Le texte ci-dessous est un appel international, féministe, antiraciste et anticapitaliste qui nous a été envoyé par des camarades féministes du Chili. Il appelle les femmes* du monde entier à se mobiliser les 8 et 9 mars.


Camarades, sœurs, féministes du monde,

Les collectifs chiliens se joignent aux multiples appels émanants de femmes, lesbiennes, trans, travestis, paysannes, indigènes, étudiantes, travailleuses et afro-descendantes pour que ce 8 et 9 mars nous nous mobilisions, perturbions et construisions des stratégies communes afin de continuer à alimenter la rébellion féministe qui s’est instaurée et soulevée dans le monde entier contre la domination, l’exploitation, l’occupation et le dépouillement.

Aujourd’hui, nous nous retrouvons devant un sommet historique, à l’échelle globale mais plus encore en Amérique Latine. Une instance de crise dans lequel s’ouvrent des trajectoires chaque fois plus polarisées. Une première, marquée par la menace de l’extrême droite et des droites néofascistes, vient gérer et accroître le néolibéralisme qui montre son visage le plus mortifère ; une droite néofasciste qui met en place une politique raciste, sexiste lesbophobe, transphobe et misogyne, dissimulée et protégée par la dispute de l’avant-dernier contre le dernier, consolidant le racisme semé depuis les premiers temps coloniaux et du patriarcat. Face à ce faîte, une autre trajectoire est possible : celle marquée par la puissance féministe, plurinationale, transnationale et antiraciste qui a pu se construire au sein de nos peuples. Malgré que nos constructions se fassent dans des conditions politiques et sociales très différentes nous sommes unies dans la lutte contre cette violence et par notre détermination à en finir avec elle, actualisant une politique pour les exploité·e·s et cherchant à reconstruire à partir d’une vision nouvelle un combat uni et transversal. La possibilité novatrice d’élaborer un programme et une force propres. La découverte de nouveaux outils de lutte, chargés de sens et d’apprentissages ancestraux, fruits du sauvetage des mémoires menacées par les politiques de l’oubli. L’expérience qui nous a unies, et qui nous unit aujourd’hui, est déjà en soi une expérience globale : la force déstabilisante de notre mobilisation contre la violence patriarcale a traversé toutes les frontières et nous a unies en une grande marée.

C’est sur cette cime que nous nous plaçons et d’où nous nous convoquons à édifier un processus de mobilisation se manifestant dans tous les aspects de la vie. À nous rebeller à partir de nos corps/territoires face à l’augmentation des violences qui s’exercent sur eux. Contre cette violence sexuelle qui est une violence politique. À nous rebeller contre la militarisation et les violations systématiques des droits humains et des libertés des femmes, comme le font nos compagnes au Moyen-Orient et au Kurdistan, à Rojava, en ce moment de résistance historique. À nous rebeller contre les attaques et le pouvoir de décision des autres sur nos vies, nos corps et pour le droit à l’avortement. À nous rebeller pour répondre à la crise des soins au niveau global, à l’augmentation de la dette et de l’emprisonnement qui sont des formes directes de dépouillement, de précarisation et de mépris de la vie. En cet instant, notre soutien sororal va en direction des “mujeres de polleras” et des victimes du coup d’État raciste et patriarcal en Bolivie. Nous nous convoquons à nous rebeller contre la violence raciste et institutionnelle afin d’être libres de nous déplacer et d’ancrer nos racines où bon nous semble. À nous rebeller pour affirmer notre droit à dire “non”, à crier “ça suffit” : afin de créer notre propre voie, comme nous l’avons déjà fait, rythmées par un même ballet révélateur, entrelaçant nos multiples biographies et leurs cicatrices pour dénoncer ceux et celles qui ont été les responsables politiques de la gestion de la misère.

