C’est dans le contexte d’un mouvement social qui s’embrase en de nombreux points d’Europe (en Angleterre, en Grèce, ou encore en France) qu’avait lieu le 8 mars 2023, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, date qui cristallise de nombreux enjeux féministes. Syndicats, travailleur.euse.s et étudiant.e.s se sont mobilisé.e.s pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles ainsi que la domination économique, dans un contexte de précarisation grandissante (crise de l’énergie, inflation, etc.), qui touche et vulnérabilise particulièrement les femmes et les personnes LGBTQIA+.
Cette année encore, Féministes anticapitalistes, la commission féministe de la Gauche anticapitaliste, avait mobilisé ses forces pour rejoindre les piquets de grèves, afin d’entrer en contact avec les travailleuses et les étudiantes, et de visibiliser leurs revendications. Nous y avons également défendu notre approche d’un féminisme anticapitaliste, antiraciste et écosocialiste, qui cherche à construire un large mouvement révolutionnaire.
Le 8 mars de l’an passé avait eu lieu juste après l’agression de l’Ukraine par la Russie. Cette année encore, nous renouvelons notre solidarité aux féministes ukrainiennes et russes et nous continuons à nous opposer à tous les impérialismes, pour défendre un féminisme par en bas, qui promeut la libération des femmes par elles-mêmes. La guerre est en effet une question féministe, car elle touche particulièrement les femmes, vulnérabilisées en période de conflit. La guerre a un impact direct sur les violences contre les femmes, elle les exacerbe.
Nous pensons également au soulèvement débuté en septembre en Iran, très largement porté par des femmes, et vivement réprimé par le régime de la République islamique qui s’est fondée sur la ségrégation sexuelle et l’oppression systématique des femmes depuis 43 ans. Notre féminisme est international, et défend une lutte des femmes contre la guerre, les impérialismes, le colonialisme et le capitalisme.
Voici un compte-rendu de cette riche journée de lutte
Hainaut
À Mons avait lieu en soirée une manifestation qui rassemblait notamment Vie féminine, CSC Femmes, la Mutinerie montoise, les JOC, Comac, et Féministes anticapitalistes. Des prises de paroles ont notamment dénoncé les violences sexistes et sexuelles et la précarisation du travail pour les femmes (écart salarial, proportionnalité des temps partiels, etc.) Le matin, un rassemblement avait également eu lieu à Ath.
Bruxelles
À l’ULB, un piquet de grève a débuté dès 6h. Mais certain.e.s militant.e.s étaient déjà levé.e.s depuis quelques heures. En effet, cette année, l’université a été entièrement bloquée pour la grève. Chaque entrée du campus s’est retrouvée entourée de barrières et les bâtiments cadenassés. Les étudiant.e.s arrivant sur place entendaient : « L’université est bloquée, ça ne sert à rien de forcer, vous ne saurez pas rentrer. ». Depuis plusieurs semaines, des cercles étudiants s’organisaient pour mener à bien cette journée de grève : l’USE (l’Union Syndicale étudiante), le Cercle Féministe, le groupe de colleur.euse.s étudiant.e.s et la section jeunes de l’organisation et les JAC (Jeunes anticapitalistes). Un bilan positif : le piquet a regroupé environ 150 personnes et représente ainsi l’un des plus important de Bruxelles cette année. De plus, le blocage a pu être maintenu durant toute l’avant-midi comme souhaité. Plusieurs prises de paroles ont eu lieu, notamment une dans laquelle une camarade des JAC a pu insister sur la manière dont la précarité étudiante touche particulièrement les femmes et les minorités de genre et sur l’importance de s’organiser à l’université mais aussi au-delà, en Belgique et partout dans le monde, pour répondre à l’ensemble des discriminations que nous subissons et faire la révolution !
Nous nous sommes également rendues dès 9h au piquet de grève organisé par des étudiantes de l’IHECS, école de journalisme et de communication dans le centre de la ville. C’était la deuxième année que celles-ci organisaient un atelier pancartes pour préparer la manifestation du soir. Leurs revendications : la création d’une structure de prise en charge des personnes victimes de violences sur le campus et, plus généralement, mettre fin à la précarité étudiante et aux discriminations basées sur le genre lors des études.
