Cette carte blanche a été parue dans le journal L’Écho le jeudi 3 mai est signée par plusieurs associations qui demandent de limiter le déploiement de ces compteurs et que le consommateur moyen n’en supporte pas le coût. Il nous semblait important de la diffuser également.

Embrayant le pas aux Régions wallonne et flamande, la Région bruxelloise débattra bientôt de l’adoption d’un encadrement légal des compteurs électriques communicants. Or, le dispositif – qui serait imposé au consommateur – a de quoi inquiéter.

Voilà près de 10 ans que la Commission européenne, sous l’impulsion d’un lobby puissant de fabricants de compteurs, presse les États de déployer massivement les compteurs communicants. L’ambition initiale du dispositif serait de rendre le consommateur « actif » dans la transition énergétique en l’incitant, par des formules tarifaires avantageuses, à consommer de l’énergie pendant les heures où la production est plus élevée que la demande.

À Bruxelles, un récent projet d’ordonnance dresse aujourd’hui les grandes lignes du dispositif, tandis que Sibelga prévoit déjà l’installation de 90.000 unités pour 2022. Le bruit court, par ailleurs, que certains fournisseurs de compteurs classiques en cesseraient la production. Bref, les compteurs communicants sont à nos portes et – à en croire le projet d’ordonnance – nous devrions les ouvrir, qu’on le veuille ou non. Mais à qui profiteront-ils donc ?

Nécessaire, pour qui ?

Les compteurs communicants suscitent un vif intérêt économique du gestionnaire de réseau: gestion de la distribution à distance (ouverture et fermeture des compteurs,…), suppression du travail de relevé des compteurs, limitation de la puissance de certains compteurs en fonction de l’offre du réseau, etc. Pour une écrasante majorité de consommateurs, ils n’offrent à peu près aucun avantage. Au contraire. Non seulement de nombreux retours d’expérience battent en brèche l’idée selon laquelle les compteurs intelligents permettraient une réduction substantielle de consommation, mais le « déplacement de la charge » – c’est-à-dire le report des consommations de pointe sur les heures creuses – pourrait, lui aussi, tenir du mirage. L’unique avantage d’un compteur communicant reviendrait en réalité, pour les férus de domotique, richement dotés et ultra-connectés, à lancer tel ou tel appareil consommateur d’énergie (machine à laver,…) aux heures creuses de demande en énergie. Cela ne représente qu’une proportion congrue de la population, vu le coût de tels équipements et l’exigence d’un tel comportement. L’expérience française montre d’ailleurs que la proportion de ménages qui choisissent d’activer la lecture des données (de leur compteur intelligent) n’est que de 1,5%.

Compter, coûte que coûte?

Bref, avec un coût de 30 à plus de 50 euros par ménage et par an, le déploiement des compteurs communicants serait – pour une écrasante majorité de ménages – aussi inutile que coûteux. Or, les risques ne sont pas que financiers.La protection des consommateurs pourrait également en pâtir. Des opérations telles que la coupure ou la limitation de puissance, pour défaut de paiement, seraient ainsi réalisées à distance, accélérant et déshumanisant encore un acte technique lourd de conséquences sur la dignité humaine. Par ailleurs, et même si cela ne semble heureusement pas participer aux intentions politiques bruxelloises actuelles, le compteur à budget – qui agit comme un véritable outil d’exclusion sociale en provoquant l’autocoupure une fois le prépaiement épuisé – pourrait être remis au goût du jour, sous la pression de certains opérateurs.

Enfin, la puissance mise à disposition de certains ménages pourrait également être temporairement limitée afin de pallier les insuffisances d’un réseau auquel la demande serait amenée à s’adapter, plutôt que l’inverse.Si les compteurs communicants inquiètent, c’est aussi en raison d’un risque majeur de protection des données et de respect de la vie privée. Car ils ouvrent l’accès à une mine d’informations personnelles: nombre d’occupants, horaires, niveau d’équipement, etc. Ces données personnelles pourraient valoir leur pesant d’or si elles étaient monnayées. À cet égard, en France, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a récemment mis en demeure un fournisseur pour sa collecte de données.

