Entretien avec Karina Nohales et Javier Zuñiga, militant·e·s chilien·ne·s.
Karina Nohales fait partie de la Coordination féministe du 8M, et Javier Zuñiga milite dans le Mouvement pour l’eau et les territoires et dans Unité sociale(1) Unité sociale est un espace composé d’organisations telles que la centrale syndicale CUT, le Collège des enseignants, la Confech (étudiants), la Coordinadora No+AFP (coordination contre les retraites privées), la Confusam (santé), la Cones (enseignement secondaire), la Fédération des travailleurs de cuivre et d’autres..


Où en sommes-nous de la mobilisation au Chili ? Comment la qualifier ? Hier, nous avons appris la démission du cabinet ministériel et la fin de l’état d’urgence. Qu’est-ce que cela signifie ? Comment a évolué Piñera, le président du Chili, face au mouvement ?

Javier Zuñiga (J. Z.) : Je pense que le pari de Piñera et de son gouvernement en ce moment résulte de leur prise de conscience que la réponse politique par l’état d’urgence pour contenir la mobilisation n’as pas fonctionné. Les mobilisations massives ont grandi de façon permanente, jusqu’à atteindre un moment important : la manifestation du vendredi 25 octobre est une expression éloquente de cela. Cela démontre donc que la réponse répressive n’a pas désactivé les éléments moteurs de la mobilisation. Piñera essaye de capter un certain niveau de mécontentement qui a démarré avec la hausse du prix du ticket de métro et s’est élargi à d’autres problèmes de la société. Les couches du peuple qui se sont mobilisées commencent à exiger des changements en profondeur. Le remaniement gouvernemental fait partie de l’idée de lâcher du lest peu à peu, à des fins de communication. Mais cela ne suffit pas pour que la mobilisation s’essouffle. Il n’y a pas de consensus quant à ce remaniement.

Karina Nohales (K. N.) : Selon moi, il y a une insurrection populaire au Chili, un soulèvement contre le système politique dont le contenu équivaut à un bilan de 30 ans de « démocratie pactée » [en référence au « pacte de transition » entre la classe politique et la dictature pinochetiste]. Cela commence avec la mobilisation de la jeunesse contre la hausse du prix du métro, s’étend à tout Santiago et à tout le pays. Mais cela ne se traduit pas encore par des revendications concrètes, parce qu’il s’agit d’une contestation de tout le système politique, des partis politiques qui ont participé à cette « démocratie pactée ». Piñera a répondu à la mesure du défi que représentait le mouvement. Cela commence la hausse du prix du métro : Piñera la suspend et déploie les militaires dans les rues. Le mouvement conteste les abus économiques et les inégalités sociales, Piñera annonce un paquet de mesures économiques. Aucune de ces mesures n’a fonctionné. Ainsi, la mobilisation a adopté différentes formes, explosives à son début, diffuses dans les territoires. On observe une baisse de la mobilisation le mardi 22 octobre. A partir du mercredi 23 octobre, elle prend sa forme actuelle : massive et concentrée dans les centres des villes. Dans les territoires, les activités sociales et politiques se maintiennent.

Que signifie la répression militaire dans une perspective historique au Chili ? Quelles méthodes d’autodéfense et de protection existe-t-il ?

K. N. : Il n’a fallu que huit heures au gouvernement pour déployer les militaires dans les rues de Santiago et proclamer l’état d’urgence. C’était une décision forte, parce qu’elle renvoie une image d’instabilité pour la bourgeoisie, avec ce que cela signifie sur le marché des valeurs boursières et les capacités d’investissement. Cette décision rompt avec le récit de la transition de la fin de la dictature, qui avait été le « plus jamais ça ». Pour nous, cela signifiait la fin de la présence des militaires. Pour la bourgeoisie, cela voulait dire “ plus jamais de lutte des classe”. Il faut signaler que l’armée actuelle et celle de la dictature ne sont pas deux armées différentes. Évidemment, les personnes qui la composent ont changé. Mais l’armée est une institution qui a été laissée intacte, elle représente une continuité entre la dictature et la démocratie, comme l’est la transition. Les forces armées sont restées impunies. Maintenant, il y a un changement de période au Chili. Quelque chose de curieux s’est passé, les gens n’ont pas ressenti de peur et sont sortis dans la rue, malgré la présence militaire et le couvre-feu. Sur le plan de l’autodéfense, un peuple sans arme a deux solutions et il les a utilisées toutes deux : sa créativité et sa massivité.

