Par une décision qui a été célébrée à Minneapolis et dans toute l’Amérique, un jury de douze hommes et femmes noirs et blancs a reconnu, le 20 avril, le policier blanc Derek Chauvin coupable de deux chefs d’accusation de meurtre dans le cas de George Floyd, un homme noir.
Les policiers sont rarement inculpés et jugés et il est extrêmement rare qu’ils soient reconnus coupables de meurtre. Trois autres policiers qui ont été accusés d’avoir contribué au meurtre de Floyd seront également jugés prochainement.
Les raisons d’un verdict
Trois choses ont entraîné la condamnation de Chauvin. Premièrement, Darnella Frazier, une fille courageuse de 17 ans, a utilisé son téléphone portable pour filmer le meurtre de George Floyd par Chauvin. La vidéo montre Chauvin avec son genou sur le cou de Floyd pendant neuf minutes alors que Floyd disait à plusieurs reprises : « Je ne peux pas respirer ». Cette vidéo est devenue la principale preuve du procès, l’accusation disant aux jurés : « Croyez ce que vous voyez ».
Deuxièmement, le meurtre de Floyd le 25 mai 2020 a déclenché des manifestations nationales qui se sont multipliées tout au long du printemps et de l’été 2020, avec au moins 15 millions d’ÉtatsunienEs manifestant et marchant, d’un océan à l’autre. Les manifestations de Black Lives Matter ont conduit à des demandes de réforme de la police et ont modifié les attitudes du public.
Troisièmement, le jury mixte a rompu avec la pratique habituelle de l’impunité policière et a prononcé une inculpation pour meurtre. Chauvin n’a pas encore été condamné, mais il pourrait aller en prison pendant plus de quarante ans.
Le président Joseph Biden a commenté le verdict : « C’était un meurtre en pleine lumière et cela a arraché les œillères pour que le monde entier voie le racisme systémique… qui est une tache dans l’âme de notre nation ; le genou sur le cou de la justice pour les Noirs américains ; la peur et le traumatisme profonds, la douleur, l’épuisement que les Américains à la peau noire ou brune éprouvent chaque jour. »
Un tournant ?
Pourtant, alors même que Chauvin était jugé, dans une banlieue de Minneapolis, une policière blanche a tiré et tué Duante Wright lors d’une interpellation pour une immatriculation de voiture expirée. L’officier a affirmé qu’elle avait pris son arme pour son Taser. Les NoirEs sont deux fois et demie plus susceptibles d’être tués par la police que les Blancs. Déjà en 2021, la police a abattu 241 NoirEs à l’échelle nationale, contre 235 en 2020. La plupart des personnes tuées sont des hommes noirs, mais il y a aussi des femmes et des enfants.
Alors que les NoirEs et les progressistes ont célébré l’inculpation de Chauvin, et que certains y voient un tournant possible, d’autres sont sceptiques. Aux États-Unis, les États et les villes ontrôlent généralement le maintien de l’ordre ; il existe 49 services de police d’État et 17 985 services de police locaux. Les Démocrates ont rédigé un projet de loi (George Floyd Justice in Policing Act) qui donnerait plus de pouvoirs au ministère fédéral de la Justice pour enquêter sur les problèmes de comportement de la police, créerait des agences indépendantes dans les États pour enquêter sur l’usage excessif de la force, établirait un registre fédéral des plaintes, réduirait l’immunité légale dont jouit la police. Le texte exigerait le port de caméras, interdirait les étranglements et abolirait les mandats qui permettent à la police d’entrer chez quelqu’un sans même sonner à la porte. Les Républicains, qui ont la réputation d’être le parti de la loi et de l’ordre et soutiennent généralement la police, s’opposeront au projet de loi, affirmant qu’ils veulent des changements plus modérés.
Un rapport de forces à construire
Lors des manifestations Black Lives Matter de 2020, les NoirEs et les progressistes (gauche modérée) ont appelé à « dé-financer la police » (« defund the police »), c’est-à-dire au transfert des crédits pour la police vers d’autres domaines tels que les programmes de santé mentale. L’extrême gauche, y compris les socialistes démocratiques d’Amérique (DSA), préconisent l’abolition de la police. Mais seule une poignée de villes ont réduit leurs budgets de police et aucune ville n’a aboli la police. Une majorité d’électeurEs noirs s’opposent à des coupes budgétaires drastiques ou à l’abolition de la police, car beaucoup vivent dans des quartiers à forte criminalité. Les progressistes ne soutiennent pas non plus l’abolition de la police.
L’inculpation de Chauvin est un évènement capital et pourrait être un tournant, mais la réforme de la police dépend en fin de compte de la construction d’un mouvement populaire de réforme de l’éducation, de la santé, du logement, ainsi que de la fin du racisme et des violences policières. Nous devons mettre fin aux inégalités de richesse et de pouvoir et, en fin de compte, nous devons abolir le capitalisme.
Traduction Henri Wilno pour L’Anticapitaliste.