1, 2, 3, 4…5 ? Non, elles sont bien 4 sur cette photo officielle de présentation du nouveau gouvernement fédéral belge. Dans ce gouvernement Arizona, la forme correspond au fond. Mais la polémique autour de la photo du gouvernement avec son caractère de « boys club » n’a pas dénoncé l’essentiel : même si elles sont encore peu nombreuses, le gouvernement n’hésitera pas à s’appuyer sur des profils de « femmes fortes » assumées de droite pour mener à bien ses politiques anti-femmes.

On en avait déjà eu un avant-goût sous le gouvernement paritaire de la Vivaldi : plus de femmes n’est aucunement un gage de politiques sociales et humaines. Et on le voit déjà clairement : Anneleen Van Bossuyt, la nouvelle ministre de l’Asile et la Migration (N-VA) promet de mener une politique migratoire « sans états d’âme » et « la plus stricte jamais appliquée dans ce pays ». Au menu, un paquet de mesures racistes dignes du Vlaams Belang qui permettront de réprimer encore plus violemment les migrant·es, dont 50% sont des femmes. Dans la foulée du travail d’analyse déjà entamé par plusieurs organisations (Furia, Vie Féminine, CSC, FGTB, Les Grenades,…) nous proposons une synthèse de l’impact sur les femmes de l’accord du gouvernement Arizona, mais nous ouvrons aussi la question : comment riposter, avec qui et dans quelle perspective ?

Traversée du désert social de l’Arizona 

Une critique féministe de l’accord permet de mettre en avant les nombreuses attaques du gouvernement à notre égard. Deux tiers des malades de longue durée sont des femmes ; les remises au travail forcées à coup de pressions les impacteront donc de plein fouet. Les inégalités de pension, déjà existantes, seront aggravées par le durcissement de la notion de « travail effectif » excluant de fait les femmes forcées de travailler à temps partiel. La généralisation du travail le dimanche et la suppression du travail de nuit entre 20h et minuit constituent un recul des conditions de travail important qui touchera particulièrement certains secteurs féminisés tels que la distribution et la santé. Les attaques contre le chômage et les allocations sociales se répercuteront elles aussi durement sur les femmes et leur autonomie financière.

De plus, l’Arizona dote la Belgique de politiques migratoires d’extrême droite, qui heurteront encore plus violemment les femmes en accroissant significativement leur exposition à la précarité et au sans-abrisme, à l’exploitation, notamment sexuelle, et aux réseaux de traite des êtres humains. En matière de droits reproductifs, malgré les recommandations d’expert·es pour élargir l’accès à l’avortement, l’accord ne s’engage à rien de concret, et pire, le gouvernement assume continuer le blocage de toute avancée. En matière de lutte contre les violences sexistes, l’Arizona se contente de mesures floues, répressives et insuffisantes, dans la continuité de la Vivaldi. Dans le même temps, le secteur associatif, essentiel pour lutter contre les discriminations et les violences, subit une menace importante en termes de subsides et de survie (plusieurs associations, comme Vie Féminine, ont déjà dû licencier des travailleuses). Les syndicats et les collectifs féministes subiront eux aussi les politiques répressives et les offensives généralisées prévues contre l’ensemble du mouvement social. Les constats convergent : l’Arizona est un gouvernement anti-femmes et anti-féministe.

Contre l’Arizona et son monde : une société féministe et solidaire

Face à l’ampleur de l’attaque, la première exigence est de ne pas céder à la sidération : ce catalogue des horreurs n’est pas une fatalité. L’Arizona s’appuie sur une stratégie du choc : il s’agit de frapper vite et fort, d’attiser la division au sein de notre classe et d’empêcher la riposte en étourdissant l’ensemble du mouvement social, féminisme compris. Il est du pouvoir du mouvement féministe, avec d’autres, d’en empêcher la réalisation. Si le gouvernement n’assume pas explicitement sa politique anti-femmes, nous ne devons pas être dupes. Après avoir dû céder du terrain sous la pression du mouvement féministe pendant des années, les classes capitalistes veulent reprendre l’initiative, et organisent un véritable backlash qui alimente aujourd’hui les campagnes antigenres partout dans le monde. Avec cet accord, la Belgique s’aligne d’ailleurs en partie sur d’autres politiques réactionnaires qui essaiment ailleurs et ont fait de l’antiféminisme leur ciment idéologique (entre Milei en Argentine, Trump aux Etats-Unis ou encore Meloni en Italie, les exemples ne manquent malheureusement pas). 

Nous pensons que les prochains mois de mobilisation vont être cruciaux dans la lutte contre ce programme. Le secteur associatif, et plus largement le mouvement féministe, doivent sortir d’une position attentiste qui se contente de « tirer la sonnette d’alarme » ou de prendre la rue « pour une véritable concertation ». Malheureusement, les organisations syndicales elles-mêmes sont pour le moment uniquement focalisées sur la question des pensions et nous enjoignent à nous préparer à un « marathon d’action sur cinq ans ». Une stratégie centrée sur l’espoir d’affaiblir la coalition au pouvoir et de la faire potentiellement reculer sur quelques mesures en vue d’une hasardeuse défaite électorale en 2029 est illusoire, et surtout dangereuse. Le risque le plus probable serait de nous épuiser pour des miettes, et d’ainsi démobiliser l’important mouvement de contestation qui prend forme contre l’Arizona. Une telle situation laisserait les coudées franches à la coalition pour torpiller notre camp social. En face, les classes dominantes ne sont pas disposées à négocier : il suffit d’entendre la rhétorique du there is no alternative de Bart De Wever (1)Comme lorsqu’il déclarait « Ce ne sera pas agréable, mais croyez-moi : un régime contraignant, c’est parfois la seule option pour continuer à vivre sainement » ou le zèle droitier de Georges-Louis Bouchez (2)Qui répondait fermement au lendemain des mobilisations massives du 13 février que “Le cap est fixé et il ne doit pas changer, car c’est impératif pour l’avenir de notre pays » pour se convaincre qu’aucune perspective de concertation n’est possible. Par conséquent, nous devons assumer clairement que l’Arizona n’est pas un interlocuteur. Le gouvernement ne reculera pas sur ses attaques. La seule option pour nous est d’assumer dès à présent le rapport de force en renforçant le mouvement contre le gouvernement, pour faire tomber l’Arizona. 