J. Z. : Une première dimension est ce qu’a dit Karina. Recourir à la force militaire exprime, en dernière instance, le moyen qu’a la bourgeoisie pour résoudre une situation d’insurrection. Pour garantir la démocratie bourgeoise, l’armée entre en scène. Mais, dans notre cas, cela ne résout rien du tout et devient même un problème pour le gouvernement de Piñera. Qu’est-ce qui le montre ? Le couvre-feu a pris fin samedi dernier. Une nouvelle situation s’ouvre donc : à quoi va recourir le gouvernement pour essayer de désactiver la mobilisation ? Le coup est risqué : qu’a-t-il en effet à offrir après cela ? Il est probable que, avec le remaniement gouvernemental, des figures de la transition de la Démocratie chrétienne, complètement usées, y participent. Mais cela n’a aucun sens pour les masses travailleuses mobilisées. A quoi pourrait conduire cette situation ? Il y a une crise politique, mais s’agit-il ou s’agira-t-il d’une crise d’hégémonie ? C’est-à-dire une crise de toute capacité, pour l’ensemble du bloc capitaliste, de produire de l’hégémonie sur l’ensemble de la société, de se recomposer en s’appuyant sur une base sociale. Les capitalistes essayent dans un premier temps de résoudre la crise à l’aide des militaires, et maintenant ceux-ci vont retourner à leurs casernes. Dans ce cadre, vont émerger les différents types de violences et les violations aux droits humains qui ont eu lieu et qui accompagnent toujours les mesures répressives. Pour les capitalistes, cela signifie un défi quant aux formes sous lesquelles vont apparaître les révoltes et quant aux moyens de contenir la mobilisation dans ce cycle politique qui s’ouvre. Des remises en question de fond pourraient alors s’avérer nécessaires.

K. N. : Les chiffres officiels font état de plus ou moins 20 morts. Il est probable que nous découvrions davantage de victimes : l’Institut national des droits humains va mener des investigations sur les cas de personnes mortes dans des incendies, pour éclaircir les circonstances de leur décès. Il y a aussi des cas de violence sexuelle. Actuellement, contrairement à l’époque de la dictature, nous sommes en capacité de faire reconnaître ce type de violences. La violence sexuelle sous la dictature a été invisibilisée, mais, avec le travail des féministes, il est reconnu que ce n’était pas des excès, mais bien une forme d’exercice de la répression spécifique aux femmes, une manière de discipliner les corps. Il y a un cas de ces jours-ci : des gendarmes, et non des militaires, ont torturé un jeune, en le violant et en l’obligeant à déclarer publiquement qu’il était homosexuel. C’est bien une dimension politique de discipliner de la part des forces de répression, et non un excès de leur part. Désormais, la violation des droits humains est abordée de manière multidimensionnelle. D’autre part, dans le Sud, un jeune a été assassiné. Son père a déclaré qu’il tenait pour responsable un homme qui a dit que nous étions en guerre et qui a mis les militaires dans la rue. Cela montre que les violences ne sont pas de la seule responsabilité politique des militaires, mais également de Piñera. C’est bien pour cela que nous demandons sa démission.

Piñera a annoncé un paquet législatif de mesures sociales et économiques. En quoi consistent ces mesures ? Qu’en pensez-vous ?

K. N. : Cet ensemble de mesures a été annoncé le mardi 22 octobre. Piñera est un homme d’affaires. Ma première impression a été qu’il se comportait comme les employeurs durant une négociation collective. Il a répondu comme s’il s’agissait d’une entreprise, et non d’une société, en faisant des offres démagogiques. A grands traits, 70 % des mesures concernent les retraites, parce que Piñera sait que c’est un point de conflit très important. Après, viennent les thèmes de la santé et des salaires. Ce qu’il a offert, c’est d’élargir la couverture médicale en subventionnant les médicaments produits par des entreprises privées. Pour garantir un revenu minimum, il a proposé de subventionner les entreprises privées avec de l’argent public. Quand un travailleur gagne moins que le revenu minimum, l’État complètera. Pour les retraites, l’augmentation de leur montant se fait sans toucher aux administrations de fonds de pensions qui sont des institutions financières. Il s’agit donc de l’approfondissement de la logique de subventionnement des entreprises privées de la Constitution de Pinochet. Tout le monde se fiche de ces mesures.

J. Z. : Il me semble d’abord important de signaler l’influence des réseaux sociaux dans la circulation de messages politiques, d’appels à manifester, à s’organiser. Quand Piñera annonce ces mesures, la réaction a été immédiate sur les réseaux. D’une minute à l’autre, la réaction a été de ne pas le croire et de les rejeter. Pour la même raison, vendredi dernier, la manifestation a été la plus grande de l’histoire du Chili. Le message politique est que l’annonce de ce paquet législatif n’a pas de sens pour le peuple. Cela n’a pas eu un effet de démobilisation et cela n’a pas permis de coopter des secteurs du mouvement. Les mesures n’ont pas été perçues comme pouvant améliorer les conditions de vie. Il s’agit d’une manœuvre communicationnelle. Aujourd’hui, j’étais dans une assemblée et une femme de plus de 60 ans a dit, à propos du discours de Piñera : « ça n’a eu aucun impact, car nous nous sommes réveillés ».

