Nous sommes entrés dans une phase extrêmement dangereuse du capitalisme mondial : face à des perspectives de vie qui se dégradent de jour en jour pour une grande partie de la population mondiale, le mécontentement grandit, mais ne se traduit pas (encore) en une mobilisation large et organisée pour un projet de société alternative. Alors que les classes dominantes recourent à des méthodes de plus en plus violentes pour sauvegarder leur pouvoir et leurs privilèges, des forces d’extrême-droite prolifèrent en jouant sur l’incertitude, la peur, et les divisions renforcées par les politiques et l’idéologie néolibérales des dernières décennies. En Belgique, les nouveaux gouvernements organisent une attaque générale qui vise non seulement à se débarrasser des grandes conquêtes sociales, mais aussi et surtout à faire basculer durablement le rapport de force entre les classes sociales. Il s’agit d’une tentative de casser les outils de solidarité et de résistance de la classe travailleuse dans son ensemble.
Pour autant, rien n’est encore inscrit dans le marbre. L’issue de cette nouvelle période dépendra avant tout de la capacité des mouvements sociaux et syndicaux à se mobiliser avec force et dans la durée, avec un objectif clair : la chute du gouvernement, seul moyen de stopper la casse sociale et de commencer le combat pour des alternatives sociales et solidaires. Pour y arriver, la résistance doit être la plus large et unitaire possible, s’appuyant sur une démocratie de la base au sommet.
Offensive globale et violente du capital
Ce nouveau gouvernement et les attaques à venir s’inscrivent dans une tendance mondiale à l’extrême-droitisation, intimement liée à la crise multidimensionnelle du capitalisme : une instabilité socio-économique profonde et une crise écologique sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Depuis la crise financière et économique de 2008, ni les politiques néolibérales, ni les politiques keynésiennes de relance, ni un amalgame des deux, n’ont réussi à stabiliser la situation économique et sociale. Bien au contraire : la pandémie du Covid, les effets du dérèglement climatique, la sous-performance des plus grandes économies, les inégalités croissantes de revenus et de richesses, l’aggravation de l’endettement public et privé, et les poussées d’inflation mettent en péril les conditions de vie -voire la vie même- d’une part toujours plus grande de la population mondiale. En même temps, malgré les nouveaux débouchés créés par le capitalisme vert et les multiples cadeaux fournis au grand capital dans le cadre des « politiques industrielles », ces différentes crises tendent à miner les sources stables de profits et d’accumulation.
Outre les délires de la spéculation et des bulles financières, les classes dominantes ne savent trouver d’autre réponse à ces contradictions qu’une offensive générale contre les droits démocratiques et sociaux : à la fois comme tentative d’accroître le taux d’exploitation et ainsi le taux de profit, et comme moyen de supprimer tout germe de révolte contre un système en perte de légitimité. Face au rejet de la démocratie libérale (marquée par une absence de démocratie économique, et démocratie politique limitée aux élections, laissant les gouvernement libres d’agir sans rendre de compte entre les scrutins) par une grande partie de l’électorat, le néolibéralisme se réinvente sous une nouvelle forme : fusionnée avec une idéologie et des politiques d’extrême-droite, en s’appuyant sur tout ce qui peut semer la division au sein de la classe travailleuse. Dans la même lignée, on observe un glissement généralisé vers des régimes autoritaires, une concurrence internationale et des tensions géopolitiques qui s’aiguisent, et l’accroissement des affrontements violents. Si la mondialisation néolibérale s’est accompagnée de la multiplication de foyers de « guerres pour les ressources » (les mal nommées “nouvelle guerres”, résultats des offensives antisociales et austéritaires pilotées notamment par le le FMI à l’encontre des ex-colonies) nous assistons en effet ces dernières années à une accélération de la violence armée à travers l’accroissement de l’échelle des conflits. L’invasion russe de l’Ukraine en 2022 a ainsi marqué un tournant, avec le retour de la guerre de haute intensité sur le territoire européen, qui faisait elle-même suite à l’annexion de la Crimée et la guerre de « basse intensité » menée par Poutine dans le Donbass depuis 2014. Avec le génocide à Gaza, soutenu ouvertement par les États soi-disant défenseurs des droits humains, le niveau de barbarie a atteint un autre sommet. Il s’agit d’un point de bascule : fini le récit de l’État de droit et son corollaire le droit international; place à l’arbitraire politique à la Trump, au service d’un projet de société du chacun pour soi, où tout ce qui ne rapporte pas au capital – qu’il s’agisse de la nature ou de vies humaines – ne vaut plus rien.
