La vingt-troisième conférence des Parties signataires de la convention cadre des Nations unies sur le climat vient de se terminer à Bonn, en Allemagne. Il s’agissait d’une réunion intermédiaire entre la COP21 à Paris en 2015 et la COP24 qui aura lieu à Katowice (Pologne) en 2018.

Comme on le sait, Paris avait débouché sur un accord dit « historique » concernant le réchauffement à ne pas dépasser à la fin du siècle (par rapport à l’ère pré-industrielle): « rester bien au-dessous de 2°C et continuer les efforts pour ne pas dépasser 1,5°C ».

Katowice sera une étape plus importante que Bonn : les Etats signataires devront dire comment et dans quelle mesure ils hausseront le niveau de leurs ambitions afin de combler le fossé entre les réductions d’émissions de gaz à effet de serre prévues effectivement dans leurs « plans climat » nationaux, d’une part, et les réductions qui seraient nécessaires globalement pour atteindre les objectifs globaux fixés sur le papier à Paris, d’autre part. La Belgique, pour sa part, n’a pas de plan climat digne de ce nom.

Les Nations Unies consacrent chaque année un rapport spécial au défi du « fossé des émissions ». Selon l’édition 2017 (Emissions Gap Report 2017), le fossé est « d’une ampleur alarmante». C’est le moins que l’on puisse dire : les plans climat (ou « Contributions nationalement déterminées » – CND) des Etats ne représentent qu’un tiers des réductions d’émissions qu’il faudrait effectuer pour rester au-dessous de 2°C de hausse de la température… et (mais le rapport ne le dit pas) moins d’un quart des réductions qu’il faudrait effectuer pour rester au-dessous de 1,5°C.

Or, le temps est compté, les délais sont de plus en plus serrés. Le rapport précise : « Si le fossé d’émissions n’est pas comblé en 2030, il est extrêmement improbable que l’objectif de ne pas dépasser 2°C pourra être atteint. Même si les CND actuelles étaient complètement concrétisées, le budget carbone pour 2°C serait épuisé à 80% en 2030. Sur base des estimations actuelles du budget carbone, le budget carbone pour 1,5°C sera déjà épuisé d’ici 2030 ». [1]

Pour rappel, le « budget carbone » est la quantité de carbone qui peut encore être envoyée dans l’atmosphère avec une probabilité X de ne pas dépasser une hausse de Y°C à la fin du siècle. La probabilité relative aux budgets carbone de 2°C et de 1,5°C mentionnés dans le Emissions Gap Report 2017 est de 65%. (Entre parenthèses : c’est peu. Que faites-vous si on vous dit que l’avion dans lequel vous montez a 65% de chances de ne pas exploser en vol ?).

Revenons à la question des délais. Pour que le fossé soit comblé en 2030, il faut que les mesures soient prises au plus tard en 2020 – dans trois ans – et qu’elles multiplient par trois les réductions d’émissions prévues dans les CND. L’année 2020 est la première échéance prévue à Paris pour l’adaptation des CND en vue de combler le fossé.

Pour préparer cette négociation cruciale, les gouvernements ont prévu un processus appelé « dialogue facilitateur » (facilitative dialogue) qui commence en 2018. Le rapport des Nations unies sur le fossé écrit donc noir sur blanc : « Le dialogue facilitateur et la révision 2020 des CND sont la dernière chance de combler le fossé d’émissions en 2030. »

« La dernière chance de combler le fossé » veut bien dire : la dernière chance de rester au-dessous de 2°C de réchauffement à la fin du siècle. Pour rappel, un réchauffement de 2°C impliquera fort probablement – et irréversiblement – une hausse du niveau des océans de 4,5 mètres environ à l’équilibre…

Vu l’ampleur des efforts à fournir pour être en ligne avec les objectifs de Paris et le délai extrêmement bref dans lequel ces efforts doivent être décidés et appliqués effectivement, ce n’est pas de fossé qu’il faut parler, mais de précipice.

