La nuit de dimanche à lundi, l’armée du mouvement du 23 mars (M23) a pris d’assaut la ville de Goma, capitale du Nord-Kivu dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC), marquant une nouvelle escalade de la violence dans la zone. Si la majorité de la ville est aujourd’hui au main du M23, la situation reste très incertaine, et des affrontements localisés sont encore en cours à l’heure actuelle. Depuis 2012, la région est le théâtre de conflits entre l’armée congolaise (FARDC) et plusieurs milices armées dont le M23, soutenu par le gouvernement rwandais, constitue la principale force (parmi 200 autres autres groupes paramilitaires). Après avoir pris Goma et alors que la situation est encore volatile, les troupes paramilitaires se dirigent maintenant vers le sud du pays, et il est envisageable que leur objectif soit de faire tomber le régime de Félix Tshisekedi.

Ces affrontements ont plongé la région dans une grande instabilité sociale et politique, provoquant le déplacement forcé de plus de 400 000 congolais·es, et l’établissement de plusieurs camps de réfugié·es autour de la ville. On estime que ces trente dernières années, le bilan humain au Nord-Kivu s’élève à 6 millions de mort·es et plus de 7 millions de réfugié·es.

Une guerre de 30 ans

Ce conflit survient à la suite de l’exil au Nord-Kivu des généraux hutus chassés par le nouveau pouvoir tutsi à la suite du génocide de 1994. Ces anciens haut-gradés s’organisèrent alors en milice et s’attaquèrent aux Tutsis congolais, provoquant les deux guerres du Congo (1996-1997 et 1998-2002). Celles-ci ont été le préambule de la situation actuelle, marquée par l’intensification successive des violences en 2012 et en 2021 et par la progression militaire du M23 dans la région, malgré les tentatives des FARDC pour reprendre le contrôle du territoire. Le dernier rapport de l’ONG Médecins sans frontières (MSF) fait état d’une très forte augmentation des violences sexuelles au Kivu : plus de 25 000 femmes ont été soignées, sans compter celles qui préfèrent se taire.

De nombreux métaux stratégiques sont présents dans le sol du Kivu, au premier rang desquels l’or mais aussi de l’étain, le lithium, le nickel, le tantale, le cobalt et le tungstène, qui équipent entre autres les téléphones, les voitures électriques, et de nombreuses productions des industries de haute technologie (par exemple les alliages des avions, des fusées et des missiles). Ces ressources sont l’objet de convoitises de la part du Rwanda, qui alimente le conflit en soutenant directement le M23, et intéressent aussi de nombreuses multinationales qui se fournissent auprès du Rwanda, qui ne possède pas une seule mine de coltan ou de tantale mais qui est devenu, en quelques années, respectivement le 1er et le 3e exportateur mondial de ces “minerais du sang”. Un tiers du coltan mondial passe ainsi par le Rwanda et échappe à la RDC ! Les instabilités politiques et sociales qui en résultent permettent d’exploiter brutalement les populations locales, y compris les enfants, dans le travail d’extraction minière, au bénéfice de Kigali. Selon l’Office des mines du pays, en 2023, ses recettes d’exportation de minéraux ont d’ailleurs augmenté de 43 %, atteignant plus de 1,1 milliard de dollars. De nombreuses puissances impérialistes dépendent de ces minerais pour mettre en œuvre la transition “verte”. La situation dans la région illustre ainsi les conséquences du capitalisme extractiviste et prédateur auquel sont soumis les pays néo-colonisés.

En face, le gouvernement congolais de Felix Tshisekedi est dans l’incapacité de mettre fin au conflit. Délégitimé par une politique de plus en plus répressive à l’égard de la population, une corruption endémique au sein de l’Etat et de forts soupçons de fraudes électorales, le gouvernement doit en plus composer avec une armée sous-rémunérée et indisciplinée qui n’hésite pas à collaborer avec les milices hostiles au régime pour piller les ressources et s’en prendre aux populations locales. Les trois jours de silence du président congolais qui suivi l’assaut du 26 janvier traduisebt bien l’incapacité du régime à offrir une réponse à l’escalade de la violence. 

