Nous avons publié il y a quelques semaines, les deux premières parties(1)La première est accessible ici, et la deuxième ici de notre bilan féministe de la coalition Vivaldi. Dans cette troisième et dernière partie nous revenons sur la nécessité pour le mouvement de grève féministe de se doter d’une stratégie de lutte plus forte et plus assumée et sur les implications d’une potentielle montée en puissance de la droite et de l’extrême-droite lors des élections du 9 juin.

En 2019, la massification de la lutte féministe autour de l’organisation d’une première grève féministe nationale appelée par un groupe d’étudiantes a ouvert une brèche dans l’apathie réformiste syndicale et institutionnelle. Plus d’une centaine de femmes et de féministes (organisées ou pas dans d’autres collectifs, syndicats ou partis) des quatre coins du pays se sont rassemblées lors d’Assemblées Générales mensuelles dans la perspective d’organiser une grève le 8 mars. Contrairement au mouvement féministe institutionnel et au soi-disant féminisme des partis néolibéraux (PS/MR/Ecolo/Engagé.es), un mouvement féministe auto-organisé se caractérise par la prise en main collective par les travailleuses et les exploitées de la direction de leur lutte d’émancipation. 

La principale victoire (et pas des moindres) du mouvement a été de réussir à imposer la grève du travail salarié et du travail domestique comme tactique de lutte dans de nombreuses villes (et universités) dont Bruxelles, Gand, Liège, Mons, Anvers. Le 8 mars dernier à Bruxelles, le service de transport public de la STIB annonçait de grandes perturbations du réseau déjà une semaine avant le jour de grève. Mais ça n’a pas suffit pour faire rupture et pour gagner des victoires sur des revendications du mouvement comme : des moyens pour la prévention des violences sexistes et sexuelles à la hauteur des besoins, l’extension du droit à l’avortement, la régularisation des sans-papiers, l’augmentation des salaires des travailleuses des titres-services, une place en crèche pour tous les enfants, etc. On doit se demander : que manque-t-il pour gagner des victoires féministes offensives ? 

La principale victoire (et pas des moindres) du mouvement a été de réussir à imposer la grève du travail salarié et du travail domestique comme tactique de lutte dans de nombreuses villes (et universités) dont Bruxelles, Gand, Liège, Mons, Anvers.

Comme nous l’avons vu dans l’article précédent, la coalition Vivaldi – surtout au travers du PS et d’Ecolo – a réussi à métaboliser et neutraliser une partie du mouvement féministe francophone ce qui s’est ressenti tant dans les actions du 8 mars que celles du 25 novembre qui ont suivi la mise en place du gouvernement. Notons également que la dynamique est différente en Flandre où le mouvement féministe semble s’être renforcé au fil des années autour de l’appel à la grève dans un contexte régional où la droite réactionnaire est au pouvoir. Mais le constat sur les victoires est le même. La question que nous soulevons mériterait d’être bien plus discutée et débattue dans le mouvement de grève. Nous ne pouvons ici que partager des pistes :