Quel bilan faites-vous des journées de grève générale de la semaine dernière ? Des secteurs continuent-ils la grève ?

K. N. : Il n’y a eu que rarement, et jamais depuis le retour à la démocratie, de grève générale au Chili. Les journées de protestation de 1983 à 1986 ont démarré avec des appels à la grève générale, mais face à l’impossibilité pour la classe ouvrière de se mobiliser sous la dictature, elles se sont transformées en journées nationales de protestation. Comme la Coordination féministe du 8 mars (CF8M) l’a dit, la grève était un mot interdit, dont le contenu était inconnu. C’est à partir du féminisme que la grève générale est réapparue comme une méthode d’action pour la classe travailleuse. La CF8M a proposé un appel à la grève générale pour le lundi 21 octobre à un espace plus large, appelé Unité sociale, auquel elle participe. La Centrale unitaire des travailleurs (CUT) a répondu qu’elle n’était pas préparée et a jugé irresponsable cette proposition dans un contexte de couvre-feu. Nous avons donc décidé de lancer l’appel le dimanche avec les organisations lycéennes et d’autres organisations des droits humains. Le jour suivant, les organisations syndicales d’Unité sociale ont tenu une réunion pour appeler à la grève générale pour le mercredi. Sans la pression exercée par la jeunesse et les féministes, nous ne savons pas s’il y aurait eu cet appel. Le lundi 21 octobre, la vingtaine de ports du Chili était en grève, ainsi que les travailleurs de la mine de cuivre privée la plus grande du monde, la Escondida. C’est très significatif. Cependant, il est difficile d’évaluer l’impact réel de la grève parce que tout était paralysé de facto. Les syndicats industriels ont indiqué que les entreprises ouvertes ont fonctionné à 30 % et la majorité était fermée car il n’y avait pas de transport. Cependant, la grève apparaît de nouveau comme une méthode d’action au Chili. Un nouvel appel à la grève générale est lancé pour mercredi prochain. Nous pourrons alors mieux évaluer si cela fonctionne effectivement.

J. Z. : La masse travailleuse était mobilisée depuis déjà au moins le vendredi 18 octobre, construisant une subjectivité à travers des actions comme les barricades, les « cacerolazos » et une disposition à occuper l’espace public. A partir de cet instant, des appels circulent en permanence de manière spontanée. La préoccupation politique d’appeler ou non à la grève suppose de prendre en compte le fait qu’il y a déjà un soulèvement. Les gens étaient déjà dans la rue avant qu’il y ait un appel. C’est différent du processus de grève générale féministe appelée pour le 8 mars 2019 : le travail des camarades féministes a été de préparer un événement marquant dans le travail salarié tout en construisant son ancrage dans le travail reproductif, avec des assemblées, des espaces de délibération préalables, etc. Il y a donc une différence avec ces appels qui se greffent sur des événements déjà en cours. Qu’est-ce qui est donc en jeu avec l’appel à la grève si les gens sont déjà mobilisés ? A mon avis, une dialectique se met en place, comme le dit Gramsci, entre spontanéité et direction/orientation du mouvement. Le pari de la grève est d’imprimer un sens à la mobilisation. Ce procédé est soutenu par une grande partie des organisations socio-politiques, bien que cela ne signifie pas « se mettre en avant », comme le veulent certains secteurs. La subjectivité établie, de rage et de mobilisation, ne se décrète pas, mais il est possible de contribuer à la marquer d’une orientation. Ainsi, appeler à la grève permet de condenser la montée de la mobilisation en cours. Le cycle politique peut être marqué par une perspective anti-néolibérale, c’est du moins ce qu’indiquent les assemblées populaires. C’est ce qui pourrait ouvrir une nouvelle conjoncture sociale. Dans ce sens, la grève devient à nouveau un instrument reconnu par les masses mobilisées. Et si cela est un succès, la grève peut être appropriée comme une tactique d’accumulation de forces. La grève n’est pas alors une auto-affirmation complaisante, mais une ressource incorporée par les masses travailleuses. Avec des éléments clés comme la grève dans les secteurs stratégiques de l’économie, cette méthode tend à signifier que la classe travailleuse s’arrête de travailler et s’organise en fonction de la grève. Elle redevient un répertoire d’action de la classe, et pas seulement du monde syndical et organisé.

L’espace Unité sociale semble diriger ou du moins influencer le mouvement. Qu’est-ce que propose ce secteur ? Comment se lie-t-il aux mobilisations ?