Les classes dominantes ne savent trouver d’autre réponse à ces contradictions qu’une offensive générale contre les droits démocratiques et sociaux : à la fois comme tentative d’accroître le taux d’exploitation et ainsi le taux de profit, et comme moyen de supprimer tout germe de révolte contre un système en perte de légitimité.
« Il n’y a pas d’alternative »
En Belgique, cette tendance se traduit de façon limpide dans le programme du nouveau gouvernement: l’Arizona prévoit une vague de mesures antisociales, sexistes et racistes d’une ampleur inégalée depuis des décennies. 22 milliards d’économies sur les travailleur·euses avec ou sans emploi, avec ou sans papiers, et une minable petite taxe sur les plus-value pour tenter de faire passer la pilule(1) Ajoutons que cette taxe est l’objet de débats au sein même de la coalition, avec un MR qui cherche à tout pris à en réduire la portée, pourtant déjà très minime (500 millions dans un budget de 22 milliards). Un nouvel exemple que même les mesures les moins injustes de l’accord de gouvernement (le “trophée” de Vooruit) sont insupportables pour la droite en position de force au sein de la majorité.. L’austérité se fera donc avant tout sous forme d’une réduction des dépenses sociales : autour de 9 milliards d’économies dans la sécurité sociale à elle seule. Avec des possibilités d’économies supplémentaires comme gage au cas où les hypothétiques « effets de retour » de plusieurs milliards ne seraient pas atteints(2) « L’accord de ne pas augmenter la pression fiscale lors de contrôles budgétaires implique qu’on se retournera à chaque fois vers de nouvelles économies. Même si côté gauche, on remarque que la nuance que la pression fiscale ne peut pas augmenter en proportion du PIB laisse néanmoins une marge pour de nouveaux revenus. » Source : https://www.tijd.be/politiek-economie/belgie/algemeen/dit-is-de-begroting-van-de-ploeg-de-wever-een-col-buiten-categorie-van-17-miljard-euro/10586018.html (traduction propre). Au niveau écologique tout reste très vague : il s’agit de poursuivre les politiques du capitalisme vert sans trop se soucier du « vert » dans les engagements, si ce n’est que pour justifier des choix politiques dangereux tels que la continuation et le développement du nucléaire.
Par ailleurs, ce discours s’appuie sur une logique technocratique, qui projette les questions économiques et budgétaires en dehors du champ de la discussion démocratique. Qu’il s’agisse de la « nécessité de rendre notre économie compétitive » ou des règles budgétaires européennes qui sont à nouveau imposées après une « pause » de trois ans, l’argument de la « contrainte extérieure » est habilement manipulée pour justifier la casse sociale. Tout comme d’autres discours dans le même style: « avec le vieillissement, on ne pourra plus financer notre sécurité sociale si on ne serre pas la vis maintenant» ; « il faut réduire la différence de revenu entre “ceux qui travaillent” et les “assistés” » ; « l’Arizona ou le chaos » ; ou encore « ça va faire mal » mais « il n’y a pas d’alternative », selon le mot d’ordre néolibéral depuis Thatcher. Un argument repris volontiers par les dirigeants des Engagés et de Vooruit, qui tentent de faire accepter le programme réactionnaire de l’Arizona en prétendant, notamment auprès des dirigeant·es des syndicats et des mutualités, que « sans eux, c’eut été (encore) pire ».
L’hypocrisie de ce dogmatisme austéritaire apparaît au grand jour avec le grand plan européen de 800 milliards d’investissement pour le réarmement de l’Union. Ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas pour nous d’opposer dépenses de défense et investissement dans les besoins sociaux et environnementaux, opposition qui ne vaut qu’au sein du logiciel néolibéral et qui aveugle malheureusement une large partie de la gauche. Au contraire, nous avons plaidé pour une politique de sécurité indépendante et anticapitaliste, qui articule la nécessité d’une défense (y compris militaire) face au danger (néo)fasciste avec des investissements dans les services sociaux, une politique qui soit au service de la solidarité politique et matérielle avec le peuple ukrainien, et de la défense des intérêts de notre classe face à l’extrême droite. Le plan ReArm Europe est une mauvaise et dangereuse réponse à un vrai problème. Il a néanmoins le mérite d’illustrer que des moyens existent et que leur utilisation est un choix politique.