Nous avons ensuite rejoint la colonne du Congrès, où se tenait le piquet de Garance, association qui lutte par la prévention primaire contre les violences de genre. Les travailleuses s’étaient mises en grève pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles, accentuées par la crise économique actuelle et l’impact de cette vulnérabilisation sociale et économique sur l’exposition des femmes et minorités de genre aux violences (et à la plus grande difficulté d’y faire face). Les travailleuses de Garance ont revendiqué le financement du secteur non-marchand et de la prévention primaire des violences de genre à hauteur des besoins réels. La prévention primaire étant le moyen le plus efficace de lutter contre les violences de genre, elles ont pointé le manque de volonté politique à assurer un financement structurel et pérenne. À force de travailler avec des bouts de ficelle, les travailleuses (majoritaires dans ce secteur d’activités professionnelles) s’épuisent, en plus d’être précaires (les contrats à temps partiel non choisis ou les contrats à durée déterminée y sont monnaie courante). Un financement correct permettrait en outre que les associations puissent rendre accessibles les outils et services aux personnes les plus socialement défavorisées. Les travailleuses ont également revendiqué la garantie d’une sécurité et d’une autonomie financière pour toutes, notamment à travers l’individualisation des droits sociaux (fin du statut de cohabitant.e), l’augmentation du revenu d’intégration sociale au-dessus du seuil de pauvreté, et l’allègement des démarches administratives. Garance était aussi en grève en solidarité avec toutes les femmes* qui ne le peuvent pas parce qu’elles doivent se battre au quotidien pour leur survie (femmes sans-papiers; femmes en situation de handicap; mères solo).
Une chorale a ensuite interprété des chants en soutien à Sourour Abouda, retrouvée morte il y a deux mois dans un commissariat bruxellois dans des circonstances non encore éclaircies. Une enquête est en cours, mais la police refuse l’accès aux caméras de surveillance. La chorale a notamment scandé « à bas l’état policier », pour dénoncer le racisme et les violences institutionnelles, ainsi que la complicité de la justice. Sourour Abouda est le 3ème décès d’une personne racisée dans ce commissariat en 2 ans.
Face à l’ambassade d’Iran, un rassemblement organisé par le collectif de femmes Iraniennes Femmes, Vie, Liberté a eu lieu. L’occasion pour nous de réaffirmer l’importance primordiale que nous accordons à la solidarité internationale en exprimant notre soutien à la lutte des femmes iraniennes contre le régime théocratique et patriarcal de la République Islamique.
A 14h, place de l’Albertine, avait lieu une action syndicale en front commun FGTB-CSC, qui dénonçait notamment la situation de précarité que vivent nombre de femmes (pour rappel, l’écart de salaire entre hommes et femmes est aujourd’hui encore de 23%, et 43% des femmes occupent des emploi à temps partiel, ce qui impacte également leur pension), mais également les violences dont elles sont encore l’objet. Les syndicats réclamaient ainsi : des mesures pour mettre fin à cette précarité, l’augmentation des salaires bruts et le maintien des périodes assimilées (périodes de chômage, de maladie, de crédit-temps, qui n’impactent pas les pensions); le renforcement des services publics (notamment des crèches, et maisons de repos), afin de décharger les femmes du travail de soin; la réduction collective du temps de travail, pour lutter contre le chômage et faciliter l’équilibre entre travail et vie privé. La Ligue des travailleuses sans papier était également présente pour exiger des critères de régularisation clairs.
Dès 15h, nous avons rejoint le village féministe organisé par la Marche Mondiale des Femmes sur la place de l’Albertine, où nous avons installé notre stand, distribuer nos tracts, et réunit nos forces pour organiser un bloc anticapitaliste et révolutionnaire.
À 18h, malgré le mauvais temps qui s’était invité, nous avons rejoint la manifestation. Nous étions plusieurs milliers à marcher dans les rues de la capitale (parmi les forces en présence, on comptait notamment ROSA/PSL, PTB, le collectif Femme, Vie, Liberté). C’était l’occasion pour nous d’entonner des slogans combattifs et révolutionnaires, qui rappellent que seul un mouvement féministe anticapitaliste, révolutionnaire et organisé pourra véritablement émanciper les femmes.