Est-il possible de combler le fossé – de ne pas tomber dans le précipice ? Une fois de plus, la réponse à cette question est double : techniquement, oui. Dans le cadre du productivisme capitaliste, non.

La convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, adoptée en 1990 à Rio, fixait comme objectif de ne pas dépasser un « niveau dangereux » de réchauffement. Il a fallu vingt-cinq ans et vingt-et-une COP pour décider de chiffrer ce niveau dangereux : ne pas dépasser 2°C et « continuer les efforts (sic) pour ne pas dépasser 1,5°C. »

Au vu de cette lenteur, il faut être naïf ou très optimiste pour penser que deux années suffiront maintenant pour que les gouvernements du monde se mettent d’accord sur les mesures à prendre pour multiplier leur effort par trois afin de respecter l’objectif des 2°C, et par quatre pour respecter celui des 1,5°C (en fait, celui qui devrait absolument être atteint).

Vingt-cinq ans après Rio, en effet, les émissions globales continuent d’augmenter. Elles augmentent faiblement, certes (0,9%, 0,2% et 0,5% respectivement en 2014, 2015 et 2016)… mais elles augmentent… alors qu’elles devraient diminuer très fortement et très rapidement!

Il est certes positif que les Etats-Unis soient très isolés politiquement sur l’enjeu climatique, d’une part, et que certains Etats de l’Union (la Californie en première ligne) défient ouvertement Trump et sa clique de criminels climatiques, d’autre part. N’empêche que le retrait étasunien pèse sur les négociations.

Ce retrait va rendre encore plus difficile de combler le fossé. La Contribution nationalement déterminée des USA consistait en une promesse de réduction des émissions à hauteur de 2 gigatonnes de CO2. Ces 2 Gt équivalent à 20% de l’effort très insuffisant que constituent les CND pris dans leur ensemble. Ils s’ajoutent par conséquent aux mesures à prendre d’ici trois ans.

Il faut d’ailleurs noter que les USA se retirent sans se retirer vraiment : présents à Bonn, ils ont continué – comme sous Obama – à freiner des quatre fers sur le fonds vert pour le climat. Pour rappel : cent milliards de dollars par an que les pays développés se sont engagés à mettre à disposition du Sud à partir de 2020, pour l’adaptation et la mitigation du changement climatique dont les pays riches sont les principaux responsables et les pays pauvres les principales victimes.

Ce fonds vert a été décidé lors de la COP16 de Cancun en 2010 mais l’objectif des cent milliards est très loin d’être atteint (c’est un euphémisme). L’occasion faisant le larron, d’autres pays – l’Union européenne en particulier – ont tiré prétexte de l’attitude étasunienne pour éviter de répondre aux questions concrètes des pays du Sud et des ONG : combien d’argent ? Quand? Sous quelle forme (dons ou prêts?).

La vérité est que, de COP en COP, le capitalisme mondial continue à rapprocher l’humanité du précipice. Face à cette situation angoissante, on tente de nous rassurer en égrenant des chiffres sur l’augmentation de la part de l’énergie d’origine renouvelable dans le « mix énergétique ». Cette augmentation est en effet très rapide, et elle va s’accélérer dans les années qui viennent parce que l’électricité produite par les renouvelables est globalement moins chère dorénavant que l’énergie produite par combustion des fossiles.

Cependant, ces discours rassurants nous induisent en erreur car l’indicateur à prendre en compte, c’est la baisse des émissions, pas la hausse de la part des renouvelables. Or, tant qu’on ne met pas en cause la croissance, donc la course au profit, la part des renouvelables peut augmenter en même temps qu’augmentent les émissions de gaz à effet de serre, et c’est exactement ce qui se passe depuis une quinzaine d’années.

Comment le capitalisme se tirera-t-il de cet énorme problème ? Pour Trump et les crétins criminels dans son genre, la question ne se pose pas : la catastrophe qui vient est soit naturelle, soit une punition que Dieu inflige à l’humanité pour ses mœurs dépravées. Prions, mes frères… Et, dans les deux cas, malheur aux pauvres!