J. Z. : Unité sociale est un référent qui se positionne comme une entité légitimée au sein du mouvement. Par exemple, dans l’assemblée d’où je reviens, les gens reconnaissent la nécessité de se doter d’un interlocuteur au niveau général. Unité sociale est un réseau complexe d’organisations. Pour moi, trois tendances occupent cet espace. Premièrement, un secteur composé par les grands syndicats et les organisations traditionnelles : la CUT, le mouvement No+AFP [pour un système public de retraites], une partie de la Confédération national de la santé municipale (Confusam), le syndicat des enseignants (Colegio de profesores), la Confédération nationale des professionnels universitaires des services de santé (Fenpruss), l’Association nationale des employés administratifs (Anef). Ils marquent une certaine direction de l’espace. Ce secteur se caractérise par son urgence pour d’ apparaître comme l’acteur à la tête du mouvement, et non comme un acteur qui se met à disposition, propose, recueille les revendications, etc. Le deuxième secteur est composé des organisations féministes, environnementales, étudiantes, des pobladores [des habitant-e-s des quartiers périphériques et populaires], des associations de droits humains qui ne s’intègrent pas dans les logiques syndicales traditionnelles. Nous ne sommes pas en harmonie avec la compréhension de la situation qu’ont ces organisations syndicales, parce que nous comprenons l’urgence posée par ce moment de contestation du régime néolibéral qui est en train d’avoir lieu. Nous devons donc être à la hauteur, et non mettre en avant de revendications corporatives. Pour cela, il faut maintenir ouverte la situation et la participation populaire au travers des conseils (Cabildos) et des assemblées de base. Notre objectif n’est pas de céder dans les négociations qui vont sûrement avoir lieu, mais d’ouvrir un processus de politisation à partir de la contestation du régime. Il n’est plus possible de vivre comme nous vivions il y a un mois. Nous comprenons donc l’idée d’assemblée constituante comme un élément de dynamisme pour permettre la participation politique du peuple. Enfin, il existe un troisième secteur moins permanent qui voit Unité sociale comme un toit sous lequel se mettre pour permettre la coordination et la direction des protestations. Unité sociale apparaît donc comme un agent relativement légitimé par le peuple, bien que des différences se notent. C’est en espace en conflit qui permet de réunir les organisations populaires.

K. N. : Mon analyse personnelle est que, depuis la dernière élection présidentielle, est apparu un nouveau bloc d’opposition (Frente amplio) tandis que la Nueva Mayoría comme bloc de gouvernement qui succède à la Concertación [ces deux coalitions intègrent principalement le Parti socialiste, la Démocratie chrétienne, le Parti communiste et des organisations social-libérales et du centre] s’est désintégrée. Cela pose un problème : comment former un nouveau bloc d’opposition. Le Parti communiste est le plus offensif pour se mettre à la tête d’une nouvelle configuration de l’opposition. Cela a fonctionné avec, par exemple, le projet de diminution du temps de travail à 40 heures, qui a obligé toute l’opposition à se ranger derrière le PC. Preuve de ce rôle, le PC réussit à exclure peu à peu la Démocratie chrétienne du bloc d’opposition. Puis, apparaît l’irruption que nous connaissons. Le PC continue ce qu’il a réussi au parlement à travers la CUT. La CU s’intègre à Unité sociale après sa formation et la dirige rapidement. Ce qu’il se passe à partir de cela, c’est que beaucoup d’autres organisations intègrent cet espace, initialement proposé par No+AFP. La CF8M, qui fait partie d’Unité sociale depuis le début, a décidé de participer de façon critique. En effet, cet espace est perçu comme constitué à partir des sommets des organisations, dirigé par des secteurs syndicaux conservateurs. Pour ces derniers, la lutte des classes se conçoit dans sa forme syndicale, l’écologie et le féminisme sont considérés comme subordonnés. Nous avons rendu explicite cette critique.

Dans cette conjoncture, Unité sociale finit par appeler à la grève générale. Mais entre la CUT et la CF8M, la conception d’une grève générale est différente. Pour la CUT et les autres organisations syndicales, il était nécessaire de faire grève pour démontrer que nous sommes des organisations sérieuses, appeler à la discipline et montrer une capacité à diriger. Comme si la désobéissance de la classe travailleuse était une chose peu sérieuse. Au final, il est proposé une grande manifestation pour le 23 octobre, ce qui dans le contexte pouvait apparaître très en-dessous de la situation. Des actions ouvertement démobilisatrices ont également été proposées. La grève générale se comprend par ces secteurs comme un moment et comme l’opportunité de placer ses directions dans le mouvement. Le féminisme entend la grève générale comme un processus, dans lequel la classe travailleuse, avec les femmes et les minorités de genre et sexuelles à la tête, peut s’organiser et penser à la vie qu’elle veut et comment elle veut l’organiser. Dans un sens strict, nous les féministes considérons qu’aucune grève n’a été générale, parce que le travail de soins n’était pas à l’arrêt. La grève ce n’est pas seulement s’arrêter de travailler, mais aussi penser beaucoup. En définitive, nous parlons donc de deux sens de la grève générale : une est de créer, l’autre est de diriger. Ces conceptions ont été mises sur la table ces jours-ci.

