Le 28 février 2023, peu avant minuit, un train reliant Athènes à Thessalonique (nord), avec plus de 350 passagers à son bord, avait heurté de plein fouet un train de marchandises dans la vallée de Tempé, à environ 350 km au nord de la capitale. Étrillé par l’association des parents des victimes et de toute la société grecque qui accusent le gouvernement de vouloir dissimuler non seulement les causes véritables de l’accident mais aussi les responsabilités politiques et pénales des membres du gouvernement de l’époque ainsi que de manipuler la justice et les médias, le chef du gouvernement se retrouve devant la plus grande crise politique de ses six ans au pouvoir.
Non à la dissimulation meurtrière ! Justice ! « Nous n’avons plus d’oxygène ! »
Ce 28 février 2025, à la date anniversaire de la catastrophe, une grève générale a été organisée et suivie à presque 100 %, et même les grands supermarchés qui restent toujours ouverts ont fermé ce vendredi. Un million de personnes ont manifesté à Athènes, à Thessalonique et dans 260 villes et villages en Grèce, mais aussi partout dans le monde. Rapporté à la population de la Grèce, c’est près de 10 %. « Nous étions environ 60.000 dans la plus grande ville crétoise (au total 120.000 manifestants en Crète, pour une île de 700.000 habitants… ») a déclaré notamment le cinéaste militant Yannis Youlountas.
À Bruxelles, 1500 personnes se sont rassemblées à la Place du Luxembourg pour clamer « non à la dissimulation » et demander justice pour les victimes. Nous n’avions pas vu une manifestation aussi massive concernant la Grèce depuis les grandes manifestations de 2015.
La foule a repris la phrase « je n’ai plus d’oxygène », les derniers mots prononcés par une étudiante dans un appel aux services de secours juste après la collision et avant la grande explosion qui a tué 57 personnes, la grande majorité des étudiant.e.s entre 18 et 28 ans qui rentraient à Thessalonique après les vacances de Carnaval.
Fin janvier, déjà, plus de 100 000 personnes avaient défilé à Athènes, à Thessalonique et dans d’autres villes du pays. Il faut noter que ces manifestations ont surgi spontanément par la pression de la base pour soutenir la très connue aujourd’hui Association des familles des victimes de Tempé dont la présidente Marie Karystianou a perdu sa fille de 19 ans dans l’accident. Les attaques nauséabondes de membres du gouvernement et de certains journalistes envers les parents des victimes, quand ils ont décidé de faire des enquêtes parallèles afin de trouver la vérité sur l’accident, ont enragé et mobilisé la grande majorité de la société grecque, parmi eux de personnes qui participaient pour la première fois à des manifestations et une grande partie d’électeurs de Mitsotakis. Les revendications qui unissent toute cette foule hétéroclite sont surtout que justice soit faite pour les victimes, non à la dissimulation que le gouvernement a essayé de faire depuis le début de la tragédie et, enfin, la condamnation des responsables politiques aussi et non uniquement des travailleurs comme le chef de gare local inculpé.
Les causes du drame : réseau ferroviaire privatisé, de l’argent public dilapidé, une sombre affaire de contrebande de substances inflammables et la précipitation du gouvernent de dissimuler des preuves
Dans la soirée du 28 février 2023, le train de passagers Intercity 62 de Hellenic Train, qui partait de Larissa et se dirigeait vers Thessalonique avec 350 passagers – pour la plupart des étudiants – a circulé pendant 12 minutes sur de mauvaises voies et est entré en collision à 23h22 avec un train commercial de la même compagnie.
Une forte explosion s’en est suivi, causant la mort de 57 personnes et des centaines de blessés. Selon les plaintes des survivants, la réaction de l’appareil d’État a été inadéquate, peu d’ambulances, de personnel de santé et de pompiers étant arrivés sur les lieux. Tous les témoignages des survivants indiquent qu’aucun sauveteur n’a été envoyé. Pire, trois jours après l’accident et en dépit des règles internationales sur les catastrophes ferroviaires, le gouvernement a donné l’ordre d’enlever les wagons détruits, de tonnes de terre autour des deux trains et de bétonner (!) le lieu de l’accident. Plusieurs mois après, les parents trouvaient du DNA et des effets personnels de leurs enfants jetés dans les champs autour de l’accident !
Outre l’erreur humaine imputée au chef de gare local ce soir-là, personne d’autre n’était inculpé. Pourtant, les travailleurs avaient depuis longtemps révélé de graves négligences sur le réseau ferré, notamment l’absence de mise aux normes des systèmes de sécurité malgré l’argent reçu de l’UE à cet effet.
La société publique TrainOSE a été bradée en 2017 pour un montant de 45 millions d’euros au groupe italien Ferrovie dello Stato Italiane. La décision a été prise par le gouvernement de l’époque, Syriza-Anel, puisque la privatisation était un objectif clé de l’Union Européenne (UE) et du Fonds Monétaire International (FMI) et une « obligation du mémorandum » imposé à la Grèce depuis 2011.
Depuis 2019, le présent gouvernement a continué à subventionner les nouveaux propriétaires avec des dizaines de millions d’euros par an afin que la compagnie reste rentable et assure les destinations les « moins fréquentées » dont faisait partie la plus grande et très fréquentée ligne du pays entre Athènes et Thessalonique, ignorant les plaintes constantes des travailleurs ferroviaires au sujet de la pénurie dramatique de personnel et à propos des mesures de sécurité. Au lieu de cela, les responsables ont continué les licenciements et les réductions de personnel, en vue de compléter la « consolidation » de la compagnie.
Récemment, un rapport d’experts financé par l’Association des familles des victimes a conclu que le train de marchandises transportait une cargaison illégale et non déclarée de produits chimiques explosifs, ce qui aurait contribué à la grande explosion et au nombre élevé de victimes qui ne sont pas mortes tout de suite de l’accident. Des enregistrements au 112 dissimulés (dont celui repris par les manifestants « je n’ai pas d’oxygène ») ont été publiés par des médias indépendants.
Ce jeudi (27/02), un jour avant la grève et les grandes manifestations, un autre rapport accablant de l’agence grecque de sécurité de l’aviation et des chemins de fer a révélé des défaillances systémiques en matière de sécurité et la destruction de preuves cruciales dans les jours qui ont suivi l’accident. Ces experts ont également déclaré qu’il y avait une « présence possible » d’un « carburant inconnu » sur le lieu de l’accident.
Aujourd’hui, en Grèce, l’écrasante majorité du peuple est convaincu que le gouvernement a tout fait pour essayer de dissimuler un crime évitable en insultant les parents, en obstruant la justice, en corrompant les médias et en manipulant les comités d’investigation et les preuves. Ceux qui soutiennent encore le gouvernement ont l’air suspects : soit ils ont quelque chose à cacher soit ils ont des intérêts et des privilèges qu’ils ne veulent pas perdre. Le gouvernement et le Premier ministre ont perdu la confiance et la légitimité du peuple, mais l’opposition est trop faible pour imposer un changement de politique. Que nous reste-t-il donc ? Le mouvement de masse, les travailleur.es, les étudiant.e.s et les élèves qui restent mobilisés, qui demandent justice pour les victimes, la condamnation des responsables politiques et la dé-privatisation, sans indemnisation à la compagnie privée des chemins de fer dont le fonctionnement doit rester sous le contrôle des travailleurs ! Nous les soutenons en étant solidaires avec les luttes de nos cheminots ici en Belgique qui résistent contre la dégradation et la privatisation de nos chemins de fer. Parce que nos vies valent plus que leurs profits !