Les récentes inondations provoquées par la Goutte Froide dans la Communauté valencienne, région dans l’est de l’État espagnol, ont révélé non seulement la fragilité des systèmes de réponse aux urgences, mais aussi la relation critique entre changement climatique et droits sociaux. Ce phénomène météorologique, marqué par l’instabilité atmosphérique et la combinaison de masses d’air froid et chaud, est devenu de plus en plus destructeur en raison du réchauffement des eaux de la mer Méditerranée.

Au cœur de cette catastrophe, qui a causé la mort de 205 personnes, pour l’instant, pour la plupart à Valence et environ 1 900 autres sont portées disparues, car beaucoup de villages sont inaccessibles. L’absence de préparation et des décisions politiques discutables ont accentué la vulnérabilité des citoyen·nes. Les communautés les plus touchées sont celles qui font déjà face à des inégalités structurelles, soulignant la nécessité urgente d’une approche qui mette l’accent sur la justice environnementale et les droits humains.

Qu’est-ce qu’une Goutte Froide et comment le changement climatique l’intensifie ?

Une Goutte Froide (GF) ou une Dépression Isolée en Altitude (DANA en Castillan) est un phénomène météorologique caractérisé par l’isolement d’une masse d’air froid en haute altitude, créant une forte instabilité lorsqu’elle interagit avec l’air chaud et humide des couches inférieures. Cette rencontre provoque un contraste qui peut entraîner des pluies torrentielles, des orages violents et des inondations, en particulier dans les régions méditerranéennes.

Le réchauffement de la mer Méditerranée aggrave la fréquence et la violence des GF, car l’eau plus chaude fournit davantage d’énergie et d’humidité, ce qui intensifie les précipitations et augmente le risque de dommages dans les zones vulnérables, comme les côtes méditerranéennes. Ce phénomène est surtout dangereux en automne, période où les conditions climatiques amplifient encore les effets de ces tempêtes. Ce contexte souligne l’urgence de préparer et d’adapter les systèmes de réponse pour faire face aux impacts accrus du changement climatique.

Avertissements et prévisions

L’Agence d’État de Météorologie (AEMET) a commencé à émettre des alertes concernant la GF imminente le 23 octobre 2023. Dès lors, plusieurs avertissements ont été publiés, dont l’un des plus significatifs a eu lieu le 29 octobre, lorsque la première alerte rouge a été activé pour le nord intérieur de la province de Valence, indiquant un risque extrême en raison des pluies intenses. Au cours de cette même journée, l’AEMET a continué de mettre à jour ses prévisions, avertissant que les précipitations pouvaient dépasser les 150 mm dans certaines régions, un danger considérable pour la population.

Cependant, dans un tournant alarmant, le gouvernement valencien a choisi de maintenir les activités économiques ouvertes et a envoyé la population travailler, malgré les alertes concernant l’arrivée imminente de la GF. Cette décision non seulement contredisait les consignes de sécurité nécessaires en de telles circonstances, mais elle a également mis en danger la vie de nombreux citoyens, et en a coûté la vie à plusieurs d’entre eux. La priorité donnée à l’activité économique plutôt qu’à la sécurité publique reflète un manque préoccupant de responsabilité dans la gestion des urgences, mettant en lumière des défaillances dans la coordination entre les autorités et une incapacité à protéger adéquatement la population.

Division des pouvoirs

Pour comprendre la réponse à la récente GF dans la Communauté Valencienne, il est essentiel d’examiner la division des pouvoirs dans le système autonome de l’État espagnol. Les communautés autonomes, comme celle de Valence, possèdent des compétences exclusives dans plusieurs domaines tels que la santé, l’éducation et la protection civile, ce qui inclut la gestion des urgences et l’émission des alertes. La loi 17/2015 du Système National de Protection Civile confie aux communautés la responsabilité d’organiser leurs opérations d’urgence, sauf en cas de situations dépassant leur capacité de réponse. Ainsi, les communautés autonomes peuvent décider de déclencher des protocoles d’urgence, de mobiliser leurs propres ressources et de coordonner les services locaux comme les pompiers, la police locale et autres services publics régionaux.

Le gouvernement central n’intervient directement que dans les cas où une situation d’urgence dépasse les ressources disponibles au niveau régional, ou lorsqu’un état d’alerte, d’urgence ou de catastrophe nationale est déclaré. Dans de telles circonstances, le ministère de l’Intérieur ou l’Unité Militaire d’Urgence (UME) peuvent coordonner leurs actions avec les autorités régionales pour offrir une assistance. Cependant, si les autorités régionales n’activent pas le niveau d’alerte adéquat ou ne demandent pas d’aide, la capacité d’intervention de l’État central reste limitée.

En outre, la suppression récente de l’Unité Valencienne des Urgences (UVE) perçue par le Parti Populaire et VOX, partie climato-négationiste, comme une « structure superflue » inutile, a intensifié la vulnérabilité de la communauté. Sous la direction de Carlos Mazón, président de la région (PP), cette unité a été démantelée dans une logique d’austérité et de réduction des dépenses, conformément aux orientations de son parti. Cette suppression est particulièrement critiquable à la suite de la catastrophe, car elle illustre comment des décisions politiques peuvent affaiblir les capacités de réponse aux urgences de grande ampleur. L’absence d’une réponse rapide et efficace a suscité un sentiment d’abandon chez la population, soulignant que des politiques de réduction des dépenses publiques peuvent aggraver les crises humanitaires en situation de catastrophe.