Le but de telles menaces mensongères est toujours le même : démotiver au maximum la résistance sociale qui gronde. La Fédération des entreprises de Belgique (FEB) accuse déjà les syndicats de provoquer avec leurs actions des dégâts économiques qui « ne feront qu’alimenter les vagues de restructurations et de faillites », quand celles-ci sont en réalité la conséquence de l’essoufflement du régime d’accumulation néolibéral. Bouchez pour sa part, le représentant le plus direct de la bourgeoisie radicalisée, s’est dit prêt à l’affrontement et même à devoir en payer l’addition électorale en 2029, du moment que l’offensive antisociale soit menée.
Briser la résistance : de la concertation les mains liées à la répression généralisée
La veille de la première grande action syndicale après la formation du gouvernement, le 13 février, Bart De Wever a rencontré le Groupe des Dix – instance suprême de concertation entre représentants des syndicats et des fédérations patronales. Selon le journal l’Echo, il voulait les écouter et les assurer « de sa volonté de soutenir le dialogue social ». Si on creuse un peu le programme de l’Arizona, toutefois, l’objectif réel saute aux yeux: mettre les syndicats et toute autre organisation du mouvement social hors-jeu, en les privant de budgets, en réprimant leurs militant·es, en les exposant à des sanctions graves, en leur faisant donc avaler pieds et poings liés les politiques antisociales. Le dernier exemple en date de cette inflexibilité est le recalage par la N-VA du premier accord conclu entre syndicats et patronat sur les prépensions au sein du G10(3)Voir : https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/federal/la-n-va-recale-le-premier-accord-social-conclu-depuis-la-mise-en-place-de-l-arizona/10599455.html
: un accord très minime, qui consistait seulement à maintenir le système des RCC jusqu’au 30 juin prochain, avec un impact budgétaire limité (10 millions d’euro), mais qui était insupportable pour le parti du Premier Ministre. La rigidité des nationalistes flamands a surpris au point que même le patron de la FEB a invité la N-VA à faire preuve de davantage de souplesse, sous peine d’illustrer l’absence de marge de négociation entre les partenaires sociaux et de souffler sur les braises de la contestation(4) Depuis l’accord a finalement été validé par le gouvernement : https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/federal/le-gouvernement-federal-valide-l-accord-du-groupe-des-dix/10600316.html.
Ainsi, les mesures de « flexibilisation » du travail (travail de nuit et le dimanche, heures supplémentaires sans sursalaire ou récupération, flexi-jobs…) seront introduites sans besoin de consulter les syndicats. On tente de revenir aux négociations’ individuelles entre travailleur·euse et patron, où le rapport de force est évidemment biaisé à cent pour cent en faveur du dernier. Le projet de loi sur la possible interdiction aux « casseurs » de manifester est remis sur la table. Les syndicats pourront en outre être tenus responsables des grèves qui se feraient sans respecter les règles de préavis. En même temps, le financement fédéral d’Unia, institution qui lutte contre les discriminations et pour l’égalité des chances, sera réduit d’un quart. Et ce ne sont que quelques exemples. La politique migratoire, basée sur la criminalisation des migrant·es, l’enfermement, l’expulsion et l’externalisation, piétine les droits humains et exacerbe toutes les formes de racisme. Pour mettre de telles politiques en pratique le plus « efficacement » possible, le gouvernement compte déployer des technologies avancées sans égards pour la protection de la vie privée, telles que la « reconnaissance faciale pour la détection des condamnés et des suspects ».
