualifié d’autodéfense, cela ne réfute en rien l’essentiel des accusations de l’Afrique du Sud en matière de génocide.
Les arguments d’Israël concernant la légitimité de ses opérations militaires seront également affaiblis par le fait qu’il n’a pas encore atteint un seul objectif militaire important. Bien qu’il ait utilisé un arsenal équivalent à deux bombes atomiques et causé un nombre sans précédent de morts et de destructions, il n’a pas éradiqué le Hamas, n’a pas retourné les Palestiniens contre le Hamas et n’a pas récupéré d’otages et de captifs par des moyens militaires.
Les conséquences
Les audiences sur les mesures provisoires ont lieu aujourd’hui et demain (retransmises en direct ici). D’après les pratiques récentes, la Cour rendra son ordonnance entre une semaine et un mois plus tard. Il est probable qu’elle accorde un grand nombre des mesures provisoires demandées par l’Afrique du Sud.
À ce stade, la Cour n’aura pas à prendre de décision définitive sur la question de savoir si Israël commet un génocide. La phase ultérieure de la procédure sera encore plus litigieuse, car le seuil à franchir pour établir de manière concluante un génocide est élevé. Selon la jurisprudence antérieure de la CIJ sur ces questions, pour prouver l’intention génocidaire sur la base d’un modèle de comportement lui-même, plutôt que d’expressions explicites de cette intention, l’Afrique du Sud devra démontrer que le comportement ne peut s’expliquer « que » par l’existence d’une intention génocidaire.
Pour l’instant, la CIJ doit simplement être convaincue qu’au moins certains des actes allégués par l’Afrique du Sud pourraient « au moins de manière plausible » relever du champ d’application de la convention sur le génocide, ce qui est une barre relativement basse qui devrait être franchie sans problème dans le cas présent. Si tel est le cas, la Cour peut ordonner à Israël de cesser entre-temps toute action causant des dégâts.
La requête passera ensuite aux étapes suivantes pour que la Cour confirme sa compétence et rende un arrêt définitif sur le fond de l’affaire. Cette procédure prendra probablement plusieurs années.
Si la CIJ ordonne des mesures provisoires à ce stade – et les experts juridiques israéliens ont mis en garde l’armée contre un « risque réel » que la CIJ lui ordonne de cesser le feu – Israël sera formellement lié par cette décision. Cependant, il refuse déjà de confirmer qu’il se conformera à la décision de la Cour, quelle qu’elle soit.
L’absence de force coercitive ne rend pas pour autant inutile un arrêt de la CIJ. Une décision en faveur de l’Afrique du Sud isolerait encore plus politiquement Israël et son principal allié, les États-Unis. À ce jour, les États-Unis ont passé outre à deux reprises la volonté de la communauté internationale exigeant un cessez-le-feu au Conseil de sécurité, malgré les mesures exceptionnelles invoquées par le Secrétaire général des Nations unies (article 99) et l’Assemblée générale des Nations unies.
Une décision de la CIJ sur la perpétration de génocide, ou sur l’incapacité à le prévenir, jetterait une ombre sur la campagne israélienne soutenue par les États-Unis et renforcerait son illégitimité aux yeux du monde. Cela donnerait également aux États plus de pouvoir pour intervenir dans les futures procédures de la CIJ, ainsi que pour engager des poursuites nationales contre les auteurs israéliens.
Des États comme la Malaisie, la Turquie et la Bolivie ont déjà fait des déclarations publiques soutenant la demande de l’Afrique du Sud. Certains pays occidentaux, comme la France et le Canada, n’ont pas exprimé de position sur l’affaire elle-même, mais ont souligné qu’ils soutenaient la CIJ en tant que forum légitime. Les États peuvent également présenter ultérieurement des observations officielles à la Cour pour soutenir ou s’opposer à la plainte de l’Afrique du Sud.
Selon les règles de la CIJ, les États ont le droit d’ « intervenir » dans la procédure en soumettant leurs propres positions juridiques. Un grand nombre d’États l’ont fait, par exemple, pour soutenir l’action en cours de l’Ukraine contre la Russie. Dans une autre affaire, où la Gambie accuse le Myanmar de génocide à l’encontre du peuple Rohingya, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas et le Canada ont soumis, il y a seulement six semaines, une déclaration soutenant la plainte et plaidant en faveur d’une compréhension large de ce qui constitue un génocide, en particulier lorsque des enfants sont concernés. Il serait révélateur qu’ils ne fassent pas de même dans le cas d’Israël.
Les États disposent également de leurs propres moyens pour poursuivre les Israéliens devant leurs tribunaux nationaux. Le principe de la compétence universelle permet aux États de poursuivre, au nom de la communauté mondiale, les personnes accusées de crimes graves au regard du droit international, y compris de génocide. Une décision de la CIJ renforcerait l’autorité d’un État à poursuivre les Israéliens accusés d’avoir participé, commis et/ou incité au génocide devant leurs tribunaux nationaux.
Bien que les États-Unis aient, sans surprise, dénoncé la plainte de l’Afrique du Sud comme étant « sans fondement, contre-productive et sans aucune base factuelle », Israël a reconnu les risques accrus posés par une décision de la CIJ en faveur de l’Afrique du Sud. Une décision de la CIJ signifiant aux États qu’Israël doit s’abstenir de commettre un génocide à Gaza rendra plus difficile, sur le plan politique, la poursuite de la fourniture des armes qu’Israël pourrait utiliser pour perpétrer des actes génocidaires.