  • Défendre la grève du travail salarié et domestique comme stratégie concrète et non comme une forme d’action parmi d’autres ou comme une action symbolique. La construction réciproque de ponts entre le mouvement féministe et les secteurs clés féminisés dont l’arrêt peut mettre à mal le système capitaliste (nettoyage, transport, enseignement, petite enfance, grande distribution, …) pourrait être plus assumé comme un objectif central. 
  • Garantir une indépendance vis-à-vis des partis libéraux en ce compris libéraux-compatibles comme le PS et Ecolo. Dans le cadre de la campagne électorale, plusieurs associations du mouvement féministe ont étudié les programmes des partis en distribuant bons et mauvais points par rapport aux revendications de leur association. Malheureusement, nous n’en n’avons vu aucune comparer les programmes avec les actes. De même, la multiplication des memorandums à l’approche du scrutin renforce l’idée que le rôle des associations serait simplement d’orienter la classe politique dans le bon sens. Cela entretient la pensée magique que ces partis dominants appliquent les « bons points » (ouvrir des crèches, mettre fin au statut de cohabitant·e, garantir un revenu digne aux mères de famille monoparentales, étendre l’accès à l’avortement…) de leur programme lorsqu’ils sont au pouvoir. C’est faux. Le bilan de la coalition Vivaldi montre comment ces mesures (avortement, régularisation, financements) seront toujours abandonnées au profit de l’austérité et des programmes de droite. Le mouvement féministe auto-organisé doit pouvoir rompre avec un rapport de subordination aux partis dominants. Ceci ne se résout pas en adoptant une position par principe « a-partisanne » qui amalgame tous les partis politiques mais en exposant la stratégie féministe libérale ou fémonationaliste des partis dominants et en s’opposant aux coalitions avec la droite. 
  • Se doter d’un programme avec des mesures d’urgence qui correspondent aux luttes concrètes. Les luttes des travailleuses dans les titres-services, des travailleuses domestiques sans-papiers, des travailleuses de Delhaize et du commerce alimentaire, des CPAS, de l’enseignement, de la petite enfance, mais aussi les mouvements #metoo, #metoo inceste, #BalanceTonBar, … le montrent : il y a urgence ! Nous luttons pour une transformation radicale de la société et pour ça, nous avons des objectifs maximalistes. Mais, pour être victorieux, le mouvement ne peut se contenter de porter ces objectifs maximalistes (Ex :  l’abolition des violences sexistes et sexuelles). Il doit pouvoir également porter des revendications immédiates des associations et des luttes, déjà indigestes pour le capitalisme (Ex : financement de la prévention des violences à hauteur des besoins). Le mouvement de grèves pourrait se doter de quelques revendications immédiates liées au contexte politique et de lutte. Le choix de ces revendications doit être débattu au niveau local et national du mouvement d’organisation de grèves féministes et décidé démocratiquement.  
  • Construire un mouvement unitaire organisé, pas seulement des collectifs. Il y a une différence de nature entre des collectifs et un mouvement. Un mouvement a pour fonction de rassembler des forces politiques hétérogènes dans une direction commune. Il faut œuvrer au rassemblement des collectifs féministes, des partis de gauche, des associations féministes et des bases syndicales pour imposer une rupture anti-néolibérale et les revendications du mouvement. En plus de l’unité des forces, un autre enjeu est celui de notre auto-organisation. Il est frappant de voir le succès que peut rencontrer la journée du 8 mars auprès de la jeunesse mais aussi comme ce succès ne se traduit pas par la participation effective à tout le travail de préparation et de mobilisation pour des grèves effectives. Pour gagner, la participation ponctuelle aux journées du 25 novembre (manifestation nationale contre les violences faites aux femmes) et du 8 mars (grève féministe) ne suffit pas. 

Les élections de ce 9 juin 2024, annoncent une possible montée en puissance de l’extrême-droite aux européennes, de la droite au fédéral et, pour la première fois, la possibilité même d’une coalition de droite et d’extrême-droite au gouvernement flamand. Cette réalité démontre l’incapacité des partis libéraux et du centre à faire barrage « au pire ». La brèche d’insatisfaction ouverte n’est cependant pas uniquement favorable à l’extrême-droite : elle peut aussi être l’occasion pour la gauche et les mouvements sociaux comme le mouvement féministe de rassembler leurs forces pour construire une riposte combative et radicale. A condition d’assumer une stratégie de lutte unitaire et radicalement anti-néolibérale.  

La brèche d’insatisfaction ouverte n’est cependant pas uniquement favorable à l’extrême-droite : elle peut aussi être l’occasion pour la gauche et les mouvements sociaux comme le mouvement féministe de rassembler leurs forces pour construire une riposte combative et radicale.


Photo : Manifestation du 8 mars 2022 à Paris. Source : Photothèque Rouge du NPA / Copyright : Martin Noda / Hans Lucas.

Notes[+]