Quelle relation a Unité sociale avec la gauche institutionnelle ? Que fait et propose cette dernière, notamment au parlement ?

K. N. : Mon opinion personnelle, mais qui est également partagée par d’autres camarades dans la dernière assemblée de la CF8M, est que s’il n’y a pas d’ingouvernabilité pour le pouvoir exécutif c’est parce que l’opposition parlementaire a maintenu l’activité parlementaire. Unité sociale a lancé l’idée d’une grève législative, mais elle n’a pas eu lieu. Par exemple, le projet de diminution du temps de travail à 40 heures par semaine a été adopté pendant l’état d’urgence, avec des militaires dans la rue. Dans le Frente amplio (FA), qui a émergé lors de la dernière élection présidentielle, il n’y a pas eu d’accord entre ses différents secteurs. De la part de ceux qui veulent maintenir l’activité parlementaire, l’idée est que s’ils ne le font pas, le cadre de la démocratie pourrait se refermer encore plus. Mais, au final, l’opposition finit par participer au travail législatif, y compris celui qui concerne l’ensemble des mesures proposées par Piñera. Cela signifiait donner un coup de main au gouvernement. A un moment, le gouvernement a proposé une réunion avec les partis d’opposition. La Démocratie chrétienne (DC), le Parti radical et le Parti pour la Démocratie s’y sont rendus. Le Parti socialiste, le PC et le FA ont refusé d’y participer. Révolution démocratique, le principal secteur du FA, voulait y aller dans un premier temps. C’est grave. Le PC soulève maintenant une procédure d’« accusation constitutionnelle » contre Piñera et le FA est d’accord avec ça.

J. Z. : Le rôle du PC là-dedans a été très important. Il a immédiatement a annoncé qu’il n’allait pas assister à la réunion convoquée par Piñera. On reconnait une importante expérience politique au PC. En se démarquant de la DC, et mettant sous pression le PS et le FA, il a exercé une influence sur tout l’arc des partis d’opposition. Dans une déclaration qui aborde la conjoncture, le PC reconnaît Unité sociale comme l’acteur légitime, et déplace le centre du dialogue vers la société civile. Le PC a donc joué un rôle important dans ce déplacement de la légitimité. De toute façon, le mouvement ne pouvait accepter quelque réunion que ce soit des partis d’opposition avec Piñera. Cela a été habilement compris par le PC. En même temps, s’engage pour Unité sociale le cheminement de la reconnaissance en tant qu’interlocuteur légitime. Une partie de l’opposition exerce une pression constitutionnelle, dans la continuité. De plus, Unité sociale comprend des militant-e-s de FA, du PC et des éléments du PS, mais on ne peut pas dire que ce front est dirigé par les partis. Le mouvement et la dynamique interne d’Unité sociale n’admet pas que ces groupes se mettent à la tête, du moins pour le moment. Et cela pour une raison de fond : si la mobilisation dans laquelle s’inscrit Unité sociale émerge de manière non coordonnée, elle est impulsée par la classe travailleuse comme un acteur qui interpelle l’ensemble de la société. Cela fait bouger la manière de faire de la politique. Cependant, que la classe travailleuse émerge ne signifie pas qu’elle s’organise et prenne conscience nécessairement « pour soi » de son expérience comme peuple travailleur, bien qu’il y ait de forts embryons d’organisation et de lutte qui vont dans ce sens. La force d’Unité sociale, dans un contexte où la classe surgit comme un acteur, est qu’elle peut contribuer à la recomposition politique de la classe travailleuse, si elle ne cherche pas seulement à dialoguer avec le gouvernement ou à limiter à des revendications restreintes, corporatives et conciliatrices.

Des gilets jaunes sont apparus pendant ces journées de révolte. José Antonio Kast, figure de l’extrême droite chilienne, les a appelés à manifester dimanche dernier. Existe-t-il la possibilité que se forme une base sociale réactionnaire dans cette situation ?

K. N. : Le discours initial des médias a consisté à présenter les premiers jours du mouvement comme du pillage de la part de délinquants, créant un sentiment d’insécurité. Sont apparus dans les quartiers des groupes qui utilisaient des gilets jaunes, avec des bâtons ou d’autres formes d’armes domestiques pour éviter les vols et défendre leurs maisons. Cela a exprimé une tendance fascisante. Rapidement, l’extrême droite lance un appel de ces gilets jaunes à participer à une manifestation pour le 27 octobre, avec le slogan du « droit à vivre en paix », c’est-à-dire en utilisant la chanson de Victor Jara El derecho de vivir en paz qui est devenue un hymne populaire durant le couvre-feu. Cela créait de la confusion. Mais, l’extrême droite a pris la décision d’annuler cette manifestation le vendredi 25 octobre, suite à la grande manifestation qui s’est tenue ce même jour. Nous pouvons imaginer, et c’est une question, que la manifestation du vendredi 25 octobre n’aurait pas eu autant de succès s’il n’y avait pas eu l’armée dans les rues et si le gouvernement avait continué son discours sur le mouvement comme s’il s’agissait de voleurs saccageant les petits commerces. Mais, au moment où les militaires se déploient dans les rues, apparaît un sentiment dirigé contre l’armée, à cause de notre histoire. Cela a beaucoup mobilisé les gens.