Si on creuse un peu le programme de l’Arizona, toutefois, l’objectif réel saute aux yeux : mettre les syndicats et toute autre organisation du mouvement social hors-jeu, en les privant de budgets, en réprimant leurs militant·es, en les exposant à des sanctions graves, en leur faisant donc avaler pieds et poings liés les politiques antisociales
En somme, pas besoin d’un gouvernement fasciste pour préparer le terrain d’un État autoritaire et répressif. On ne peut sous-estimer les risques d’une telle tendance: si le recours systématique à la répression par un appareil d’État montre en même temps sa fragilité, il peut aussi briser durablement les possibilités de s’organiser collectivement. Et entretemps, de nombreuses vies humaines sont en jeu.
L’urgence immédiate : résistance unitaire jusqu’à la chute du gouvernement
En Belgique, comme en Europe et ailleurs, la gauche au sens large est sur la défensive. Des coalitions de droite conservatrice qui intègrent ou s’appuient sur des forces d’extrême-droite sont formées et peuvent avoir du succès auprès de la classe travailleuse. Dans certains cas (Italie, Hongrie, Pays-Bas,…) l’extrême-droite est déjà la première force au pouvoir. Il s’agit d’une situation plus qu’inquiétante, avec des enjeux énormes pour les sociétés humaines et notre planète. Dans ce contexte, les priorités de la Gauche anticapitaliste sont claires : combattre la résignation de la classe travailleuse et la convaincre qu’il faut se révolter contre l’Arizona et qu’une victoire est possible; s’impliquer dans la construction d’un mouvement large, un front commun social articulé autour des syndicats qui regroupe toutes les organisations de gauche et progressistes, les syndicats, les organisations féministes, anti-racistes, LGBTI, anti-impérialistes, antifascistes, les collectifs militants et le monde associatif, pour mener la bataille contre ces forces réactionnaires(5)On peut penser de façon non exhaustive aux syndicats (FGTB & CSC), la Gauche anticapitaliste, le PTB, le PSL, le réseau Ades, la Coordination antifasciste de Belgique, Commune Colère, les Collectifs 8 mars et toutes les organisations progressistes, féministes, anti-racistes, LGBTI+,…; et articuler ces deux tâches à la mise en avant d’un projet de société écosocialiste alternatif, élément de réponse déterminant face à la question du pouvoir politique qui se posera tôt au tard.
Des partis comme Vooruit ou les Engagés, en rentrant dans le gouvernement Arizona, ont choisi leur camp. On ne peut compter sur eux pour empêcher la casse sociale; tout au plus pourront-ils obtenir des miettes pour adoucir ou ralentir quelque peu le processus douloureux. S’il reste important de maintenir un dialogue avec des militant·es de base de ces partis qui se désillusionneraient petit à petit, la stratégie de « mettre la pression » sur leurs directions pour grappiller quelques miettes n’est qu’une perte de temps, même si ces partis seront vraisemblablement les premiers maillons à céder dans une situation de plus grande conflictualité sociale, et donc dans cette perspective une pression maximale doit être maintenue à leur égard. De même, on ne peut s’appuyer sur l’opposition parlementaire de PS et Ecolo qui ont participé activement au précédent gouvernement avec ses attaques contre les travailleur·euses et les migrant·es, même si ces partis ne sont pas la cible principale et peuvent être des alliés contre l’extrême-droite à certaines occasions. Le PTB est désormais un parti incontournable de la gauche parlementaire, le seul qui garde une certaine crédibilité dans une perspective de rupture. Pourtant, il continue de faire obstacle aux conditions nécessaires à la concrétisation d’une telle dynamique. Malgré une position globalement renforcée et le bulldozer qui se dresse en face, le parti continue à surfer sur des mots d’ordre opportunistes et insuffisants pour opérer une réelle rupture avec les politiques néolibérales. De plus, le parti continue de se poser comme l’unique prolongement politique possible pour les mouvements sociaux et syndicaux, appelant par exemple à se ranger derrière son programme en marchant le 27 avril « contre la casse sociale et pour la paix ». Les mandats parlementaire du PTB seraient bien plus utiles s’ils étaient mis au service de la construction d’un large front de résistance qui dépasse les intérêts du parti.
Le PTB est désormais un parti incontournable de la gauche parlementaire, le seul qui garde une certaine crédibilité dans une perspective de rupture. Pourtant, il continue de faire obstacle aux conditions nécessaires à la concrétisation d’une dynamique de front large de résistance.