Nous nous convoquons à la récupération de nos territoires des mains de l’extractivisme, fondateur des processus colonisateurs, qui s’étend et se manifeste au niveau mondial et s’est vu renforcé par les alliances criminelles et indissociables entre le patriarcat et le capital, ces dernières construisant une tranchée de guerre ayant pour cibles principales les libertés, les droits des femmes et des dissidences, et les expériences de vie communautaire qui s’élèvent sur nos territoires.

Nous nous convoquons à disloquer ensemble les multiples structures qui composent le patriarcat colonial avec la responsabilité vitale d’anéantir le racisme, car il est l’un des ciments les plus importants du capitalisme moderne qui continue à interdire aux corps racialisé·e·s et aux migrant·e·s les accès nécessaires à la dignité de nos existences, et ce, plus de 500 ans après le commencement de l’invasion et de l’exploitation à laquelle ont été soumises Abya Yala, l’Afrique et l’Asie. Les femmes et les corps noirs pluriel·le·s, nous naissons en résistance. Nous n’avons jamais été les simples spectatrices des changements radicaux dont nous avions besoin pour vivre la vie que nous voulions et cette fois ne fera pas exception. Il est nécessaire de racialiser le féminisme et d’y mettre des couleurs, de reconnaître et de visibiliser les négritudes, les existences autres et les oppression multiples provoquées par les croisements de couleur : noires – indigènes – femmes – dissidences, et ceci pour une réparation historique durable.

Nous admettons que la violence patriarcale se présente sous différentes formes et intensités, mais nous savons aussi que notre capacité à la défier et à la rejeter est d’autant plus forte que notre soulèvement est global. Nous savons que les rébellions dont nous faisons parties permettent de réunir les espérances des peuples du monde entier, car depuis le sud nous démontrons de nouveau que les révoltes existent bel et bien, qu’elles font effectivement trembler les structures qui nous oppriment, qu’en effet elles dé-construisent les récits dominants et ébauchent de nouvelles histoires, mettant en avant ceux et celles qui ont toujours été derrière, plaçant les femmes, les dissidences et les peuples devant la possibilité d’être protagonistes de leur histoire et cela au milieu d’une instance de progression de la droite à caractère fasciste, fondamentaliste et raciste, qui nous oblige à monter en première ligne comme l’ont fait les femmes kurdes à Rojava.

Aujourd’hui plus que jamais nous revendiquons la première ligne. Une première ligne qui se tisse elle-même depuis la multiplicité d’aspects qui touchent nos vies. Le grand mouvement duquel nous faisons parties présente différents discours et des pratiques diverses, répondant aux besoins de chacun de nos territoires, mais nous avons confiance en la potentialité d’une grève générale et globale féministe qui se caractérise et se considère comme un processus collectif, d’articulation, de politisation, de grande convergence, d’expansion et d’intervention de la normalité opprimante. Une grève qui considère l’interruption de tous types de travail, allant au-delà du sens productif de ce dernier pour mettre au centre de l’attention les travaux qui sustentent la vie. Nous savons que les féminismes aujourd’hui se lèvent comme une alternative dans les métropoles productives, mais aussi dans les zones rurales et leurs savoirs, c’est pour cela que ce 8M nous nous convoquons au sein de ces différents espaces.

Nous nous convoquons à occuper tous les endroits, et en particulier ceux qui nous ont été historiquement niés. A nous en emparer et à les transformer, coopérant pour créer la possibilité d’une vie qui surmonte la débâcle capitaliste et patriarcale dans laquelle on cherche à nous maintenir assujetti·e·s. Nous avons commencé un processus émancipateur de caractère transfrontalier et pour lequel ce 8M-9M sera un événement de grande importance. Nous savons aussi que ce ne sera pas le seul : nous continuerons à tisser et à nous réunir afin de construire la vie que nous voulons et que nous rêvons de vivre.

Nous nous convoquons à continuer sur le pied de rébellion, à maintenir et à augmenter l’explosion des peuples ainsi que la lutte féministe et transféministe.