Plus de trois cents personnes ont participé les 2, 3 et 4 novembre au colloque international « Espoirs, utopies et héritages de la révolution russe » que la Formation Léon Lesoil coorganisait avec l’Institut Marcel Liebmann, le Centre d’Histoire et de Sociologie des Gauches, et le Centre des Archives du Communisme en Belgique. Un succès considérable, et qui a dépassé les attentes des organisateurs.
Succès d’organisation, d’abord: le colloque a eu lieu dans la grande salle de la Maison du Peuple de Saint Gilles, soutenu par une logistique impeccable, et disposant d’une table de lecture commune et bien fournie, de traductions simultanées, de boissons et sandwiches.
Succès de participation ensuite: la salle agréable et accessible est restée remplie du début à la fin des travaux, le nombre de personnes présentes ne descendant à aucun moment sous les cent vingt. Tirant les conclusions du colloque, Matéo Alaluf confia qu’il avait pronostiqué l’annulation de cette prise de parole finale, faute de participant·e·s. Mais samedi soir à 18H la salle était encore pleine, comme elle l’avait été toute la journée et la veille, dès 9H du matin!
Succès du point de vue du contenu, enfin. Il est évidemment impossible de résumer ici les travaux de ce colloque. La salle était comble pour la soirée d’ouverture, avec les interventions remarquables et très complémentaires d’Alexandre Rabinowitch (Indiana University) et d’Enzo Traverso (Cornell University). Le premier retraça la montée vers la révolution d’octobre à la lumière des nouvelles données historiques, accessibles depuis l’ouverture récente des archives en Russie. Le second proposa une réflexion stimulante sur le changement d’époque et les caractéristiques du nouveau cycle de luttes sociales dans lequel nous sommes entré·e·s.
Au cours des deux journées suivantes, vingt intervenant·e· s se succédèrent en huit panels thématiques donnant chaque fois lieu à un débat substantiel avec la salle. De manière tout à fait personnelle, donc subjective, l’auteur de ce compte-rendu a été particulièrement captivé par les interventions d’Eric Aunoble (Université de Genève) sur l’interaction entre bureaucratisation à la base et au sommet; de Simon Pirani (Ofxord Institute of Energy Studies) sur l’état de la classe ouvrière après la guerre civile, les tendances en son sein et ses rapports au pouvoir soviétique; de Kevin Morgan (Université de Manchester) sur le culte de la personnalité en général, celui de Lénine en particulier; d’Hanna Perekhoda (Université de Lausanne) sur l’articulation entre libération sociale et libération nationale en Ukraine; de Matthieu Renault (Université Paris 8) sur l’impérialisme dans l’Orient soviétique; de Laurence Roudart (ULB) sur la question agraire; de Laurent Vogel (ULB) sur la littérature dans la révolution; Cyliane Guinot (Université Paris 1) sur les droits des femmes acquis dans la construction du mythe de la “Femme Rouge”; et de Lionel Richard (Université de Picardie) sur le commissaire du peuple Chagall, la production artistique et la lutte contre la « culture bourgeoise »…
En fonction de leurs connaissances préalables et/ou de leurs centres d’intérêt, il va de soi que d’autres participant·e·s auront pu apprécier davantage d’autres communications: toutes étaient en effet excellentes et très stimulantes, pleines d’informations méconnues, à mille lieues du rabâchage qui est trop souvent celui des « commémorations ». Elles ont également laissé la place aux regards apportés par des jeunes chercheurs/euses sur des thématiques que l’on voit moins souvent mises en avant dans l’histoire de la révolution russe, comme les questions coloniales et le féminisme. Il est opportun qu’une jeune génération de chercheurs/euses, issu de la rupture post-1989 développée par Enzo Traverso, s’empare des processus révolutionnaires du 19ème et 20ème siècle afin de les mettre en perspectives avec les questions sociales et politiques actuelles.
Les organisateurs/trices ont réussi leur pari: un événement qui assume la filiation avec la grande révolution d’octobre 1917, en se plaçant du point de vue du combat pour l’émancipation des exploité·e·s et des opprimé·e·s; un événement qui en discute sans tabou les manquements et les erreurs, en les situant toujours dans leur contexte; un événement pluriel, enfin, grâce auquel des personnes appartenant à différents courants de la gauche ont pu débattre librement et fraternellement à la lumière des faits historiques.
La perfection n’étant pas de ce monde, on peut regretter le nombre relativement faible de jeunes participant·e·s (compensé par le très vif intérêt de celleux qui étaient présent·e·s!), l’absence de certaines problématiques dans le programme (la jeunesse, l’écologie,…), une approche déséquilibrée pour d’autres (pas de communication sur la révolution allemande). Mais ces remarques n’assombrissent pas le tableau: elles incitent plutôt à approfondir la démarche qui fut à la base de ce beau succès.