Le seul moyen d’arrêter ces politiques régressives, c’est de mener le combat pour la chute du gouvernement. Pour y arriver, des manifestations annuelles ou des actions de désobéissance civile ponctuelles, aussi radicales et importantes soient-elles, ne suffiront pas. Une contre-offensive générale pour stopper le gouvernement implique de se mobiliser massivement, sur les lieux de travail et d’étude et dans la rue, autour d’un véritable plan d’actions combatif au finish.
Les syndicats, en tant que plus grand mouvement social organisé de la classe travailleuse en Belgique, ont un rôle central à jouer dans ce processus. Pour le moment, ils se veulent malheureusement rassurants envers le patronat et n’assument pas la nécessité de renverser le gouvernement. Pourtant, syndicats et mutualités sont eux-mêmes directement attaqué·es : les syndicats vont perdre des affilié·es sans emploi et seront visés par la répression, les mutualités se retrouvent contraintes d’appliquer les exigences du gouvernement fédéral en accélérant le retour des malades au travail sous peine de sanctions financières. Plus que jamais, l’alternative pour ces « corps intermédiaires », c’est soit de se faire balayer par une bourgeoisie radicalisée, soit la rébellion ! Le temps des illusions sur la « concertation sociale » doit prendre fin. Les syndicats ont la capacité d’organiser une grande campagne d’explication vers l’ensemble de la classe travailleuse du programme de démolition sociale de l’Arizona, et d’élaborer en parallèle un plan d’actions radical pour stopper la coalition. A condition que leurs directions rompent clairement avec la logique des « amis politiques » (social-démocratie et démocratie chrétienne) et les liens organiques avec des partis comme Vooruit ou le CD&V. Et à condition que les militant·es et délégué·es arrivent à instaurer une dynamique partant de la base qui permettra de dépasser les réticences et obstructions au sommet : des assemblées de travailleur·euses et des comités de grève, pour pouvoir débattre et décider ensemble des actions menées, et reconduire les grèves quand la dynamique est bonne. La nécessité de mobiliser largement et de dépasser l’inertie des grandes structures est l’occasion de développer des formes d’auto-organisation et d’autogestion, un pouvoir démocratique alternatif.
Un gouvernement de rupture anti-néolibéral est indispensable pour arrêter le carnage social et écologique. Pour défaire la stratégie des droites, nous aurons besoin de coaliser très largement les secteurs de la classe travailleuse et de ne laisser personne de côté. Seul un front commun social centré sur les syndicats pourra élaborer et imposer par l’action un réel programme de rupture qui unit et mobilise: un programme radicalement solidaire, écologique, démocratique qui inclut la défense des droits des femmes, des personnes racisées et exilées, et des personnes LGBTI+.
Les organisations de gauche et progressistes dont la Gauche anticapitaliste doivent mobiliser tou·te·s leurs membres et sympathisant·es en ce sens et participer au travail de terrain d’information et de ralliement.
Seul un front commun social centré sur les syndicats pourra élaborer et imposer par l’action un réel programme de rupture qui unit et mobilise : un programme radicalement solidaire, écologique, démocratique qui inclut la défense des droits des femmes, des personnes racisées et exilées, et des personnes LGBTI+.
Des lueurs d’espoir pour un autre horizon
Si la lutte actuelle est avant tout défensive, on ne peut découpler le combat contre ce gouvernement de la question de l’alternative programmatique.
L’extrême droite et les éléments néolibéraux radicalisés qui ont aujourd’hui l’initiative prospèrent sur une crise de l’alternative. Malgré un capitalisme de plus en plus agressif et destructeur, l’horizon de son dépassement semble lointain. Face à cette désillusion et dans le cadre d’une désintégration progressive des espaces de solidarité par le néolibéralisme, les réflexes immédiats pour la majorité de la population peuvent être le repli sur soi ou la tentative de sauvegarde d’une position sociale au détriment d’autres plus précarisés, autant de dispositions qui alimentent le ressentiment et les divisions au sein de notre classe, nourrissant le projet de l’extrême droite. Pour s’assurer de la victoire contre les forces (néo)fascistes et les néolibéraux qui leur pavent la voie, c’est avec les conditions de leur émergence qu’il faut rompre.