Du reste, les compteurs communicants risquent de fragiliser le système électrique et seraient sensibles au piratage informatique, leur cybersécurité n’ayant pas été pensée convenablement. En plaçant des compteurs communicants dans chaque maison, on loge en fait un mini-ordinateur en communication avec l’extérieur. Le compteur devra pouvoir recevoir des mises à jour et offrir ainsi des possibilités de piratage.

Quand on parle de compteurs communicants, il faut comprendre que ces derniers sont la face visible d’un grand réseau numérique, fait de concentrateurs et bases de données. Il est évidemment crucial de veiller à la sécurité de ce réseau, non seulement pour éviter des fraudes, mais surtout pour anticiper d’éventuelles attaques de hackers qui pourraient mettre des parties du réseau hors de fonctionnement. Leur durée de vie est supposée être de 15 ans, ce qui est très long au regard des progrès informatiques. Dans la mesure où aucun nouveau module « hardware » n’est censé venir remplacer une partie qui deviendrait obsolète, il est probable que les compteurs communicants deviennent de plus en plus vulnérables à des attaques, et ceci malgré toutes les mises à jour qu’on pourra faire.

Question éthique

Ces compteurs exposent également la population à une source supplémentaire de pollution électromagnétique, dont les dommages sur la santé suscitent d’ores et déjà une vive opposition, entre autres aux Etats-Unis et en France, où plus de 594 communes ont déjà voté contre « Linky ». Le fait d’imposer aux personnes électro-hypersensibles, qui souffrent de nombreux maux liés aux ondes (jusqu’à 7% de la population selon certaines statistiques), une source supplémentaire d’exposition pose de graves questions éthiques.

Enfin, ces compteurs ouvrent la voie à une complexification considérable des formules tarifaires, privant le consommateur de la possibilité de poser encore un choix éclairé, d’agir sur sa facture et de tirer bénéfice du marché concurrentiel de l’électricité. Une possibilité déjà mise à mal aujourd’hui, puisque les cinq produits les plus chers sur les marchés bruxellois de l’électricité concentrent trois fois plus de parts de marché que les cinq produits les moins chers.

Si, à l’issue d’un débat démocratique, le législateur entend déployer ces compteurs, nous demandons qu’il se limite aux consommateurs qui en auraient une utilité avérée – propriétaires de voitures électriques, prosumers, gros consommateurs (industriels)…? – et uniquement dans la seule mesure où ils en sont explicitement demandeurs. L’Europe n’impose aucunement un déploiement massif et obligatoire des compteurs: toute personne devrait donc pouvoir en refuser l’installation. En tout état de cause, nous souhaitons en outre que le consommateur résidentiel moyen n’en supporte pas le coût et ne subisse aucune discrimination tarifaire, en fonction de l’activation ou pas du compteur communicant.

François Grevisse, coordinateur du Centre d’appui socialenergie de la Fédération des services sociaux (FdSS); Céline Nieuwenhuis, secrétaire générale de la Fédération des services sociaux (FdSS); Alexis Deswaef, président de la Ligue belge francophone des droits de l’Homme (LDH); Grégoire Wallenborn, chercheur à l’ULB (IGEAT); Dominique Canivet, présidente f.f. de l’Association pour la reconnaissance de l’électro hypersensibilité (AREHS); Chloé Deligne, Raphaël Rastelli et Marco Schmitt, co-présidents d’Inter environnement Bruxelles (IEB); Olivier Galand, coordinateur de la plateforme grONDES; Marie-Christine Renson, coordinatrice de la Coordination gaz eau électricité (CGEE); Valérie Xhonneux, chargée de mission au Réseau wallon pour l’accès durable à l’énergie (RWADE); Sophie Meulemans, co-fondatrice du Collectif indépendant initiative citoyenne.