La CIJ elle-même a souligné que l’étendue du devoir d’un État d’empêcher qu’un génocide soit commis par un autre État est concomitante à sa capacité d’influencer cet autre État – un point particulièrement pertinent pour les États-Unis et l’UE dans ce cas. Le ministère israélien des affaires étrangères a admis en privé que la décision de la CIJ « pourrait avoir des implications potentielles significatives qui ne relèvent pas seulement du monde juridique mais qui ont des ramifications pratiques bilatérales, multilatérales, économiques et sécuritaires ».
Indépendamment des conclusions des tribunaux internationaux, l’allégation de génocide en vertu de la Convention sur le génocide est d’une grande utilité. Depuis le début de la campagne brutale d’Israël, des millions de personnes dans le monde l’ont accusé de génocide, de Tokyo à Séoul, d’Amman au Caire, de Berlin à Londres, de Sydney à New York. Si la reconnaissance populaire d’une atrocité de masse n’équivaut pas à une conclusion juridique, elle est tout aussi importante pour établir les fondements moraux et politiques de la responsabilité.
Le contexte
Une liste importante d’États a condamné les actions d’Israël au cours des derniers mois en les qualifiant de génocides, et des avocats et des groupes d’activistes de presque tous les pays ont demandé à leurs gouvernements d’invoquer la Convention sur le génocide à l’encontre d’Israël. Le fait que l’Afrique du Sud soit finalement à l’origine de cette affaire a certaines résonances.
La lutte contre l’apartheid a eu son propre engagement auprès de la CIJ par le biais d’une série d’affaires qui contestaient l’occupation du régime d’apartheid et l’imposition de la suprématie blanche en Namibie. Bien que les résultats de cette saga juridique globale aient été au mieux mitigés, elle a donné lieu à quelques tentatives « révolutionnaires » de la part d’États africains pour perturber la complicité internationale avec le racisme et l’apartheid.
L’Afrique du Sud post-apartheid et la Namibie ont été parmi les États les plus disposés, ces dernières années, à adopter une position sérieuse et durable sur la Palestine en tant que cause anticoloniale et anti-apartheid. Alors que des personnalités telles que Josep Borrell, chef des affaires étrangères de l’UE, accusent effectivement les organisations de défense des droits de l’homme d’antisémitisme pour leurs rapports sur l’apartheid israélien, Naledi Pandor, la ministre sud-africaine des affaires étrangères, fait pression pour qu’Israël soit officiellement déclaré un régime d’apartheid par les Nations unies. L’engagement constant de cette position au niveau de l’État est également dû à la force de l’activisme de solidarité avec la Palestine en Afrique du Sud par l’intermédiaire des syndicats et des mouvements sociaux.
La requête de l’Afrique du Sud auprès de la CIJ ne désigne pas le sionisme comme une forme de racisme et de colonialisme, comme l’ont fait les interventions des pays du Tiers-monde à l’ONU au cours des décennies passées, en liant la cause palestinienne aux luttes anti-apartheid en Afrique australe à une époque où l’apartheid et le sionisme présentaient d’intenses affinités impériales. Mais la plainte place explicitement et de manière cruciale « les actes de génocide dans le contexte plus large de la conduite d’Israël à l’égard des Palestiniens pendant les 75 ans d’apartheid » et note que « les actes de génocide s’inscrivent inévitablement dans un continuum ».
Le cas de l’Afrique du Sud impose un examen juridique auquel tous les États devront se soumettre dans l’urgence du moment, alors que les Palestiniens de Gaza continuent d’être massacrés et affamés sous leurs yeux. Il s’agit d’une intervention vitale pour soutenir le peuple palestinien et pour donner une expression juridique au cri de ralliement mondial de ces derniers mois dévastateurs : arrêtez le génocide !
Cet article a été initialement publié le 11 janvier 2014 dans Jacobin (Etats-Unis), et en français sur le site de Contretemps. Traduction par Contretemps.
Crédit photo: rajatonvimma /// VJ Group Random Doctors; Wikimedia Commons.
Noura Erakat est avocate spécialisée dans les droits humains et professeure associée au département d’études africaines de l’université Rutgers (Etats-Unis). Ses recherches portent sur le droit humanitaire, le droit des réfugiés, le droit de la sécurité nationale et la théorie critique de la race. Elle est l’autrice de Justice for Some : Law As Politics in the Question of Palestine (Stanford University Press, 2019) et coéditrice de Aborted State ? The UN Initiative and New Palestinian Junctures, une anthologie liée aux candidatures palestiniennes de 2011 et 2012 au statut d’État à l’ONU. Elle est également cofondatrice de la revue en ligne Jadaliyya et membre du comité éditorial du Journal of Palestine Studies.
John Reynolds enseigne à l’université de Maynooth (Irlande). Sa recherche porte sur le droit international en relation avec le colonialisme, le racisme, l’apartheid, l’urgence humanitaire et l’économie politique. Il est l’auteur de Empire, Emergency and International Law (Cambridge University Press, 2017) et rédacteur en chef de la revue en ligne Third World Approaches to International Law Review.