Les défis comme les dangers sont immenses, et rien ne garantit que la lutte sera victorieuse dans les années à venir. Mais des signes d’espoir sont là. Il s’agit de chercher les brèches qui se dessinent et d’aider à les ouvrir. 100 000 personnes ont manifesté à Bruxelles ce 13 février avant même que l’Arizona n’ait commencé à mettre en place ses politiques. L’inquiétude est largement partagée, et la colère gronde partout. Des initiatives radicales et unitaires telles que Commune Colère se mettent en place dans différentes villes. Sous pression de leurs bases, les deux principaux syndicats (FGTB et CSC) ont organisé une grève interprofessionnelle de 24 heures le 31 mars, qui a été correctement suivie, mais qui a aussi mis en lumière les limites actuelles du rapport de force en termes de mobilisation et de perspectives. Outre les multiples mobilisations du mois d’avril (grèves tournantes des cheminot·es, des enseignant·es, luttes paysannes, manifestation contre le centre fermé de Vottem), la ligne de mire du mouvement contre l’Arizona est désormais la journée d’actions nationales le 29 avril, également couverte par un préavis intersectoriel. Si la dynamique combative se maintient, ces actions ne seront que le début. Plus on est nombreux·se à participer, à s’organiser, à discuter de stratégie et d’alternatives, plus on a des chances de radicaliser et de structurer le mouvement, vers la grève générale prolongée et une pression sociale et économique maximale. Une victoire contre ce gouvernement est indispensable non seulement pour redonner l’espoir à tous·tes les exploité·es et opprimé·es qui résistent, mais aussi pour poser les jalons d’une offensive plus radicale.
La lutte qu’il faut mener aujourd’hui ne peut faire l’économie d’un programme positif qui assume la nécessité de rompre avec le capitalisme : il ne s’agit pas seulement de faire reculer la droite et l’extrême droite, de conserver les conquis sociaux ou encore de revenir à une période fantasmée où le partage de la valeur entre capital et travail aurait été plus équitable, mais bien de poser la question du dépassement du capitalisme au profit d’une autre société. Une question d’autant plus importante que la catastrophe écologique nous oblige aujourd’hui à l’urgence si on veut conserver l’habitabilité de la planète pour tous et toutes.
Pour ne pas être un horizon lointain et utopique, cette société doit se nourrir des revendications présentes : les grèves des cheminot·es, aujourd’hui, qui posent la question de l’importance des transports publics dans le cadre d’une transition écosocialiste, les mobilisations des travailleur·euses du non-marchand (la santé, la culture, les écoles, le monde associatif, les CPAS, la petite enfance, …) qui se battent pour de meilleures conditions de travail et mettent en lumière l’importance du travail du soin, sont autant de pistes qui contredisent la logique prédatrice du capital et posent les bases d’un autre rapport au monde et aux autres. De telles revendications, pour gagner en force, doivent cependant pouvoir s’articuler autour d’un projet de société alternative, un projet auquel doivent pouvoir contribuer les mouvements sociaux, les associations, les collectifs de quartier, etc.
Surtout, un tel programme doit assumer la traduction politique de ces aspirations. Cela ne signifie pas se limiter à une extension parlementaire aux revendications selon une logique de plaidoyer, mais au contraire rompre la division artificielle entre social et politique. Si un tel programme de rupture veut voir le jour, il faudra outrepasser le carcan étriqué du seul champ institutionnel, en poussant le mouvement social à assumer le rapport de force, par l’amplification des mobilisations, des luttes, des grèves, qui déplacent les lieux de décisions. En creux, cela signifie en effet poser la question du pouvoir. Sur les lieux de travail, d’étude, dans la rue : il s’agit de reprendre le contrôle de nos vies, d’agir collectivement en faveur d’une autre société, seule manière de travailler à la mise en œuvre d’une société écosocialiste et radicalement démocratique.
Si un tel programme de rupture veut voir le jour, il faudra outrepasser le carcan étriqué du seul champ institutionnel, en poussant le mouvement social à assumer le rapport de force, par l’amplification des mobilisations, des luttes, des grèves, qui déplacent les lieux de décisions. En creux, cela signifie en effet poser la question du pouvoir.
Photo : grève de l’enseignement à Bruxelles le mardi 8 avril. Crédit : Gauche anticapitaliste / CC BY-NC-SA 4.0
Notes