La présence militaire dans les rues ravive un souvenir traumatique. Je peux paraître trop optimiste, mais cela m’amène à dire que le peuple du Chili n’est pas de droite. Il y aurait pu avoir plus de gilets jaunes de droite sans les militaires dans les rues. L’extrême-droite est habile mais elle a été dépassée. Le discours sur le « vol » et « l’insécurité » a duré entre deux et trois jours. Quand le gouvernement a commencé à atténuer son discours selon lequel « nous sommes en guerre », les médias sont passés à un discours visant à susciter la terreur. Ils sortent les vidéos terribles de la répression, avec des militaires qui tirent sur les gens et entrent dans les maisons. L’idée était que « si tu sors dans la rue, ils vont te tuer ». Mais ce récit n’a pas fonctionné. Après la grande manifestation du 25 octobre, les médias ont commencé à dire que le peuple est pacifique et donne l’espoir d’un meilleur futur, parce que ceux qui ont le pouvoir sont à l’écoute. Par exemple, Piñera a dit que c’était beau de voir des familles manifester, alors qu’en réalité les gens demandaient qu’il s’en aille.

J. Z. : Des secteurs de la droite, les gendarmes et les militaires ont essayé de capter les gens qui avaient peur comme base sociale. L’extrême droite tente de capitaliser ce sentiment de paranoïa et d’hystérie, qui a existé. Elle veut donner un tournant vers une sortie corporative, ciblant cette partie du peuple travailleur qui veut la paix et la tranquillité dans l’immédiat, contre la partie de la classe qui fait le pari de la protestation parce qu’elle comprend que c’est le moment de revendiquer. Cependant, la manifestation de vendredi dernier, la plus grande dans l’histoire du pays, a désactivé l’harmonie supposée entre l’extrême-droite et une partie du peuple. Il faut signaler que les gilets jaunes n’étaient pas nécessairement favorables à une issue encore plus militarisée, ou en faveur de José Antonio Kast, la figure d’extrême droite qui a obtenu 8 % des voix aux dernières élections présidentielles et qui, sous certains aspects, ressemble à Bolsonaro. Beaucoup voulaient donc être seulement tranquilles. Par exemple, dans mon quartier, Puente Alto, une commune de la périphérie urbaine, ceux qui étaient gilets jaunes ont célébré l’événement marquant du vendredi, ils ont fait un barbecue en écoutant de la musique populaire identifiée comme de gauche. Cette manifestation nous a ressoudés comme classe, après que les médias aient tenté d’exagérer les aspects les plus réactionnaires de la convulsion que nous vivons. De toute manière, Kast a un discours sécuritaire qui a pu interpeller et créer des adhésions dans le peuple pauvre, mais son programme économique préserve le néolibéralisme, qui est l’origine du mal-être que nous vivons. C’est une limite radicale de son projet. Il ne peut donc proposer une issue programmatique à la mobilisation, qui signifie que le mode de vie néolibéral et le mal-être qu’il provoque sont insupportables. Il faut signaler que l’apparition des gilets jaunes révèle un problème réel : il existe des bandes organisées dans les quartiers populaires périphériques qui commettent des délits affectant les quartiers de la classe travailleuse, autour du trafic de drogue. C’est à ce secteur que font face les gilets jaunes, une menace effective, qui n’implique en aucun cas un appui au gouvernement, à Kast ou aux mesures répressives.

Les formes de lutte et les mots d’ordre qui semblent avoir le plus de force sont la grève générale, dont nous avons déjà discuté, les assemblées territoriales et l’Assemblée constituante. Quelle est la réalité des assemblées territoriales en ce moment ? Quels sont les processus d’auto-organisation qui se développent ? Ces mots d’ordre se sont-ils forgés de manière spontanée ou revoient-ils aux luttes de ces dernières années ?