Mais les autres, les porte-parole du capital qui ne se réfugient pas dans le climato-négationnisme, celleux qui savent que la menace est réelle, terrible et que la catastrophe est déjà en marche, que feront-iels pour tenter de relever le défi ? Que feront-iels quand ils constateront qu’il est impossible de combler le fossé parce que le capitalisme ne peut pas se passer de croissance ? Iels se rallieront à la géoingénierie dans l’espoir d’éviter quand même de basculer dans le précipice.

Fait significatif: pour la première fois, le rapport des Nations unies sur le fossé des émissions comporte un chapitre sur les technologies à émissions négatives, autrement dit les technologies qui permettraient de retirer du carbone de l’atmosphère « au cas où » les mesures de réduction des émissions continueraient à être insuffisantes pour respecter les 2°C- 1,5°C. Il est de plus en plus évident que la réserve « au cas où » est une formule de style pour éviter de dévoiler la vérité brutale: malgré tous ses moyens techniques et scientifiques, l’humanité va au désastre à cause de la course au profit imposée par une minorité de la population.

Mais revenons aux technologies à émissions négatives. Certaines de ces technologies sont dignes d’apprentis sorciers. C’est le cas en particulier de la bio-énergie avec capture et séquestration du carbone (BECCS), autrement dit la production d’électricité par combustion de biomasse en remplacement des fossiles, avec capture du CO2 et stockage géologique de celui-ci.

Pour que la BECCS ait un impact climatique significatif, il faudrait d’énormes quantités d’eau (3% de l’eau douce utilisée à des fins humaines aujourd’hui) et de très grandes superficies consacrées aux cultures énergétiques industrielles. En clair, on devra donc choisir entre la peste et le choléra : soit une concurrence avec la production de nourriture, soit une destruction terrible de la biodiversité (je veux dire:  encore plus terrible). Ou les deux à la fois.

On nous dit que d’autres technologies sont douces : afforestation, reforestation, gestion des sols favorables au stockage du carbone, restauration des zones humides, des mangroves, etc. C’est exact, elles sont douces en soi. Mais l’expérience montre que des technologies douces en soi peuvent avoir des effets socialement très durs quand elles sont pilotées par la recherche du profit maximum et de l’extension des marchés. La logique capitaliste montre déjà comment les peuples indigènes sont coupés de la forêt au nom du climat (REDD, REDD+, etc). Cela ne peut que s’accentuer dans le cadre d’une généralisation sous gestion capitaliste des technologies « douces » à émissions négatives.

Cependant, dans le cadre capitaliste, les technologies douces ne suffiront pas. Elles pourraient suffire mais ne suffiront pas dans ce cadre parce quelles sont moins intéressantes du point de vue capitaliste que la BECCS. En effet, la BECCS offre des marchés à l’industrie lourde et permet au capital de réaliser une double opération : vendre de l’électricité, d’une part, et se faire rémunérer par la collectivité pour retirer du CO2 de l’atmosphère, d’autre part.

Intéressant à cet égard: on apprend au détour d’un paragraphe du Emissions Gap Report 2017 qu’il reste tout à fait possible de rester sous les 2°C de réchauffement sans recourir à la bio-énergie avec capture et séquestration du carbone. Pourquoi alors plus de 90% des scénarios de transition élaborés par les scientifiques misent-ils sur le déploiement de cette technologie?  Parce que la plupart des scientifiques qui travaillent sur les scénarios considèrent que la loi du profit est une loi naturelle, aussi incontournable que la loi de la pesanteur.

Il n’y a rien, strictement rien à attendre des négociateurs des COP. Leurs discours lénifiants et satisfaits visent uniquement à endormir les populations. Le sauvetage du climat dans la solidarité dépend uniquement de notre capacité de lutter et, par nos luttes, de jeter les bases d’une logique sociale alternative à celle du profit: la logique de la satisfaction des besoins sociaux démocratiquement déterminés dans le respect des limites écologiques.