La manifestation massive de ce jeudi 13 février était une première épreuve de force, largement réussie, et nous plaidons pour qu’elle marque le départ d’un véritable plan d’action contre le gouvernement dans les prochaines semaines. Les directions syndicales ont déjà annoncé une grève générale le 31 mars, qui sera une étape décisive. Les grèves dans les secteurs où une large majorité de femmes travaillent comme le non-marchand ou  l’enseignement tracent la voie. La grève féministe a elle aussi toute son importance, et nous mettons en avant la perspective d’un 8 mars inséré dans cette vague de grèves sectorielles, et surtout dans le mouvement contre la nouvelle coalition Arizona. Femmes avec ou sans emploi et féministes doivent rejeter en bloc toutes les politiques du gouvernement !

La seule option pour nous est d’assumer dès à présent le rapport de force en renforçant le mouvement contre le gouvernement, pour faire tomber l’Arizona. 

Nous appelons donc les 7 et 8 mars à une véritable grève féministe du travail salarié, du travail reproductif (travail du soin, cuisine, ménage, éducation, etc.), de la consommation et des études. Dans ce cadre, nous saluons et nous rejoindrons l’action des travailleuses du commerce contre les mesures de l’Arizona le 8 mars à la rue Neuve, et nous appelons l’ensemble des secteurs à se mobiliser autour de la grève féministe. C’est pourquoi nous regrettons que la grève initialement prévue le 7 mars dans les crèches ait été annulée en perspective de la grève du 31 mars : la grève générale que nous appelons de nos vœux doit être stimulée par en bas, se nourrir des initiatives sectorielles et servir de catalyseur pour l’ensemble des revendications des travailleuses et des étudiantes sur leur lieu de travail et d’étude. 

Les Féministes anticapitalistes ont rejoint Commune Colère, initiative unitaire qui rassemble des travailleur·euses de tous horizons : syndicalistes, militant·es féministes, antiracistes, écologistes, LGBTI+, uni·es par leur volonté de mettre un frein aux offensives de la droite. Cet espace d’échange et d’action est crucial pour appuyer et radicaliser le plan d’action syndical, et organiser le renfort mutuel de chaque lutte. Nous invitons toutes les franges du mouvement féministe à discuter, se rencontrer, lutter ensemble pour rassembler des forces politiques hétérogènes dans une direction commune, contre l’Arizona et son monde. C’est en œuvrant à ce rassemblement de nos forces que nous arriverons à imposer une rupture antinéolibérale et obtenir de véritables victoires, dont la première sera la chute du gouvernement De Wever !

Nous invitons toutes les franges du mouvement féministe à discuter, se rencontrer, lutter ensemble pour rassembler des forces politiques hétérogènes dans une direction commune, contre l’Arizona et son monde.

Il est crucial que cette lutte défensive contre l’alliance des droites et des extrêmes droites se double de véritables perspectives politiques, en défense d’un autre projet de société. Faire chuter le gouvernement est une première étape nécessaire pour redonner confiance en notre classe et tirer le frein d’urgence face à la catastrophe sociale et écologique, mais ne suffit pas pour installer l’alternative. C’est pourquoi nous pensons qu’un gouvernement de rupture antinéolibéral est indispensable pour arrêter ce carnage. Face au cannibalisme social que la droite tente d’imposer à notre classe, nous aurons besoin de coaliser très largement les secteurs de notre camp social et de ne laisser personne de côté. Seul un front commun centré sur le mouvement social et qui assume une perspective politique pourra élaborer et imposer par l’action un réel programme de rupture qui unit et mobilise : un programme radicalement solidaire, écologique, démocratique qui inclut la défense des droits des femmes, des personnes racisées et exilées et des personnes LGBTI+. 

Seul un front commun centré sur le mouvement social et qui assume une perspective politique pourra élaborer et imposer par l’action un réel programme de rupture qui unit et mobilise : un programme radicalement solidaire, écologique, démocratique qui inclut la défense des droits des femmes, des personnes racisées et exilées et des personnes LGBTI+. 

Un tel programme doit se nourrir du mouvement féministe : des revendications des travailleuses des crèches qui exigent de meilleures conditions de travail afin de pouvoir accueillir convenablement les enfants, des travailleuses des hôpitaux débordées qui réclament plus de budget pour la santé afin de pouvoir bien faire leur travail, des vendeuses qui refusent d’être des machines au service de la consommation ou encore des enseignantes qui refusent  la marchandisation de l’école au profit des entreprises. Dans le cadre de cette lutte pour un autre monde, le mouvement féministe a un rôle important pour mettre en avant une culture du prendre soin dans laquelle l’activité sociale est définie à partir des besoins humains et environnementaux, une société qui place le travail reproductif au centre et qui le libère des exigences de l’accumulation capitaliste écocidaire. 

Notes[+]