Le Ping-pong entre les coupables

Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres.

Gramsci

La crise consiste justement dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître : pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés, illustre parfaitement la dynamique actuelle de la crise politique et sociale dans l’État espagnol, particulièrement dans le contexte des inondations dévastatrices causées par la GF en Communauté Valencienne. Gramsci décrit un moment de transition, où l’ancien système, en l’occurrence, le capitalisme et ses inégalités structurelles semble en déclin, mais où le « nouveau », un modèle plus juste et écosocialiste tarde à émerger. Ce vide de pouvoir, cet interrègne, ouvre la voie à des phénomènes « morbides » comme l’instrumentalisation de la souffrance collective par les forces politiques conservatrices et extrêmes.Dans ce cas précis, l’extrême droite, représentée par des partis comme Vox, détourne la crise pour rediriger la colère populaire contre des boucs émissaires, tout en évitant de traiter les causes profondes, telles que le manque de préparation face aux urgences et la gestion inefficace des catastrophes. Ainsi, la crise actuelle ne fait qu’aggraver les fractures sociales existantes, tout en empêchant la naissance d’un véritable changement vers une société plus équitable et écologique.

La souffrance causée par la tragédie a été exploitée par certains partis politiques, qui utilisent la colère et la frustration de la population pour justifier des législations qui ne profitent pas aux citoyen·nes. Plutôt que de traiter les défaillances structurelles et le manque de préparation aux urgences, ces forces cherchent à rediriger la faute vers d’autres secteurs, perpétuant ainsi l’inégalité et protégeant les intérêts de la bourgeoisie. Cette stratégie détourne non seulement l’attention des responsabilités gouvernementales, mais affaiblit également la capacité de la classe ouvrière à s’organiser et à exiger de réels changements.

L’extrême droite, en particulier, a su capitaliser sur cette instabilité politique, se présentant comme les « héros du peuple » tout en délégitimant les véritables responsables de la crise. Par exemple, Vox ne critique pas la gestion du gouvernement régional de Carlos Mazón (PP), mais dirige son discours contre le gouvernement central de Pedro Sánchez, manipulant ainsi la narration en sa faveur. Cette tactique ne déstabilise pas seulement le débat sur la gestion des urgences, mais renforce également son propre agenda politique. Cela ne signifie pas que le gouvernement central est exempt de toute responsabilité, mais cela montre comment les deux administrations, régionale et centrale, jouent à un jeu de ping-pong des coupables. Au lieu d’aborder les causes structurelles de la crise, les deux niveaux de gouvernement se renvoient la balle, évitant de prendre leurs responsabilités et offrant une narration où chacun rejette la faute sur l’autre sans proposer de solutions efficaces.

Ce cycle d’accusations mutuelles détourne l’attention du public et permet à des problèmes critiques, comme le manque de préparation aux urgences et la perpétuation des inégalités sociales, de rester sans réponse. Finalement, cette absence de responsabilité partagée mène à une gestion inefficace qui laisse les citoyens exposés, sans la protection adéquate, tandis que des forces politiques comme Vox profitent de la situation pour faire avancer leurs propres agendas sans s’engager à résoudre les
problèmes réels de la population.

Dans son programme électoral de 2023, Vox suggère une réduction drastique des dépenses publiques et la suppression d’organismes jugés inutiles, comme les agences météorologiques. Cette position reflète une idéologie qui s’oppose à toute forme de régulation ou d’intervention étatique, même dans des situations critiques. L’instrumentalisation de la crise par ces groupes montre clairement l’intention de détourner l’attention de leurs propres politiques climatosceptiques et d’austérité qui négligent les besoins de la population.

Ce ping-pong entre les coupables, où la responsabilité des erreurs de gestion est déplacée vers des acteurs extérieurs, est un modèle récurrent dans les crises politiques et sociales. La manipulation de l’opinion publique pour servir des agendas qui perpétuent l’inégalité sociale souligne la nécessité d’une réponse collective et critique, qui ne se laisse pas tromper par une rhétorique simpliste visant à diviser et à détourner. En fin de compte, la lutte pour une véritable justice sociale et environnementale dépend de la capacité des citoyens à voir au-delà des distractions et à exiger des comptes à ceux qui détiennent réellement le pouvoir.

Il est temps d’aborder les droits sociaux et la justice environnementale comme un tout intégré, en établissant des politiques inclusives qui ne se contentent pas de répondre aux crises, mais qui préviennent également la perpétuation des inégalités structurelles qui les aggravent. Ce n’est qu’à travers une approche écosocialiste, qui place la vie au-dessus du profit économique, que nous pourrons faire face efficacement aux défis du présent et de l’avenir. La responsabilité incombe aux gouvernements et aux intérêts des entreprises qui ont mis le profit avant le bien-être de la population. L’alternative est claire : écosocialisme ou barbarie.


Crédit photo : extrait d’un article de Miguel Urbàn sur le site de Viento Sur