J. Z. : On observe à la fois des assemblées territoriales auto-convoquées et des gens qui se réunissent autour des stations de métro et dans d’autres lieux publics, où l’on chante, on délibère et où se déroulent des activités culturelles, etc. Ce phénomène apparaît de manière spontanée. Aussi, rapidement, des secteurs saisissent ce moment et donnent une direction consciente, en appelant à créer des assemblées territoriales. Pourquoi ces assemblées sont-elles tactiquement importantes ? Tout d’abord, elles sont en train de se structurer, elles s’organisent sur plusieurs territoires et c’est un fait. J’ai vu des processus d’auto-activité similaires, mais jamais avec cette magnitude à la fois dans les contenus qui sont débattus et dans l’ampleur du phénomène. Les assemblées populaires doivent pousser vers une assemblée constituante, dont il faut voir comment elle se positionne comme un mécanisme légitime pour changer la Constitution, objectif qui évidemment n’est pas suffisant en soi. Des secteurs parlent d’une nouvelle Constitution, avec un nouveau parlement, mais ce n’est pas de ça dont on parle. Il s’agit d’autre chose. Nous ajoutons l’adjectif « populaire » pour affirmer le caractère souverain du processus. L’assemblée constituante peut pousser et modifier la scène politique. La contestation du régime permet une démocratie participative dans laquelle la classe travailleuse se présente comme l’acteur principal.

La raison pour laquelle elles sont importantes sur le plan tactique est que les assemblées territoriales sont en train de former un socle, un tissu social qui ne va pas disparaître, bien que l’intensité des mobilisations puisse diminuer à partir d’un certain un moment. C’est une expérience de classe commune, un apprentissage d’organisation historique, qui peut permettre le maintien d’un contre-pouvoir au parlement, dans les institutions de l’État capitaliste, en développant d’autres valeurs dans les quartiers populaires et d’autres modes d’auto-organisation. Cependant, ce que je tiens à souligner c’est la possibilité que l’Assemblée constituante puisse faire bouger le contexte politique dans un sens anti-néolibéral. Il existe une force inhabituelle qui conteste globalement le modèle éducatif, de gestion des ressources naturelles, des retraites, des dettes financières, etc. Il faut conjuguer l’Assemblée constituante avec un programme qui conteste, dans une synthèse radicale. C’est du moins ce qui est en train de se passer dans les territoires. Mais cela n’est pas compris par certains secteurs qui prétendent se mettre à la tête du mouvement.

K. N. : Ce sont des questions stratégiques. La réalité des assemblées est qu’elles sont sectorisées et qu’elles ont commencé autour des stations de métro, qui correspondent à des quartiers, avec des personnes qui vivent dans le même secteur. Elles ont surgi parce que des activistes y ont participé dès le premier jour et parce qu’elles étaient nécessaires. Les gens se sont connus dans la révolte, nous avons commencé à nous connaître, à parler et à nous poser des questions. La contestation actuelle est tellement générale que des revendications concrètes ne se posent pas. Les gens se sont rencontrés dans la lutte, en essayant de détecter ce que nous contestions, pourquoi et comment nous imaginons ce que nous voulons. Ça paraît très simple, mais pour moi c’est déjà un moment constituant, mais pas dans le sens de changer la Constitution. La classe est en train de se constituer elle-même dans ce processus. Il est difficile d’avoir une image générale du pays, en termes d’assemblées, de manifestations et de répression parce que la situation est convulsive et qu’aucune organisation n’a la capacité de saisir la totalité. Il s’agit d’une explosion en marge des organisations classiques.

La CF8M et le Mouvement pour l’eau et les territoires ont impulsé l’existence de ces assemblées. Elles se sont créées pour procurer le ravitaillement face à la fermeture du commerce, pour assurer la sécurité au vu de la répression et des pillages, et pour soutenir la mobilisation. Les revendications sont que s’en aillent les militaires, que démissionne Piñera et le Ministre de l’Intérieur et la perspective d’une Assemblée constituante. Rien de tout ça n’est totalement spontané, mais c’est impossible de savoir quelles sont les expériences antérieures d’organisation, de propagande et de mobilisation qui ont été significatives. Ce qui est sûr, c’est que pendant 30 ans, des secteurs du peuple étaient organisés, luttaient, parfois dans une totale solitude. Le mouvement No+AFP est facile à détecter, parce qu’il a été massif et très récent. La mobilisation féministe du 8 mars dernier aussi. Les assemblées constituantes cherchent à créer une nouvelle Constitution, et toute Constitution aborde le problème du fondement du pouvoir politique. C’est important au Chili, car la Constitution de Pinochet est explicite quant à son objectif. Ce qu’elle a établi, c’est qu’il n’était pas question de revenir au cadre institutionnel qui existait avant la dictature, car retourner à la situation antérieure, c’est rouvrir le chemin institutionnel des partis ouvriers, de ce qui a conduit à l’Unité populaire. Davantage que la Constitution de 1980, le véritable moment constituant du Chili actuel est donc le coup d’État de 1973. Ouvrir le thème constituant n’est donc pas une option facile pour la bourgeoisie, parce que cela l’expose au danger que créé la participation politique de ses adversaires. Un moment irréversible peut s’ouvrir, où il n’est plus possible d’ignorer les problèmes politiques de la classe travailleuse. Ces jours-ci, la peur est passée de leur côté.

