Auparavant, nous avons publié sur ce site un article de Herman Michiel, actif chez Ander Europa, dans lequel il examine de manière critique le Pacte des Nations-Unies sur les migrations. Dans l’article ci-dessous, Herman revient sur l’agitation qui a surgi entre-temps autour du traité et sur les réactions d’un certain nombre de mouvements et partis progressistes. En tant que Gauche anticapitaliste nous sommes d’accord avec ses critiques.
Le Pacte des Nations-Unies sur les migrations est-il devenu bon parce que l’extrême-droite pense qu’il est mauvais ?
Lorsque mon article sur le « Pacte des Nations Unies sur les migrations » a été publié au début du mois(1)Ander Europa, 4 novembre 2018, « Accueillir les migrants » ou « Accueillir la migration » ?, « Accueillir les migrants » ou « Accueillir la migration » ?, peu de personnes en parlaient, seul les médias mentionnaient que l’Autriche annonçait également de ne pas le signer, à l’instar des autres gouvernements réactionnaires comme les Etats-Unis ou la Hongrie !
Mais quelques jours plus tard, c’est devenu un sujet d’actualité, et des titres comme « La crise gouvernementale sur le pacte migratoire plane dans l’air », « Haute tension au gouvernement sur le pacte migratoire » sont apparus dans les journaux belges… Comment cela a-t-il pu arriver si soudainement ? Simplement parce que Bart De Wever (président de la N-VA), qui avait découvert un peu tard qu’en tant que parti de droite démagogique, il raterait une occasion unique en ne se joignant pas au front du rejet, qui s’est ensuite étendu à la Pologne, la République tchèque, la Croatie, la Bulgarie, l’Estonie, l’Australie et Israël. Trois semaines avant la signature prévue à Marrakech, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Suisse remettent également en question l’intérêt du Pacte.
Contre toute évidence(2)Pour une brève explication à ce sujet, voir De Volkskrant, 22 novembre, « Quel problème le Pacte des Nations unies sur les migrations résoud-il réellement ? », le pacte non contraignant imposerait-il finalement trop d’obligations, mettrait-il en péril la souveraineté nationale, etc. Nous pourrions remplir ici des pages d’exemples où nos politiciens signent des traités contraignants sacrifiant la « souveraineté » sur l’autel de la « concurrence libre et non faussée », du libre-échange, de l’Alliance de l’Atlantique Nord, et ainsi de suite. Cependant, il ne sert pas à grand-chose de discuter de logique et de conséquences avec des démagogues, car pour eux leur logique est correcte tant que la manipulation fonctionne.
Mais n’avez-vous pas l’impression d’être en mauvaise compagnie maintenant, Monsieur Michel, parce que dans votre article, vous avez descendu le Pacte sur les migrations ? Selon vous, le pacte a été inspiré par des lobbies patronaux, selon la N-VA il est trop positif pour les migrants, mais le résultat est le même : vous trouvez tout les deux que ce n’est pas un bon accord….
Comme je n’ai pas reçu de réactions à mon article, je dois donc me disputer un peu ici avec moi-même, une sorte d’ersatz pour l’absence d’une culture du débat digne de ce nom. Mais comme on dit en français: je persiste et signe, le Pacte des Nations Unies sur les migrations n’est pas un pas en avant pour éviter les tragédies en Méditerranée, pour réduire les raisons de la « migration forcée », pour donner espoir aux désespérés.
Il s’agit presque toujours de « migration irrégulière », et ce n’est pas de cela qu’il s’agit dans le pacte. En ce qui concerne les « réfugiés », un autre pacte des Nations unies y est consacré ; il est également sur la table en ce moment, mais le sort et le calendrier de l’événement ne sont pas clairs pour l’instant. Le Pacte pour des migrations sûres, ordonnées et régulières qui sera adopté à Marrakech en décembre concerne essentiellement la migration de main-d’œuvre, le transfert de main-d’œuvre pour répondre aux besoins des entreprises occidentales.
Je ne me demande pas ici si/combien cela pèse sur les salaires d’un travailleur occidental, mais c’est une erreur de présenter cela comme une contribution au développement durable, comme cela est indiqué avec insistance dans le texte des Nations-Unies et – malheureusement – comme le soutiennent les organisations de développement progressistes dans la position de 11.11.11. en Flandre(3)Dernièrement, dans une tribune dans De Standaard du 23 novembre 2018, le directeur Bogdan Vanden Berghe appelle la Banque mondiale, le FMI, l’OCDE et la Commission européenne à présenter la migration comme une « force positive » .
Même le PVDA/PTB marxiste, pourtant bien à l’aise dans la dénonciation des pratiques et discours de l’idéologie capitaliste, ne va pas au-delà de « Un pacte insuffisant, mais qui va dans le bon sens »(4)Voir Comment un Pacte de coopération internationale en matière de migration devient un sujet de division en Belgique ? https://ptb.be/articles/comment-un-pacte-de-cooperation-internationale-en-matiere-migratoire-devient-un-sujet-de. Selon le PTB, « le Pacte vise à empêcher que les travailleurs migrants soient utilisés comme mains-d’œuvre corvéable à merci par des employeurs de mauvaise foi » ; si tel était le cas, la plupart des travailleurs ne sont-ils pas le jouet des employeurs de bonne foi ? Le PTB fait ses propres propositions sur la question des migrants(5)https://ptb.be/articles/refugies-la-droite-nous-mene-dans-l-impasse-le-ptb-avance-des-solutions, et si on les lit, on constate que le Pacte ne va pas du tout dans leur sens….
J’admets volontiers que toute la lutte politique autour des réfugiés et des migrations pose de nouveaux problèmes à la gauche. Il n’est pas évident de prendre, en même temps, ses distances vis-à-vis des racistes xénophobes de droite qui rejettent le Pacte sur les Migrations en tant que stratégie démagogique, et vis-à-vis des groupes d’intérêts capitalistes qui voient dans la migration de travail comme un paramètre complémentaire dans leur stratégie d’optimalisation de leurs bénéfices.
Je pourrais encore comprendre le fait que certains approuvent le pacte parce que, par exemple, il vise à réduire les coûts exorbitants que les travailleurs migrants paient actuellement pour envoyer de l’argent (« transferts de fonds ») à leur famille dans leur pays. Toutefois, je ne pense pas que nous puissions nous permettre de payer le prix fort en nous laissant prendre en remorque par les élites de Davos qui considèrent la mobilité mondiale de la main-d’œuvre comme une contribution au développement durable. La gauche doit poursuivre sa solidarité inconditionnelle avec les migrants, quel que soit leur « statut », mais aussi continuer à travailler pour une société mondiale qui ne pousse pas les gens à fuir.
Cet article est paru à l’origine sur le site Ander Europa a été traduit du néerlandais.
Notes