Le silence complice de la communauté internationale

Alors que la perspective d’une solution négociée bilatérale est bouchée, Tshisekedi refusant de s’entretenir avec l’agresseur Kagame, tous les yeux se tournent vers les puissances internationales impliquées directement ou indirectement dans le conflit. Malgré la longévité des hostilités et la catastrophe humanitaire qui en découle, la communauté internationale fait pourtant preuve d’une grande passivité à l’égard de l’ingérence du Rwanda depuis de nombreuses années. Ce silence s’explique par les liens diplomatiques qu’entretient Kigali avec plusieurs pays capitalistes avancés. Paul Kagame cultive en effet de bonnes relations avec les Etats-Unis, qui lui fournissent un soutien économique conséquent, la France, dont l’armée participe directement à la formation d’officiers des forces armées rwandaises, ou encore la Chine, qui profite du pillage des ressources congolaises par le Rwanda pour financer à bas prix son industrie dans le cadre de son rattrapage technologique. Notons également le projet de réforme mené par le gouvernement britannique de Boris Johnson puis Rishi Sunak, finalement abandonné par le travailliste Keir Starmer, qui consistait à expulser les populations immigrées du Royaume-Uni vers le Rwanda.

C’est ainsi qu’il faut comprendre la tiédeur de la réaction du conseil de sécurité de l’ONU au terme d’une réunion d’urgence tenue ce dimanche 26 janvier à la suite de l’intensification des violences à Goma après l’offensive menée par le M23. La Chine n’a par exemple pas nommément cité le gouvernement rwandais parmi les responsables du conflit afin de ne pas envenimer ses relations avec Kigali. Si de leur côté les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ont dénoncé la responsabilité du Rwanda dans l’attaque, les protestations sont restées purement verbales : aucune mesure concrète n’a encore été prise à ce jour pour forcer l’armée rwandaise à retirer les 3000 à 4000 soldats présents actuellement en RDC et faire cesser son soutien économique et militaire aux milices armées. Kigali dépend pourtant largement du soutien de ces pays : en 2012, alors que le M23 était déjà parvenu à s’emparer de Goma, la pression du gouvernement Obama sur Kigali avait permis à la RDC de reprendre rapidement le contrôle du territoire et d’affaiblir durablement la milice paramilitaire. 

Cette hypocrisie de la communauté internationale est dénoncée depuis de nombreuses années par la population congolaise. Ce mardi 28 janvier, des manifestants s’en sont pris à plusieurs ambassades étrangères (celle du Rwanda, mais également des Etats-Unis, de la France et de la Belgique) à Kinshasa pour exprimer leur colère à l’égard de l’inaction des puissances impérialistes.

La responsabilité énorme de la Belgique

Une bonne partie des tensions ethniques en République démocratique du Congo font partie de l’héritage colonial belge. Les frontières des pays d’Afrique ont été tracées en 1885 par la Conférence de Berlin sans tenir compte des divers passifs historiques entre les différents groupes ethniques de la région. En outre, certaines rivalités ont été volontaire aiguisées par les autorités coloniales belges, notamment celles entre Hutus et Tutsis, qui ont mené au génocide rwandais de 1994, et sur lesquelles s’appuie aujourd’hui le gouvernement de Paul Kagame pour justifier ses incursions militaires au Nord-Kivu, en prétendant défendre la population Tutsi face aux milices Hutus en exil après la fin du génocide.

Par ailleurs, la RDC est aujourd’hui encore écrasée par une forte dette, héritée lors de son indépendance en 1960, et issue d’emprunts pourtant effectués par le gouvernement colonial belge. Depuis, cette dette qui ne cesse de croître est exploitée par le FMI pour imposer au pays une politique néolibérale qui maintient la population dans une situation de grande précarité.

Enfin, alors qu’il est clair depuis de nombreuses années que l’intervention militaire du Rwanda en RDC provoque une très grave situation humanitaire, la Belgique n’a jusqu’ici pas mis fin à son programme de coopération au développement avec le pays, finançant ainsi indirectement les rebelles du M23. 

Nous revendiquons :

  • Cessez-le-feu immédiat, à Goma et dans toute la région;
  • Troupes rwandaises hors du territoire congolais;
  • Annulation des dettes odieuses et illégitimes de la RDC envers la Belgique ;
  • Suppression du « protocole dʼaccord sur les chaînes de valeur durables pour les matières premières » et la coopération militaire, signé il y a peu par lʼUnion européenne et le Rwanda;
  • Stop à l’ingérence : arrêt de l’appui rwandais à toutes les milices armées, et du  soutien économique et militaire des puissances impérialistes au gouvernement rwandais;
  • Autodétermination du peuple congolais.