Bilan et perspectives
Sur de nombreux points, le bilan du 8 mars 2023 accentue certaines dynamiques que nous avions déjà regrettées l’an passé. On observe ainsi un affaiblissement du mouvement féministe, en partie à cause d’un manque de coordinations des différentes sphères militantes : on a d’un côté un féminisme institutionnel, qui mobilise peu autour de l’appel à la grève, et qui se contente d’actions de sensibilisation; de l’autre, de nombreuses petites organisations féministes, souvent assez récentes, qui portent d’importantes revendications et une vraie radicalité, mais qui peinent à entrer en contact avec d’autres collectifs, notamment plus anciens, pour coordonner leurs actions, et risquent ainsi de rester dans un certain entre-soi militant; entre les deux, on trouve des collectifs de travailleur.euse.s, d’étudiant.e.s ou de personnes sans-papiers, qui tentent de lutter dans leurs domaines respectifs, mais qui sont peu visibilisés, et ne parviennent pas toujours non plus à se rencontrer pour lutter ensemble. Le mouvement féministe a pourtant besoin d’une organisation plus large, et d’unir toutes ses forces afin de produire un véritable rapport de force : la domination des femmes est structurelle, et ce n’est qu’ensemble que nous pourrons la faire vaciller. Mais pour cela il nous faut travailler dès aujourd’hui à la coordination des différentes composantes du mouvement.
Il faut également se poser la question de la responsabilité du gouvernement Vivaldi dans le ramollissement de la sphère féministe institutionnelle comme de certains nouveaux collectifs mentionnés ci-dessus. On sait que de nombreuses associations peinent à se mobiliser contre la communication « féministe » du gouvernement, ce qui produit une certaine asphyxie de ces milieux. Pourtant, comme de nombreuses actions l’ont dénoncé ce 8 mars, un gouvernement qui prend des mesures antisociales (réforme des pensions, du crédit-temps), racistes (expulsion des femmes sans-papiers) et qui vulnérabilisent les femmes (mise au frigo de la loi IVG) n’est pas un gouvernement féministe !
S’il faut se réjouir que depuis quelques années, sous l’impulsion du mouvement féministe, les syndicats couvrent la grève du 8 mars, on regrettera également le manque criant de mobilisation dans les centrales, malgré quelques campagnes de sensibilisation. Par ailleurs, il faut également signaler un certain essoufflement cette année des piquets de grève féministes, moins nombreux que l’an passé, malgré une détérioration générale de la situation des femmes. Les liens entre les luttes doivent être rendus visibles auprès des travailleurs et travailleuses à chaque nouvelle attaque de leurs droits et conditions de travail. La situation qui frappe actuellement les magasins Delhaize est un exemple frappant de là où il est pertinent de réaliser ce travail puisque la majorité des travailleurs concernés sont des travailleuses ! Que les syndicats se positionnent en faveur de la grève féministe, c’est déjà une victoire, mais c’est insuffisant s’il n’y a pas derrière un vrai travail en interne pour produire une mobilisation vraiment massive, qui montre la nécessité de lutter à la fois contre le système capitaliste et le système patriarcal. Comme l’an passé, il nous faut pousser plus loin ce dialogue en vue de créer des liens entre les syndicats et les collectifs féministes, afin de favoriser cette mobilisation coordonnée absolument essentielle.
Malgré ce bilan en demi-teinte, le 8 mars reste un moment important à investir pour visibiliser la force du mouvement féministe, en Belgique et à l’international, pour se donner la force de mener les luttes futures et pour se rencontrer. Cette date symbolique ne doit toutefois pas dissimuler la nécessité du travail féministe tout le reste de l’année. Plus que jamais, face aux forces réactionnaires qui se développent à travers le monde, il nous faut un mouvement féministe uni et puissant ! La tâche est grande, mais nous continuerons, avec Féministes anticapitalistes, à travailler à construire ce mouvement féministe large et auto-organisé, qui affirme la nécessité d’une révolution pour lutter contre les forces capitalistes et patriarcales !
Photo : Gauche anticapitaliste / CC BY-NC-SA 4.0