Au niveau institutionnel, une nouvelle Constitution est un problème central et il n’y a pas de doute qu’il faille changer la constitution actuelle. Mais il est important de ne pas mettre en avant la nécessité d’une nouvelle Constitution comme la question fondamentale, comme le posent beaucoup de secteurs, sinon la perspective anticapitaliste est esquivée. Ce qui s’exprime au Chili est la lutte des classes, qui existait aussi avant la Constitution de Pinochet. Les problèmes posés ne commencent ni ne se terminent par une Constitution. Il faut faire attention à la manière dont se pose la question de l’Assemblée constituante. D’un côté, elle peut refermer un moment politique et garantir des droits, mais je ne la présenterai pas comme ce qui a déterminé la situation actuelle.

J. Z. : Je suis d’accord avec ça. Avant 1973, il n’y avait pas un pays meilleur qu’aujourd’hui. Ce débat est de plus inopportun. Dans Unité sociale, le thème de la Constituante apparaît, mais ne nous interpelle pas, cela n’apparaît pas comme un débat qui organise la politique. L’urgence du moment, la question la plus importante est celle de savoir comment nous allons nous mobiliser. Avant cette conjoncture, dans nos organisations socio-environnementales par exemple, l’Assemblée constituante n’était pas notre thème. Il s’agissait plutôt de préserver nos droits socio-environnementaux face au pillage des entreprises. La conflictualité existante nous orientait, en fonction de la lutte des classes, à contribuer à ce que la classe travailleuse s’organise elle-même pour se défendre dans cette situation. La Constituante, en ce sens, implique le risque de comprendre la politique d’une manière très formelle : « nous changeons la Constitution et donc nous changeons le pays ». Une possibilité singulière de cette conjoncture est que désormais nous avons l’opportunité que la classe travailleuse assume le protagonisme d’un processus constituant, que celui-ci soit un succès politique. Mais en même temps, les classes sociales sont en train de s’organiser de manière antagonique. Aborder l’Assemblée constituante comme si ce n’était pas la lutte de classes me paraît donc être une erreur. Les secteurs anticapitalistes, féministes et écosocialistes nous voulons au moins avertir, dans ce contexte, qu’il s’agit de la lutte des classes et non de débats formels et abstraits sur les meilleures modalités de changer la Constitution.

K. N. : Il y a des secteurs de l’ex-Concertacion et de la droite qui se sont ouverts à la nécessité d’une nouvelle Constitution, mais pas de l’Assemblée constituante. Cela devient un thème plus large et transversal.

Quels sont les défis pour la gauche anticapitaliste, féministe et écosocialiste ?

K. N. : Ce qu’affronte la classe travailleuse en ce moment, ce qu’elle a ouvert par son action dans un contexte où elle n’a pas de partis et où sa force organique est faible, va l’amener, je pense, à une activité politique ascendante, qui de fait se vérifie depuis plus ou moins 2005. Ce sera plus difficile si nous ne nous préparons pas organisationnellement, avec une orientation qui ne peut pas continuer à être sectorielle : renforcer le mouvement syndical, féministe, pour les retraites et socio-environnemental ne suffit plus. Cette perspective est générale parce qu’une situation de contestation s’est ouverte. Il faut qu’il y ait un récit propre de ce qu’il se passe et il doit être recueilli par les organisations politiques de gauche, qui doivent aussi se renforcer. Sinon, il sera difficile de construire une alternative.

J. Z. : Ce moment historique permet aux organisations déjà existantes qu’elles se lancent à l’eau pour saisir les nouvelles dynamiques historiques qui organisent la politique. Ce n’est pas, par exemple, une question de mauvaise volonté, mais les organisations qui sont plus petites ne sont pas capables de répondre et de se déployer de manière pertinente dans cette situation. Le Frente amplio, organisation de plusieurs courants, non plus. En son sein prévalait jusqu’à maintenant une disposition à la politique électorale et intra-institutionnelle qui n’était pas en capacité de se situer de manière efficace dans ce contexte. Ma question est : comment pourront se transformer les organisations elles-mêmes pour s’ancrer dans ces nouveaux ressorts politiques qui commencent à s’ouvrir ? Ce que nous pouvons essayer à tout le moins c’est de faire bouger nos organisations, construire de nouveaux réseaux pour nous insérer dans les processus de politisation populaire qui émergent. Je parie sur l’unification des organisations de gauche et sur celles qui vont surgir à partir de ce moment. Nous devons prêter attention à ces dynamiques et contribuer à développer des perspectives anticapitalistes, féministes et écosocialistes en leur sein, en y ajoutant la recomposition des organisations politiques, et en saisissant les nouvelles formes de politisation. Nous sommes très occupés et avons peu de temps, mais nous ne pouvons perdre de vue qu’il nous faut dès maintenant penser à de nouvelles formes d’organisation.

Propos recueillis et traduits par Alex G., le 28/10/2019 pour Contretemps.

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